Guillaume Soro: « Nous allons faire notre révolution à partir du 21 février, les lignes bougent dans l’armée »

110 minutes (12h40 à 14h30) ; c’est le temps qu’a duré la conférence de presse animée, le samedi 12 février 2010 à l’hôtel du Golf à Cocody-Riviera par le Premier ministre d’Alassane Ouattara (déclaré président de la République par la Cei ). Guillaume Soro, par ailleurs ministre de la Défense s’est prononcé sur la situation sociopolitique et économique du pays. Pour la circonstance, il était entouré du général Gueu Michel son chef de cabinet militaire, du colonel major Mian Gaston et du capitaine Alla Kouakou Léon, respectivement Directeur de cabinet et porte-parole du ministère de la Défense.

Guillaume Soro a entre autres, appelé les Ivoiriens à faire la révolution pour obliger Gbagbo à quitter le pouvoir, indiqué que les lignes bougent dans l’armée, et qu’il ne s’attend pas à grand-chose du Panel des chefs d’Etat qui selon lui, seront humiliés par Laurent Gbagbo. Nous vous proposons de larges extraits Politique et sécurité Vous avez dit que M. Laurent Gbagbo ne va pas accepter les conclusions du panel des chefs d’Etats. Sommes-nous donc partis pour nous installer dans la durée pour la résolution de la crise ivoirienne ?

Guillaume soro :Je pense qu’il ne faut pas se faire d’illusions. Premièrement, je n’ai pas encore vu des dictateurs qui partent par la négociation. Je l’ai dit depuis le mois de décembre. Je trouve que les Ivoiriens aiment trop fonder leurs espoirs dans la communauté internationale. (…). C’est aux Ivoiriens de prendre leur responsabilité. Qu’est-ce que vous attendez de l’Union africaine ? Qu’elle vienne enlever Gbagbo à votre place ? Est-ce que c’est l’Ua qui est allée chercher Moubarak ou Ben Ali ?

Arrêtons de nous morfondre et de nous plaindre. C’est aux Ivoiriens de se mobiliser. Chaque peuple trace son histoire, écrit son histoire, fait son histoire. Les autres chefs d’Etat ont leurs problèmes à gérer dans leurs pays. (…) Le fait même que les Chefs d’Etat, malgré les relations qu’ils peuvent avoir avec le président sortant, s’engagent clairement pour dire à la face du monde entier que c’est M.
Ouattara qui a gagné, pour moi, l’Ua a fait son travail. Une façon pour l’Ua de dire aux Ivoiriens, c’est Ouattara qui est votre président, c’est vous-même qui l’avez élu, c’est à vous maintenant de l’installer au Palais. (…) C’est au peuple de Côte d’Ivoire, à partir du 21 février, de faire sa révolution. Le terreau est fertile et favorable pour la révolution. A partir du 21 février, le peuple de Côte d’Ivoire doit faire sa révolution. Et cette révolution sera d’autant plus légitime que Gbagbo va humilier les cinq chefs d’Etat de l’Union Africaine qui vont venir.

Vous n’arrêtez pas de dire que tout rentrera dans l’ordre. On nous parle d’un panel des chefs d’Etat africains qui vont travailler pendant un mois. Face à un éventuel échec, à quoi devrions-nous nous attendre de la part de votre gouvernement ?

Si le peuple ivoirien n’avait pas voté alors, ça serait autre chose. Quelles que soient les turpitudes, on revient à un point fixe : le peuple de Côte d’Ivoire a choisi un Président. Or le principe, le socle de la démocratie, c’est le peuple qui décide. Donc, je ne vois pas comment on viendra dire un jour que le peuple que nous avons vu aller aux urnes, ne s’est pas rendu aux urnes. Nous avons des certitudes.

Il n’existe aucune organisation qui ne reconnaît pas Monsieur Ouattara comme étant le président. Ensuite, l’Union africaine et la Cedeao ont clairement dit qu’elles ne rentreront pas dans un « power sharing » (partage du pouvoir) comme au Kenya, au Zimbabwe. Il s’agit de faire prévaloir le verdict des urnes et le choix démocratique du peuple de Cote d’Ivoire. Donc, notre postulat est simple : Monsieur Ouattara a été élu. Il faut qu’il aille au Palais. Et après, tout le reste est possible. Nous laissons l’Union africaine faire son expérience par elle-même de ce qu’on ne peut pas négocier avec Gbagbo. Quand tout le monde sera d’accord sur ce fait, le peuple de Cote d’Ivoire aura toute la liberté de faire sa révolution.

Vous avez lancé la révolution pour le 21 février. Et si à cette date on demeure encore dans cette léthargie du peuple, est-ce que ce ne sera pas un autre revers ?

