Le porte-parole de la Commission électorale indépendante, Yacouba Bamba, parle des élections présidentielles 2010.
Question : Pourquoi, selon vous, la présidentielle ivoirienne de l’année 2010 mériterait-elle d’être qualifiée d’historique ?
Bamba Yacouba : Merci de me donner l’occasion d’éclairer certaines lanternes. Cette élection était de loin la plus démocratique et la plus ouverte de toute l’Afrique. Tous les acteurs politiques et la société civile ont été associés en fonction des prérogatives des uns et des autres à toutes les étapes du processus devant nous conduire à ces élections. D’énormes sommes d’argent ont été mobilisées pour en arriver là. La biométrie comme système nouveau et fiable, la mobilisation de la communauté nationale et internationale à travers l’Union européenne, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), les pays asiatiques, etc., tout le monde y a participé. Les Nations unies, à travers leur mission en Côte d’Ivoire, l’Onuci, ont eu un mandat de certification délivré par toutes les parties ivoiriennes pour rassurer et trancher, en cas de litige. Une mobilisation exceptionnelle nous a permis de réussir un taux de participation jamais égalé de plus de 80 % ! Que dire du premier ministre Guillaume Soro, qui a su manœuvrer habilement pour concilier les contraires, rassurer et débloquer les situations les plus difficiles ? Bref, une série d’actions à même de faire de la Côte d’Ivoire un exemple, en termes d’organisation d’élections justes transparentes et démocratiques.
Q : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant ces élections ?
B.Y. : La discipline et la mobilisation extraordinaire des ivoiriens qui s’est caractérisée par un des taux de participation les plus élevés au monde
Q : Comment avez-vous vécu la journée du 3 décembre 2010 ?
B.Y. : J’ai été profondément affecté, puis exaspéré par l’attitude des représentants du camp présidentiel. Ils voulaient absolument qu’on statue sur un courrier de réclamation de la LMP (la majorité présidentielle, nom donné au Front populaire ivoirien et à ses satellites, NDLR), alors qu’ils avaient été les premiers à rejeter les courriers du PDCI et du RDR sur les requêtes en annulation du 1er tour. Leur mauvaise foi était donc manifeste. Pis, ils s’étaient juré de nous empêcher de proclamer les résultats de l’élection, croyant naïvement que nous avions un temps limité pour le faire. Nous ne nous sommes pas laissés faire. Nous avons menacé à plusieurs reprises de saisir la presse pour faire cas des blocages orchestrés. La sauvage agression dont j’ai été victime devant les cameras du monde entier est la manifestation de leur impuissance face à la manifestation de la vérité des urnes. Les résultats avaient déjà été communiqués par régions et leurs représentants sur le terrain savaient la vérité. Dès le soir du 28 (novembre 2010, NDLR), tous savaient déjà que Alassane Ouattara avait remporté les élections avec plus de 54% des suffrages. Il ne restait plus que l’annonce globale par le Président de la CEI.
Q : Un mot sur les fraudes avérées et les allégations de fraude au cours de cette élection?
B.Y. : Aucune fraude dans les zones CNO (Centre, nord et ouest de la Côte d’Ivoire, NDLR). La sécurité avait été renforcée au 2eme tour en vue d’empêcher cela. Tous les observateurs nationaux et internationaux y étaient massivement déployés. Le corps préfectoral a été mis à contribution. On a doublé la présence des représentants des candidats dans les bureaux de vote. On a associé tous les commissaires locaux de la Cei, représentant toutes les sensibilités. On a fait émarger le président et ses vice-présidents, tous de sensibilité différente, sans oublier les délégués des candidats. Comme irrégularité, nous avons noté par exemple que, dans le district d’Abidjan, le maire de Cocody, membre du camp présidentiel, a agressé physiquement le superviseur de la CEI. A l’ouest également, on a enregistré des fraudes massives, des empêchements de votes et des tueries, précisément à Gboguhé et Gonaté, dans le département de Daloa. Il y a tellement à dire que je préfère m’arrêter là.
Q : Que pensez-vous du résultat des urnes ?
B. Y. : Les ivoiriens se sont massivement exprimés. Si l’on s’en tient compte uniquement des résultats, 54 % d’entre eux, soit 2.483.164 personnes ont porté leur choix sur Alassane Ouattara, contre 2.107.055 pour Gbagbo. Je dis bien si l’on s’en tient aux résultats, parce qu’il y a beaucoup de choses à dire sur la manière même dont Laurent Gbagbo a obtenu ces deux millions de voix : je veux parler du couvre-feu, des intimidations, de l’embrigadement de la télévision et de la radio nationale, de la corruption, etc. Bref, prenons les choses comme ça. Malgré toutes ces entraves à leurs droits, les ivoiriens ont réussi à s’exprimer, à dire ce qu’ils avaient sur le cœur depuis une décennie. Il n’y a rien d’autre à faire que de respecter leur volonté.
