Touré Al Mustapha était le président de l’association J’aime Gbagbo. Comme le Premier ministre Guillaume Soro, il a choisi de
reconnaître la victoire électorale d’Alassane Ouattara. Visiblement, ses anciens amis lui en tiennent rigueur… Depuis son refuge à l’étranger, il raconte.
Touré Al Mustapha : « J’ai été partisan de Gbagbo pendant dix ans, mais là c’est trop. »
Les Afriques : Vous êtes l’une des figures des Jeunes patriotes. Comment s’explique aujourd’hui votre « défection » du camp de Laurent Gbagbo ?
Touré Al Mustapha : Je n’ai pas fait défection. J’ai, en tant que citoyen ivoirien, opté pour la reconnaissance du suffrage populaire. Il est vrai que je suis un membre actif des Jeunes patriotes. J’accompagne et je soutiens Laurent Gbagbo depuis dix ans. J’admire son courage. Tout cela étant, j’ai choisi de sortir des rangs et de parler. Il ne faut pas se taire lorsque notre voix peut aider à faire triompher la vérité.
« Je constate que depuis mon départ Charles Blé Goudé n’arrive plus à rassembler les jeunes. J’ai transmis un message à plusieurs d’entre eux leur demandant de refuser de se faire envoyer à l’abattoir pour Charles Blé Goudé. »
LA : Comment cette prise de position a été accueillie par le camp Gbagbo ?
TAM : Après la proclamation de la soi-disant victoire de Laurent Gbagbo par le Conseil constitutionnel, tous les leaders des Jeunes patriotes se sont empressés de faire des déclarations publiques de soutien. J’ai été le seul à ne pas le faire et cela a suscité plusieurs rumeurs. Lors de l’investiture de Laurent Gbagbo, j’ai donc été accueilli froidement à la présidence. La sécurité m’a même bloqué avant de se raviser. Dès que j’ai franchi les grilles présidentielles, j’ai été reçu par Charles Blé Goudé en personne qui m’a fait signifier qu’il y a beaucoup de rumeurs qui évoquent mon soutien à Alassane Ouattara. Il m’a alors demandé de faire une déclaration de soutien au président Gbagbo. J’ai dit que j’avais compris. Par la suite, j’ai reçu des avertissements musclés. Un escadron de douze personnes est venu chez moi. J’ai tout juste eu le temps de m’échapper par une porte de derrière. Ma maison a été saccagée et brûlée. Idem pour mon complexe hôtelier. L’Onuci est venue faire le constat. A travers ces représailles, c’est un message clair envoyé à tous les pro-Gbagbo qui s’aviseraient de reconnaître la victoire de Ouattara.
LA : Quel a été votre rôle au sein de la galaxie des patriotes ?
TAM : J’étais le numéro deux du mouvement des Jeunes patriotes. Je constate que depuis mon départ Charles Blé Goudé n’arrive plus à rassembler les jeunes. J’ai transmis un message à plusieurs d’entre eux leur demandant de refuser de se faire envoyer à l’abattoir pour Charles Blé Goudé. Dommage d’ailleurs que le camp Ouattara n’ait pas pris langue avec ces patriotes qui ne sont pas aussi acquis à la cause de Blé Goudé qu’on le pense.
LA : Comment voyez-vous l’issue de cet imbroglio politique en Côte d’Ivoire ?
TAM : Malheureusement, les émissaires de la CEDEAO n’ont pas eu l’idée d’associer aux pourparlers des proches de Laurent Gbagbo et des leaders du FPI comme Mamadou Coulibaly, l’actuel président de l’Assemblée nationale, ou encore Abderrahmane Sangaré, sa seconde épouse, etc. Il y a un certain nombre de personnalités emblématiques qui peuvent influencer Gbagbo. Une rencontre en terre neutre (Burkina Faso par exemple) entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara pourrait décanter la situation.
LA : Donc, il est encore possible qu’il quitte pacifiquement le pouvoir ?
TAM : Non, je ne crois pas à cette éventualité. Au fil des jours, les positions se radicalisent. Pourtant, il y a deux semaines, il a failli partir en Angola. L’information a circulé dans le camp présidentiel.
LA : Quels sont aujourd’hui ceux des proches de Gbagbo qui sont les plus opposés à son départ ?
