M. Djué Eugène est fils de Bouaké et membre du haut conseil politique de La Majorité Présidentielle (Lmp). Il a suivi le déroulement du scrutin du 28 novembre 2010 et en raconte les péripéties dans cet entretien. Eugène Djué fait également des propositions au panel des chefs d`Etat de l`UA.
L`Union Africaine a décidé de l’envoi de cinq chefs d’Etat en Côte d’Ivoire pour évaluer la situation post-électorale. Quel commentaire faites-vous ?
Le sommet de l’UA et le communiqué qui en a découlé m’inspirent trois idées fondamentales. La première; c’est la précipitation injustifiée, non fondée de l’ONU. La deuxième, qui est une petite conséquence, exprime son intention de mettre Alassane Ouattara au pouvoir, donc de déloger Gbagbo. La troisième idée, c`est que ce communiqué lui-même nous dit clairement un réveil de l’Afrique digne. C`est-à-dire le recul de ceux qui avaient décidé de vendre l’Afrique, de la soumettre à la domination des puissances, ou qui avaient décidé de détruire la Côte d’Ivoire et de l’humilier sur l`autel de leurs intérêts particuliers. Il s’agit de quelques chefs d’Etat africains qui ont très rapidement endossé, nous le savons, les idées de Sarkozy et d’Obama qui tendaient à nier la Constitution ivoirienne, en faisant croire que seule la certification de l’ONU suffisait pour valider les élections en Côte d’Ivoire. En somme, je vois un communiqué qui dit qu`Alassane Ouattara doit être considéré comme président. En référence à toutes les résolutions antérieures, celles de l’UA et de la CEDEAO. Et en même temps, ce communiqué annonce une mission d`évaluation d`un mois. Vous conviendrez avec moi qu`on ne vient pas durant un mois pour demander à un chef d’Etat de partir du pouvoir. C`est-à-dire que le panel qui vient, va forcément évaluer la situation. C’est peut-être un langage diplomatique qui veut qu’on dise ce qu’ils ont dit. Mais en même temps, il faut faire attention à l’idée selon laquelle les décisions de ce panel seront contraignantes. Je vois en cela un GTI (Groupe de Travail International ndlr) bis. Au total, le chemin emprunté par les chefs d’Etat est à saluer. C`est-à-dire, la décision de prendre en main la crise ivoirienne par les Africains. Il ne reste plus qu’à en tirer toutes les conséquences; c`est-à-dire adopter des démarches et méthodes tirées de la sagesse africaine, à toutes les étapes de la procédure. Au terme de ses travaux, le panel doit se contenter de faire des observations et conclusions qui serviront aux instances compétentes de l’UA pour prendre des décisions. Je pense que c’est la meilleure manière d’aller jusqu’au bout dans la logique que l’UA a empruntée. Mais avant toute chose, l`Ua devrait, pour être cohérente avec sa démarche, suspendre les mesures individuelles et collectives déjà prises à l`encontre de la Côte d`Ivoire, pour permettre le dialogue et les reflexions dans l`équité et la sérenité.
Le secrétaire général de l’ONU a marqué son oppposition à un recomptage des voix et à un partage de pouvoir. Comment pensez-vous que cette crise pourra prendre fin ?
Justement, Ban Ki Moon jusqu’à maintenant s’est comporté comme porte-parole d’Alassane Ouattara. C’est dans cette logique qu’il est. Et il va falloir que l’Afrique digne tape encore du point sur la table pour le faire taire afin que le règlement de cette crise puisse se faire dans le calme et la sérénité. A d’autres époques, nous aurions réagi conséquemment à ces propos inacceptables.
Mais aujourd’hui, nous avons décidé d’aller à l’essentiel. Ban Ki Moon a dit que « le recomptage des voix serait une injustice grave.». Je me demande en quoi est-ce que recompter des voix est une injustice. Plusieurs questions se posent. Ban Ki Moon cache-t-il quelque chose qu’on va découvrir et qui sera contre son candidat? Moi je soupçonne ce monsieur. C’est pourquoi plus il parle, plus le recomptage des voix devient indispensable. C’est Ban Ki Moon qui a créé le désordre dans le pays. Aujourd’hui, ce que je voudrais dire précisément sur ces différentes, c’est qu`il est en train de créer sa guerre en Côte d’Ivoire.
Que dites-vous de la présence du président Blaise Compaoré dans le panel ?
La présence de Blaise Compaoré est fâcheuse et inadmissible. Parce que compromettant assez gravement la sincérité, la crédibilité de ce panel. Nous connaissons les positions de Blaise Compaoré. Il a été médiateur dans cette affaire, il n’a pas pu résoudre le problème. Il serait intéressant qu’il reste à l’écart et qu’on le prenne pour une personne ressource dont les avis, les informations et autres éléments dont il dispose serviront au panel pour travailler. Sa présence n’est pas bien, du point de vue éthique, pour lui-même et pour cette commission. L’UA aurait dû penser à une autre personne que Blaise Compaoré.Sa présence ne rassure pas tous les acteurs.
En tout état de cause, je crois que sur les cinq chefs d’Etat, Compaoré ne peut pas imposer son point de vue. Je ne crois pas qu’il sera en mesure d’influencer sur les décisions dans cette commission. Nous le récusons, mais il ne faut pas qu’il croie qu’il nous effraie. Il ne nous effraie pas, nous l’attendons.
Vous avez été un des acteurs majeurs des élections à Bouaké. Aujourd’hui, au regard de la certification de M. Choi et de ce que vous avez vu, qu`est-ce que vous pouvez dire exactement ?