On peut avoir plusieurs définitions de la révolution. Elle peut être préparée tout comme elle peut être spontanée. Elle peut être pacifique ou violente. Donc, moi, je ne crois pas que le peuple de Cote d’Ivoire est dans la léthargie. Je pense que le peuple ivoirien est un peuple mobilisé et mobilisable. Mais toutes les dictatures ne sont pas les mêmes. C’est cela la différence. Sinon le 16 décembre quand on a demandé au peuple de sortir, il a répondu à notre appel. Il y a eu des tirs et des morts. On a tiré sur la population. Dans le cadre de mes activités, j’ai réuni quelques officiers pour leur demander pourquoi en Tunisie et en Egypte où Moubarak est un général d’armée, l’armée n’a pas tiré sur le peuple et qu’ici cela a été fait. Un officier m’a donné la réponse suivante qui m’a paru brillante : « Monsieur le Premier ministre ne faites pas de comparaison. Ce n’est pas le même gabarit ». Cet officier a eu la chance de faire des études en stratégie militaire en Egypte. Il m’a dit que les officiers tunisiens et égyptiens ne sont pas du même gabarit que nos gens d’ici, dans la formation, dans la philosophie et dans la qualité.

Je pense que pour nommer quelqu’un comme chef d’état-major des armées, il doit avoir un sens élevé du devoir et de la responsabilité…

Concernant le panel des chefs d’Etat, il y a un problème de confiance pour certains. Est-ce que vous avez confiance à toutes les composantes de ce panel ? Quel est votre regard ?

Pour le panel des 5 chefs d’Etat, moi je fais confiance en l’Union africaine et aux 5 chefs d’Etat. Vous dites que certains ont été récusés. Mais on n’a demandé à personne son avis. Gbagbo n’est plus président. Il n’était même pas au sommet des chefs d’Etat. Qui lui a demandé son avis pour désigner les 5 chefs d’Etat? Il ne faut pas se ridiculiser. (…) Il ne faut pas considérer qu’il y a une armée des Fds-ci et une autre des Fafn. Il y a une armée républicaine d’une part, et, d’autre part, des mercenaires et une garde républicaine qui confisquent le pouvoir. Dans l’armée, les lignes bougent. Il commence à y avoir des arrestations. Pour un pouvoir volé, vous voulez empêcher des militaires de le dénoncer.

L’armée grogne et ça bouge. Je ne veux pas que les Fafn affrontent la frange saine de notre armée.

Les deux doivent plutôt se donner la main. C’est le signal fort que je lance. Le porte-parole du
ministère de la Défense, le capitaine Alla, bientôt, va s’adresser à ses frères d’armes. Le capitaine Alla n’est pas issu des Fafn et il n’est pas à la retraite. Il est des Fanci. C’est le sous-préfet militaire de Zouan-Hounien. Vous verrez de nouvelles personnes des Fanci nous rejoindre. L’armée n’acceptera pas la forfaiture. Au sein de notre armée, il y a des militaires aussi valables que ceux qui sont en Egypte et en Tunisie. Cela ne tardera pas. (…)

Quel est votre avis sur la présence d’un navire sud-africain au port d’Abidjan?

Nous avons eu l’information. J’ai rencontré hier (vendredi, Ndlr) l’ambassadeur d’Afrique du Sud. Nous avons parlé. Je vous rassure que ce n’est nullement un soutien à Gbagbo. Vous savez, quand on est naufragé, on s’agrippe à tout. Le plus petit navire devient une bouée de sauvetage. L’Afrique du Sud a démenti. Ne vous inquiétez pas. Ce navire n’a rien à voir avec Gbagbo. C’est un navire sud-africain. Je ne me hasarde même pas à vous donner le nombre de navires dans nos eaux. Vous êtes journalistes et je sais que vous trouverez qu’il y a plusieurs autres navires. Ce navire est venu pour le président sud-africain et le personnel de l’ambassade. Quand le président doit arriver, ils mettent en place un dispositif sécuritaire impressionnant. C’était le cas lorsque l’ancien président sud-africain, Thabo MBeki devait venir à Bouaké. Il y avait des chars sud-africains un peu partout car on considère que la Côte
d’Ivoire est un pays en guerre. Donc, ils prennent des dispositions spéciales(…)

Le débarquement d’Eugène D. Kacou du Cnp et la liberté de la presse

Je voudrais profiter pour saluer Eugène Dié Kacou. Quand j’étais étudiant, il faisait une émission ‘’5X3’’.

