Par Christophe Champin – RFI
A bientôt 60 ans, Alpha Blondy n’avait jamais fait l’objet d’un véritable documentaire. C’est fait. Diffusé ce vendredi et ce samedi sur la chaîne de télévision France Ô Alpha Blondy, Un combat pour la liberté, de Dramane Cissé et Antoinette Delafin, est un portrait réussi du pionnier du reggae africain.
Beaucoup d’émotion, d’applaudissements et même de larmes, lors de l’avant-première, à Paris, du film Alpha Blondy, Un combat pour la liberté, le 9 février dernier. « Vous m’avez fait pleurer », a avoué la star du reggae ivoirien, après la projection. Sans doute parce que, malgré plus de trente années de carrière, c’est la première fois qu’un long métrage documentaire lui est consacré. Un film sur et par Alpha Blondy, car Dramane Cissé et la journaliste de RFI Antoinette Delafin, auteurs et réalisateurs, ont choisi de donner avant tout la parole au chanteur.
Seydou Koné, de son vrai nom, retrace sont itinéraire à travers des interviews, entrecoupées de nombreuses images d’archives, obtenues de haute lutte auprès de la Radio télévision ivoirienne (RTI). Des petits bijoux qui fleurent bon la nostalgie des folles années 80, celles du « miracle ivoirien » et d’un intense foisonnement musical. On y voit, par exemple, Alpha Blondy, en 1981, mince jeune homme l’air canaille avec sa casquette sur la tête, entonner « Bintou were were », au cours d’une émission de télévision.
Pendant la projection à Paris, des spectateurs, portés par la musique, n’ont d’ailleurs pu s’empêcher de fredonner cette chanson, devenue un tube bien au-delà de la Côte d’Ivoire. Elle a marqué le début d’une fabuleuse carrière internationale, rappelle le film. Elle l’a mené jusqu’à des lieux inattendus, Israël notamment, où Alpha Blondy est une grande vedette, depuis son célèbre titre « Jérusalem », enregistré avec les Wailers, dont une partie du refrain est chanté en hébreux. Lui qui répète souvent qu’il lit tout autant la Bible que le Coran est fasciné par ce pays. Dramane Cissé et Antoinette Delafin l’ont donc suivi lors d’une tournée israélienne. On le voit s’émerveiller lors d’une visite des lieux saints et adulé par le public lors d’un concert.
Pour autant, Alpha Blondy, Un combat pour la liberté, n’est pas une hagiographie. L’artiste a accepté d’y évoquer des facettes moins glorieuses de son parcours, la drogue, le passage en hôpital psychiatrique. « Un jour quelqu’un m’a passé un joint, dedans, il y avait de la poudre d’ange [une drogue dure] mélangée à de l’herbe. C’est ces deux « tafs » qui m’ont emmené cinq ans à l’hôpital. Je n’étais pas malade, j’ai été empoisonné », assure Alpha Blondy.
Contradictoire mais visionnaire
Controversés également, ses incessants changements d‘allégeance politique. Alpha Blondy a été successivement anti puis pro-Houphouët-Boigny. Il s’explique : « Je voyais que les rastas de Jamaïque vénéraient Haile Sélassié [ancien souverain éthiopien] et je me suis dit: nous avons aussi le nôtre, c’est Houphouët-Boigny ». A la mort du père de l‘indépendance, en décembre 1993, il soutient son successeur Henri Konan Bédié, dont il contestera ensuite le concept xénophobe d‘ivoirité, pour se tourner vers son rival, l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara, comme lui musulman du nord et principale cible de cette politique. Mais lors de l’élection d’octobre 2000, le chanteur appuit la candidature de Laurent Gbagbo, alors que l’opposant est le seul candidat de poids retenu contre le général Gueï, chef d’une junte militaire arrivée au pouvoir dix mois plus tôt. Soutien renouvelé, rappelle le film, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2010. Ce qui vaudra à l’artiste de nombreuses critiques dans l’autre camp, même s’il a, depuis, appelé son « frère Gbagbo » à reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara. Devant la caméra, en guise de justification de ces revirements, Alpha Blondy dit suivre un conseil d’Houphouët-Boigny qui lui aurait dit un jour: « Pourquoi nages-tu à contre-courant, c’est plus facile de nager avec le courant pour avoir droit cité ».
Malgré ses contradictions, qu’il assume, le chanteur ivoirien fut, rappelle le documentaire, l’un des premiers à évoquer des risques d’explosion dans son pays et à lancer des avertissements en direction d’une classe politique qu’il juge pyromane. « La querelle des politiciens est entrée dans l’armée, sauf miracle, ça va péter », prévient-il dans l’un des entretiens, filmé courant 2000. Deux ans plus tard, la Côte d’Ivoire, a sombré dans la guerre civile. Devenu, par la suite, ambassadeur des Nations unies pour la paix, Alpha Blondy, s’est mué en médiateur, avec quelques succès. Mais « sa » Côte d’Ivoire, comme il aime à dire, a replongé, fin 2010, dans une crise inédite, avec deux hommes, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, qui revendiquent tout deux la victoire à la dernière présidentielle.
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