« L’homme est une liberté auto-productrice au sens absolu du terme », tel est le condensé des réflexions pondues par le philosophe français Jean-Paul SARTRE, théoricien représentatif par excellence de la phalange athée de la doctrine existentialiste, excluant toute responsabilité divine quant aux évènements, heureux ou malheureux qui peuvent se produire dans l’existence humaine. Exprimé autrement, tout recours ou toute référence à quelque transcendance étant radicalement écartés, l’homme devient ipso facto responsable de sa vie et doit en assumer l’entière conséquence. Il est tel qu’il s’est choisi, tel qu’il se fait à travers les épreuves de la vie. Il est l’artisan de son destin. La vie, in statu nascendi, n’a pas de sens, elle n’a de sens que celui que l’on veut lui donner. L’homme est un projet, il ne sera que ce qu’il aura projeté d’être. Dans cet état de déréliction (sentiment d’isolement assorti d’une profonde angoisse), l’homme est condamné à prendre possession de sa vie se déclinant en termes de liberté d’action et la législation des instances qui norment son agir.
C’est dire que le bonheur ou les calamités susceptibles d’intervenir dans le cours des évènements meublant l’existence en général, ne résultent pas obligatoirement d’un décret divin, mais sont le plus souvent consubstantiels aux actions quotidiennes de l’individu humain, ses rapports avec les autres, l’environnement qui lui sert d’arène existentielle, bref, de son commerce avec l’histoire. Il appert des préceptes sus évoqués que tout peuple, entendu comme ensemble de personnes constituant une nation, abstraction faite de toute considération surnaturelle ou paranormale, est l’instigateur de son devenir, heureux ou malheureux. Ainsi, il se retrouve devant une alternative lui imposant un choix : soit il se résout à l’inaction face à l’adversité, gémissant pour ainsi dire sur son sort en espérant une intervention divine salvatrice ; soit il prend le taureau par les cornes en s’engageant de façon résolue dans un combat sans merci à l’effet de venir à bout de tout facteur perturbateur, gênant (quelle qu’en soit l’origine) et partant, d’impacter qualitativement sur ses conditions d’existence. Dans cette perspective, les peuples encore sous la férule infernale de dictatures sanguinaires, en fondant leurs actions sur une réelle volonté de conquête de liberté et d’épanouissement, sont à même de faire voler en éclats, n’importe quelle citadelle, aussi inexpugnable soit-elle. Les fabuleux sillons tracés ces jours-ci par les peuples Tunisiens et Egyptiens, en donnant libre cours à une audacieuse et extraordinaire insurrection populaire ayant conséquemment sonné le glas des despotes Zine El-Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis 24 ans après avoir déposé le 07 Novembre 1987 Habib BOURGUIBA, le « combattant suprême » sous le fallacieux prétexte que son âge très avancé au moment des faits le rendait incapable de gouverner plus longtemps et Mohamed Hosni MOUBARAK ayant exercé 30 ans de pouvoir, succédant à Anouar AL-SADATE, assassiné par des extrémistes le 06 Octobre 1981, au cours d’une parade militaire commémorant la guerre du Kippour, doivent faire école et inspirer tout peuple enchaîné, ligoté, martyrisé et réduit à un bâillonnement animalisant. A ce sujet, Karl MARX, philosophe politique, économiste et révolutionnaire allemand, est catégorique. MARX considère que l’homme, doublement aliéné dans la religion qui l’endort et dans la société qui l’exploite, doit se désaliéner en prenant en main son propre devenir historique. Il doit alors nécessairement s’affranchir de l’illusion religieuse, combattre les injustices sociales, faire la révolution et instaurer une société sans classes et juste.
Dans cet élan de dépassement de soi vers son pouvoir- être, la violence s’offre comme un recours indispensable, légitime même, permettant de passer d’une société ancienne, corrompue à une société nouvelle. Référence faite à la crise postélectorale qui mine sourdement la Côte d’Ivoire, il convient de noter que dans une démocratie, la souveraineté (au sens de valeur suprême) d’un peuple ne peut lui être contestée, puisque l’appareil étatique n’a de sens réel et de portée véritable que relativement à lui. Lors d’une consultation électorale, la voix, les désirs exprimés par le peuple priment sur toute autre considération ou institution, fût-elle suprême ou constitutionnelle. Et la voix du peuple est celle de Dieu (vox populi vox Dei). En aucun cas cette voix ne saurait se laisser étouffer, réduire au silence.
Réclamer donc le strict respect de cette prééminence, cette souveraineté marquée de l’estampille de la transcendance par le truchement d’une insurrection, une sédition populaire ne saurait être appréhendé comme un prix excessif, une mesure extrême, eu égard au fait que l’enjeu réel, in fine, est le triomphe de la démocratie, gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Cette tâche incombe au peuple, relève même de ses prérogatives. Il lui appartient de se libérer de toutes les déterminations aliénantes (autocratie et ses corollaires) pour affirmer sa liberté et sa responsabilité totales. Face à la furie meurtrière du régime décadent, vermoulu, l’on éprouve certes un effroi insondable. Egalement, devant les épreuves, les contradictions de la vie, l’on est tenté par l’indifférence. Mais seule une action concertée, résolue peut mener au changement car comme le note Albert CAMUS : « Il faut agir. Mais avant d’agir, il faut se convaincre que l’homme n’a pas de nature humaine donnée une fois pour toutes, il n’est pas une créature achevée mais une aventure dont il peut en être en partie le créateur ». On pourrait dire à partir de tout ce qui précède que la sagesse consiste ici non seulement à changer nos désirs mais à changer aussi l’ordre du monde car l’ordre du monde comme les désirs dépendent de l’homme. Le monde existe par l’homme. C’est l’homme qui donne au monde alors un sens par sa présence. Le monde est un mode pour soi qui en se révélant nous révèle à nous-mêmes. C’est parce que le monde existe en nous et par nous qu’il est multiple et changeant. Il varie selon l’existant qui le pénètre. L’océan n’offre pas le même visage au pêcheur qui en vit, au touriste, à l’artiste, à l’océanographe. Alors, réveillons-nous !
DIARRA CHEICKH OUMAR
Etudiant en instance de thèse
Sciences politiques
E-mail : sekdiasek@gmail.com
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