J’étais dans la clandestinité et on lui avait interdit de m’interroger. Il s’est débrouillé avec son équipe pour venir me retrouver dans ma clandestinité et réaliser son émission. Après cela, l’émission a disparu. Je sais qu’Eugène Dié Kacou est un homme engagé. Je l’ai appelé pour le saluer. Nous, nous considérons ces mesures-là nulles et de nul effet. Si le ridicule pouvait tuer. On dit qu’on a arraché des fréquences à Onuci-Fm. J’ai vu M. Choi aujourd’hui (samedi, Ndlr). Il m’a dit : « C’est un gouvernement illégal, aucune fréquence n’est arrachée. Est-ce que vous confirmez les fréquences ? » Je lui ai répondu par l’affirmative. Il dit : « Bon, nous on continue. » Est-ce que tout cela n’est pas humiliant ? Ils disent : « On ne veut plus de tel ambassadeur. » Ce dernier répond : « Non, je reste. » Et puis, il est là, ils ne font rien. (…)

Economie

A propos de l’étranglement économique et le bilan des mesures

Pour préserver le tissu économique de la Côte d’Ivoire, notre gouvernement a été amené à prendre des mesures. Nous voulons protéger les ressources de l’économie et les finances de l’Etat. Nos sociétés ont évolué. Aujourd’hui, nous sommes dans un système dans lequel quand la majorité désigne quelqu’un, c’est lui qui gouverne. C’est le système démocratique. Donc comme M. Gbagbo sait que de toutes les façons, il a rompu le système démocratique, il est alors obligé de se maintenir par la force y compris en détournant les ressources financières de l’Etat de leurs destinations premières. Qui est de construire des écoles, des centres de santé, des hôpitaux, des routes. Nous nous sommes dits : mais si on lui laisse tout cet argent, il le prend pour recruter des mercenaires, pour acheter des armes. Et le peuple souffrira deux fois plus. Il valait mieux prendre des mesures pour mettre ces ressources hors de sa portée.

Si Gbagbo n’a pas accès à ces ressources, c’est autant de ressources qui vont être cumulées et qui pourront servir à un gouvernement légitime, légal pour soulager les populations de ses souffrances passées. Il faut que les Ivoiriens comprennent qu’en réalité, les mesures que nous prenons sont des mesures de sauvegarde des ressources pour le gouvernement légitime. C’est le même principe qui guide les grandes nations démocratiques. (…) Si le chef de l’Etat angolais prête un milliard de dollars, son peuple va se révolter. J’ai été Premier ministre et il y a eu des moments où le ministre Diby et moi nous nous sommes déplacés pour aller chercher soixante quinze milliards de Cfa, nous ne les avons pas eus. A plus forte raison un milliard de dollars à avoir auprès d’un pays africain. Ils disent qu’ils payent les salaires. La masse salariale de façon globale est autour de 75 milliards de Fcfa. Evidemment, quand on a 10 à 30 milliards et qu’on a pu payer une frange de la Fonction publique, on dit qu’on a payé les fonctionnaires. Mais, c’est dans le long terme que les gens vont comprendre ce que c’est que payer les fonctionnaires. Les ambassades et bien d’autres services sont asphyxiés financièrement. Les mesures que nous avons prises à ce niveau-là vont avoir un rôle de goulot d’étranglement progressif. Et j’avoue que je ne comprends pas au nom de quoi Gbagbo résiste toujours. .

La monnaie ivoirienne

En tout cas, c’est téméraire mais c’est utopique. Pour longtemps encore, à moins de soumettre les Ivoiriens à acheter des brouettes pour convoyer leur argent. Avec une monnaie inflationniste, je ne vois pas comment cela est faisable en Côte d’Ivoire. Le mécanisme financier en Côte d’Ivoire est tellement avancé dans sa structuration que cela va casser le pays. Ce sera la dernière bêtise qu’on nous imposerait avant de partir, mais je crois que la révolution se fera avant.

Diplomatie

La nomination de diplomates…

Vous dites qu’on a vu des changements à Paris, à Genève, à New York, mais on n’en voit pas en Afrique. C’est juste, mais c’est nous qui avons pris ces dispositions-là. Quand le gouvernement a été nommé le 5 décembre 2010, comme le dossier de la Côte d’Ivoire se débattait au Conseil de sécurité des Nations Unies, le reflexe que nous avons eu a été de nommer rapidement des ambassadeurs dans les cinq pays qui sont membres permanents du Conseil de sécurité. Ce sont les cinq premiers qui ont été reconnus, ensuite nous avons nommé les autres. Nous avons déjà désigné des ambassadeurs pour l’Afrique. Il n’y a aucun problème à ce niveau. Je me souviens que pendant ma tournée, des présidents m’ont demandé quand est-ce que nous leur envoyons des ambassadeurs.

C’est parce qu’en décembre dernier, il était extrêmement urgent de nommer des ambassadeurs dans les cinq pays membres du Conseil de sécurité. En Chine, nous avons gardé l’ambassadeur Koffi Nicaise qui reconnaît Alassane Ouattara comme président. A Paris, c’est Ally Coulibaly, celui de Genève c’est Kouakou Adjoumani. Nous avons envoyé quelqu’un à Bruxelles, pareil en Grande Bretagne et en Russie. Pour la sous-région, nous avons déjà proposé des noms, les reconnaissances des pays africains se feront de façon cadencée. (…)

Propos récueillis par
BAMBA Idrissa

Soir Info

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