Q : Le mode de fonctionnement de la CEI n’est-il pas en lui-même source de problèmes, avec cette recherche obstinée de consensus à tout propos ?
B.Y. : Quand nous avons opté pour cette méthode sous l’ère Mambé (ancien président de la CEI, NDLR), c’était dans le souci de bien faire. Nous pensions que tout le monde était pour l’intérêt général. On ne pouvait pas penser que des personnes qui ont prêté serment devant la nation pouvaient trahir leur serment et se mettre au service de leurs mandants. Très vite les premières dissensions sont apparues. Sinon le mode de fonctionnement conforme à la loi est très clair et fait recours au vote en cas de blocage. Mais pour le clan présidentiel, il fallait à tout prix faire respecter les engagements pris par le président Mambé. Drôle d’attitude pour des personnes qui parlent à longueur de journée de respect des lois et des textes. Il faut croire que le respect des lois ne doit être appliqué que lorsque cela les arrange… Quoi qu’il en soit, puisqu’il fallait préserver la cohésion du groupe, nous avions toujours cédé.
Q : Le camp présidentiel est minoritaire au sein de la CEI…
B.Y. : Ce n’est pas exact parce que nous n’avons jamais voté pour prendre une décision. Mieux, ils sont les plus nombreux car en plus des représentants du FPI, ils ont avec eux les deux représentants de l’UDCY, ceux de l’Assemblée nationale, du Conseil économique et social, du ministère de l’Intérieur, de la magistrature, de l’Economie et des finances, de la défense, sans oublier les vendus des autres bords.
Q. : Les élections vont souvent avec la corruption. A-t-on tenté de vous acheter à un moment où à un autre ?
B.Y. : Gbagbo a dit que s’il savait que les hommes s’achetaient si facilement, il n’aurait jamais mis autant d’argent dans les armes. Oui, ils ont essayé de me corrompre depuis l’ère Mambé. La première personne à qui j’ai dis non est un grand cadre du FPI dont je tairai volontairement le nom. Justement, parce que c’est une personne respectueuse et qui m’a compris. La dernière tentative en date, c’était à la proclamation des résultats du deuxième tour, lorsque les sieurs Damana Pickass et Tokpa Véhi sont venus me proposer des centaines de millions de francs, au nom du camp présidentiel. C’est justement pendant qu’ils attendaient ma réponse que je suis allé sur le plateau, tenter de proclamer les résultats que toute la Côte d’Ivoire attendait. La suite, le monde entier l’a vue en direct…
Q : Quelle place pour la force dans la résolution des conflits en Afrique et dans le monde ? Quelle place également pour le dialogue ?
B.Y. : Depuis 2000, on a dialogué pour résoudre les différents conflits et arriver à là, c’est-à-dire à des élections justes, transparentes et démocratiques. Il n’y a plus de place pour le dialogue. Il reste à appliquer la décision du peuple, même si, pour cela, il faut recourir à la force. Vous savez, j’ai l’avantage d’avoir participé à toutes les rencontres depuis l’ère Mambé. Croyez-moi, c’est pénible de discuter avec des gens qui ne respectent pas leurs paroles et qui ne pensent qu’à leurs intérêts au détriment de ceux du peuple qu’ils sont censés gouverner.
Q : Comme en 1990, un vent de démocratie souffle sur le monde. Il a commencé en Tunisie. Aujourd’hui, en Egypte, Moubarak est parti…
B.Y. : Oui, rien ne peut contre la volonté du peuple. Même si, pour l’instant, je constate que les autres pays africains s’ouvrent à la démocratie pendant que la Côte d’Ivoire s’enracine dans la dictature de Gbagbo.
Q : L’avenir de Bamba Yacouba. Vous vous verriez bien dans la politique ou dans l’administration?
B.Y. : On verra. L’avenir de Bamba Yacouba, c’est d’abord de faire en sorte que son travail commencé il y a cinq ans s’achève par le respect de la volonté du peuple, c’est-à-dire par l’installation du Président Alassane Ouattara, vainqueur du scrutin. Après les élections, ma mission à la CEI sera terminée et je pourrais m’occuper d’autre chose.
Q : Etes-vous disposé à partager votre expertise avec des institutions d’autres pays d’Afrique et du reste du monde?
B.Y. : Si l’occasion se présente on avisera. Pour l’instant, je n’y pense pas.
(Source : service communication de la CEI)
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