TAM : Il y a bien évidemment Charles Blé Goudé, leader des Jeunes patriotes, la première dame, le président du FPI, Pascal Affi Nguessan, le secrétaire général de la présidence, Désiré Tagro. En fait, ce sont les têtes de liste de la fameuse liste noire. Ce sont là les faucons. Quant à ceux qui pensent le contraire et qui sont susceptibles d’aider Gbagbo à reconsidérer la situation, ils sont tout aussi nombreux. J’ai cité Mamadou Coulibaly, président de l’Assemblée nationale. Il y aurait aussi Laurent Donat Fologo.
LA : Quid de l’armée ivoirienne ? Est-elle vraiment fidèle à Laurent Gbagbo ?
TAM : L’armée est divisée. D’ailleurs elle a voté Ouattara à 63%. C’est la Garde républicaine qui joue les principaux rôles depuis longtemps. Le chef d’état-major, le général Mangou, est effacé et ne gère pas vraiment la situation. Ce sont les éléments du général Bruno Dogbo Blé (Ndlr : chef de corps de la Garde républicaine) qui bloquent l’accès menant à l’hôtel du Golf, où sont retranché Alassane Ouattara et son gouvernement.
LA : De l’extérieur, on a été un peu surpris de voir l’appel à la grève lancé par Alassane Ouattara recueillir peu d’échos ?
TAM : C’est compréhensible. Il faut savoir qu’Abidjan ville reste un bastion de Gbagbo. Il a gagné dans cette ville au premier et au deuxième tours. Ouattara est populaire à Yamoussoukro, Bouaké, Korhogo, dans les villes de l’intérieur en général.
LA : Des hommes armés étaient à vos trousses. Y-a-t-il des escadrons de la mort à Abidjan ?
TAM : Non, pas encore. Par contre, il y a des miliciens libériens qui avaient combattu la rébellion et qui vivent depuis près de la frontière. On fait appel régulièrement à ces miliciens.
LA : Avez-vous été surpris de la position de Guillaume Soro ?
TAM : Non, à vrai dire non. Le Premier ministre a rempli sa mission qui était de préparer les élections. Ce n’est pas facile de travailler avec Laurent Gbagbo. Guillaume Soro a été d’un sens de responsabilité hors du commun, allant même jusqu’à fermer les yeux sur un attentat qui visait son avion. Il a fait son devoir de défendre le vote des Ivoiriens.
LA : Est-ce que dans le camp de Laurent Gbagbo, ce scénario de rejet des élections était écrit d’avance ?
TAM : Oui. Il n’était pas question de perdre. Notre slogan le résume : « On gagne ou on gagne. » Soit c’était par les urnes, soit par la force. Toutes ces négociations, discussions que Gbagbo souhaite aujourd’hui, c’est pour gagner du temps et avoir la communauté internationale à l’usure. On doit respecter la voix du peuple. La légitimité prime sur le droit. J’ai été partisan de Gbagbo pendant dix ans, mais là c’est trop. On ne peut pas annuler d’un trait le résultat de sept départements. C’est du jamais vu dans l’histoire.
LA : A quel moment le camp de Gbagbo a su que Ouattara avait gagné ?
TAM : Quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, le 28 novembre 2010. Entre 23h30 et 1 heure du matin, nous étions au courant qu’Alassane Ouattara avait gagné. Le comptage se faisait presque en simultané depuis le QG installé au sous-sol du siège, où l’on recevait par téléphone tous les résultats, bureau de vote par bureau de vote. Le lendemain à 10 heures, on avait reçu tous les résultats. Une grande agitation régnait chez les leaders. Décision fut prise d’empêcher la CEI de publier les résultats coûte que coûte. C’est là que certains, dont moi-même, avons dit que ce serait suicidaire sur le plan de la communication, compte tenu de la présence des médias internationaux. Finalement, la consigne était d’empêcher la CEI de publier les résultats jusqu’à l’expiration du délai de trois jours. Et là toutes formes de contestations furent utilisées, jusqu’à l’empêchement physique, filmé heureusement par une caméra et qui a fait le tour du monde. Le reste n’est pas surprenant. Le président du Conseil constitutionnel, député FPI, ancien ministre de la Sécurité, proclame la victoire de Gbagbo…
Adama Wade Lesafriques.com
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