Ce qui s’est passé à Bouaké est effroyable. On ne peut pas dire qu’il y a eu des élections justes, transparentes, équitables et donc incontestables. A Bouaké, les élections se sont passées dans une atmosphère de peur généralisée, qui a altéré la sincérité du scrutin. D’abord avant les élections, il y a eu des actes qui ont effrayé, et traumatisé les populations. Les Forces nouvelles se sont fortement impliquées dans la campagne, et c’est pratiquement sous les armes qu’on donnait les instructions de vote pour le candidat du Rhdp ou contre le candidat de Lmp. Toute personne portant des tenues à l’effigie du candidat LMP était systématiquement agressée. A trois jours des élections, c`est-à-dire mercredi 24 novembre 2010, toutes nos délégations qui étaient parties pour la campagne ont été agressées. Au départ, nous avions cru à des crimes ordinaires.
Mais quelle que soit leur nature, ces attaques ont traumatisé nos populations, nos équipes de travail et l’ensemble des militants et sympathisants LMP. Le samedi 27 novembre 2010, quatre de nos QG (Quartier Général, ndlr) de campagne ont été attaqués. Il s`agit des QG de Koko-Bamoro, de Ahouanssou, d’Air France et de Belleville N’Dènou. Tous ces QG ont été attaqués par des militants du RHDP accompagnés par des hommes en armes. Le Rhdp était libre de faire la campagne, pendant que nous ne pouvions pas mobiliser nos militants. Le dimanche 28 novembre 2010, jour des élections, tout commence à partir de 11h. Un premier groupe de nos représentants de bureau de vote est arrêté. Nous saisissons le Premier Ministre Soro, pour le lui dire. Au bout d’une demi-heure, ils sont libérés, mais grièvement blessés et traumatisés suite aux bastonnades dont ils ont été l’objet lors des arrestations. A partir de 13h, une chasse à l’homme s’engage dans la ville de Bouaké, dirigée contre les militants LMP principalement les représentants de bureaux de vote, les assesseurs, les superviseurs. Tous sont arrêtés automatiquement et déportés dans les camps. On m’appelle de partout, car en tant que membre du Haut Conseil Politique de Lmp, je représentais en quelque sorte la direction nationale de campagne. J’étais obligé moi-même de prendre ma voiture et d’aller vérifier ce qui se passe sur le terrain. Nulle part on a trouvé effectivement des représentants de bureau. Tous avaient déserté les lieux de vote. Je suis ensuite allé chez le préfet à qui j`ai fait remarquer que les représentants Lmp avaient tous quitté les bureaux de vote à cause des violences et des menaces de la part des éléments des Forces nouvelles. Le préfet m’a répondu qu’il venait de faire le même constat, mais qu’il pense que nos représentants ont eu tort de partir et qu’ils devraient rester quelle que soit la situation. Je lui ai rétorqué que ces jeunes avaient à choisir entre la vie et la mort, et qu’ils ont choisi la vie. Le préfet ne partageait pas mon avis, mais semblait m’avoir compris d’autant plus que dans sa tournée, il avait lui-même dû intervenir avec l’aide du CCI dans une école, pour arracher un de nos représentants des mains de ses bourreaux. Il convient de préciser que nous n’avons pu voir aucun observateur inernational sur le terrain. De toutes les façons, à la suite des violences, nos représentants ont fui Bouaké. Ils n’ont donc pas pu faire leur travail. Ils en ont été empêchés.
Cela fait plus de deux mois que dure la crise, et vous êtes restés silencieux tout ce temps. Pourquoi avez-vous décidé de parler maintenant ?
J’ai fait un rapport que j’ai déposé à la direction nationale de campagne, qui a été transféré au Conseil constitutionnel. Après, j’ai jugé bon de ne pas mettre de l’huile sur le feu. L’essentiel pour moi, c’était que le Conseil constitutionnel le sache. Vous savez, le regain que connait cette crise que nous traversons depuis 2002 me fait beaucoup de peine. Nous avons fait beaucoup de sacrifices et pris beaucoup de risques avec l’espoir d’en sortir le plus vite possible, et nous étions près du but. Revenir si loin en arrière n’est pas du tout drôle pour moi. C’est par respect pour le peuple que je ne crie pas sur tous les toits. Maintenant, j’en parle parce que c’est nécessaire.
Si en dépit de toutes ces irrégularités que vous avez relevées, ce panel décidait le départ du pouvoir de Laurent Gbagbo, qu’allez-vous faire ?
Si une telle décision est prise, c`est que ce ne serait plus seulement les fraudes qui sont mises en cause, mais il s`agirait de la remise en cause de nos Institutions. Je suis juriste de formation, et je n’accepte même pas qu’on recompte les voix. Il est inacceptable qu`on remette en cause les résultats définitifs donnés par le Conseil constitutionnel qui, en droit positif ivoirien, est le juge des élections. C’est le juge de dernier recours. Après son intervention, on parle d’autorité de la chose jugée. En principe, plus personne n’est habilitée à reparler des élections en Côte d’Ivoire. En le faisant, nous affaiblissons nos Institutions. Mais c’est au nom de la paix que le président Laurent Gbagbo a voulu encore une fois faire ces concessions, mais nous n’allons pas accepter qu`on nous demande l’impossible. Si après la preuve de notre bonne foi, on refuse de respecter nos Institutions, nous n’aurons plus d`autre choix que de nous battre, et nous sommes prêts aux sacrifices suprêmes. Nous allons nous battre avec joie et fierté pour la dignité de notre pays et pour la libération totale de l’Afrique. Il faut qu’une fois pour toutes, l’impérialisme occidental sache qu’il ne pourra plus prospérer sur le dos des Africains.
Réalisé par H. ZIAO
L’Inter
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