Philippe YOULOU, AVOCAT – Barreau de Nice
Plus l’Etat est corrompu, Plus les lois se multiplient…
Une de ces phrases écrites pour toujours. Et vraie partout. L’humanité est là. On peut remplacer « respublica » par « l’État », de façon moderne, ou par « la démocratie » si l’on préfère affirmer sa préférence pour la liberté ou par « société civile » par souci de neutralité. Les gouvernements s’ils ne sont pas spécialement visés ici, ils ne sont pas innocents : je parle la société africaine tout entière.
Tacite écrivit cela dans les Annales (III, 27). Il n’énonce pas là le constat d’un déclin spécifique. A l’entendre, à Rome, et à cet égard, tout fut déclin, enfin dès après les Douze Tables des décemvirs. Autrement dit, à l’aurore seulement, une législation joue son vrai rôle : elle assure l’équité. Ensuite, très vite, très tôt, le temps corrupteur courant sur son ère, les lois se voient détournées de leur but. Naturellement, parfois elles servent encore, elles se multiplient comme moyens de se débarrasser d’un adversaire, de se venger d’un groupe, d’empêcher un puissant de monter davantage. Elles ne s’écrivent plus pour tous, dit l’historien, mais contre quelques-uns.
Qu’on pense à nos lois de circonstance, ajoutées les unes aux autres aussitôt qu’un gêneur s’impose, ou plus souvent arrachées par quelque groupuscule qui crie plus fort que l’orage, en dépit de son étroitesse.
Ceci revient à du détournement, à de l’instrumentalisation. Il y a autre chose encore. Ce que l’on peut appeler l’État, ou plutôt la société dans son ensemble se corrompt par la progressive désobéissance aux lois. Celles-ci deviennent obsolètes par leur simple désaffectation. Aussi faut-il constamment en ajouter d’autres, qui subissent le même sort. Les auteurs grecs ont pointé le doigt avec grande finesse sur cette misère. La dégradation vint ici en un temps court parce que d’une manière générale pour les Grecs tout alla si vite. On ne respecte plus les lois, dit Isocrate et à celui qui a perverti le plus de citoyens, nous confions les charges les plus importantes… Le fond de l’affaire, c’est que les vertus ont changé et ne correspondent plus aux lois. Les vertus sont dorénavant : la ruse, le malin, l’audace du bandit, du voyou… Ainsi la transgression de la loi passe-t-elle pour une sorte de code d’honneur. Mais chacun se rend compte, et en haut lieu le « législateur », qu’une société de cette manière s’enfonce et périt. Aussi l’on proclame et promulgue des lois toujours plus sophistiquées et nombreuses, aptes tout juste à calmer temporairement nos inquiétudes, et sûrement pas à répondre à la question. Comme le sauvage magicien, on soigne la flèche et non pas la blessure. Le mal est dans les mœurs, non dans les lois. Ni aucun tombereau des lois. Et même un policier derrière chaque citoyen ne changerait rien, car le policier lui-même est citoyen, et dans ce cas, vénal comme les autres.
Quand une République est corrompue, il faut s’en prendre aux mœurs, il faut s’en prendre au dictateur et ce sont eux qu’il faut changer. Non sans peine. Comme il est simple de faire voter une loi ! On a le bonheur de croire qu’on décrète la vertu ! Quelle merveille que l’autorité gouvernante ! De courte durée, néanmoins. Ce n’est pas ainsi qu’on réforme les mœurs. Il y faut la transmission et l’éducation. Mais surtout : des efforts continus et épuisants, pendant qu’on vote une loi dans son fauteuil, sans y penser et en signant son courrier.
La multiplication des lois est le fait d’une République aux mœurs corrompues, au législateur corrompu, qui n’a pas le courage ni la volonté de s’opposer à cette corruption, parce que le dictateur est lui-même corrompu et croit y remédier en brandissant des textes qui ne sont en général pas mis en application. Enfin, fais semblant d’y croire. Car peu sont dupes. Une République stable et saine serait celle dans laquelle la décence commune suffisamment partagée permettrait de se suffire de peu de lois, mais appliquer. Beaucoup en rêvent. Cela ne se décrète pas comme une loi supplémentaire.
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