Par Pauline Tissot – L’express.fr
Affrontements à Abidjan, manque de liquidités, pression sur les exportations de cacao… La crise ivoirienne s’enlise alors que des négociateurs ont été dépêchés ce lundi pour apaiser les tensions. LEXPRESS.fr fait le point sur les tenants et aboutissants du péril ivoirien.
Les affrontements toujours présents
De violents affrontements ont eu lieu ce lundi à Abidjan entre manifestants et forces de l’ordre fidèles au président sortant Laurent Gbagbo, dans un quartier favorable à son rival Alassane Ouattara. Selon deux témoins, des habitants d’Abobo (nord) étaient sortis pour protester contre les « exactions » commises selon eux par les Forces de défense et de sécurité (FDS), dévouées à Laurent Gbagbo, durant les semaines de couvre-feu institué mi-janvier dans ce quartier. Les manifestants ont ensuite saccagé deux commissariats de ce quartier populaire, selon une source policière et des habitants. Trois morts seraient à déplorer, ce qui porte le bilan des violence post-électorales dans le pays à 271 morts depuis la mi-décembre, selon le dernier bilan de l’ONU.
Les négociateurs se suivent… et se ressemblent?
Un panel de cinq chef d’Etats africains – Mauritanie, Tchad, Afrique du Sud, Burkina Faso, Tanzanie -, a été nommé début février par l’Union Africaine, en marge du sommet d’Addis Abeba (Ethopie), afin de dénouer la crise politique qui dure depuis le 28 novembre dernier. Ils se sont réunis une première fois ce lundi pour constituer une équipe « d’experts », chargée d’entamer immédiatement les préparatifs des pourpalers entre les deux camps politiques de Côte d’Ivoire. Le panel, déjà taxé par Gbagbo de complicité avec la commission électorale qui a donné vainqueur le candidat Ouattara, devra présenter ses conclusions lors d’une réunion à Nouakchott le 20 février prochain.
Toutefois, ce dernier aura, selon les observateurs, une marge de manoeuvre assez étroite, car les dissensions au sein de l’UA restent nombreuses. Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a exclu d’entrée un recompte des voix, voulu par le camp Gbagbo et son allié angolais, qui serait « une grave injustice ». Le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Alain Leroy, a quant à lui écarté un « partage du pouvoir » à égalité entre les deux camps.
Du côté de l’Afrique du Sud ou de l’Ouganda, ces deux pays sont revenus ces derniers jours sur l’intransigeance affichée jusqu’à présent par l’UA envers Laurent Gbagbo, au nom de la nécessité de trouver une issue pacifique à la crise. Enfin, selon Jakkie Cilliers, de l’Institut des études de sécurité (ISS), Pretoria, sensible à la posture anti-colonialiste de Gbagbon, se serait aussi mis à dos le Nigéria, lassé de cette interminable crise dans son pré-carré. Dans tous les cas, la communauté internationale espère davantage de résultats que le maigre bilan fourni par le Premier ministre kényan Raila Odinga, jusqu’à présent médiateur de l’UA dans la crise ivoirienne.
Les sanctions économiques pleuvent sur le camp Gbagbo…
Le ministre français de la Défense Alain Juppé a assuré ce lundi à New York que la France allait appliquer « avec beaucoup de détermination » les sanctions financières contre le président sortant Laurent Gbgabo. Les Etats-Unis et l’Union européenne ont en effet pris une série de sanctions économiques contre Laurent Gbagbo, gelant notamment ses avoirs et ceux de ses proches le 14 janvier derniers. A ce stade, ce sont 91 personnes, dont le gouverneur démissionnaire de la BCEAO, Philippe Henry Dacoury-Tabley, et 13 entreprises ivoiriennes qui sont sous le coup de sanctions financières.
D’autre part, la BCEAO (Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest), dont les agences ivoiriennes ont été « réquisitionnées » par le camp Gbagbo, a transféré les pouvoirs de gestion des comptes du pays dans les mains d’Alassane Ouattara.
Dernier handicap pour le président sortant: les exportations de cacao, contrôlées jusqu’à présent par ce dernier et déterminantes pour l’économie de pays, ont été stoppées à l’appel de Ouatarra. Pour rappel, fin janvier, le prix de la tonne de cacao était de 3,420 dollars, une augmentation de 25% en deux mois. Il ne resterait donc au camp Gbagbo que les recettes de l’exploitation du port d’Abidjan pour gérer les affaires courantes du pays.
…avec un risque de faillite financière
Tous les observateurs s’accordent à dire que le pays, sous régime Gbagbo, est au bord de l’étranglement financier. La coupure du système électronique de « compensation interbancaire », qui permet aux banques du pays de travailler ensemble, risque de désorganiser profondément le système bancaire ivoirien. En urgence, le pouvoir a donc appelé les banques à recourir à la « compensation manuelle », à l’agence principale de la BCEAO à Abidjan, placée sous haute surveillance.
D’autant plus que, pour le régime, l’enjeu est « d’alimenter le système en liquidités » alors qu’il y a « de moins en moins d’argent pour faire tourner l’économie », désormais largement coupée de l’extérieur, analyse une source proche du dossier. Il y a un « risque que des banques ferment », souligne-t-elle. Signe que les caisses se vident: le camp Gbagbo n’a pas honoré le paiement prévu fin janvier de 30 millions de dollars d’intérêts d’un emprunt à des créanciers privés.
Par un effet domino, tous les secteurs de l’économie la plus puissante d’Afrique de l’Ouest sont aujourd’hui affectés par la crise. Fermeture d’entreprises, chômage technique, inflation, opérations d’import-export ralenties. « La situation socio-économique se dégrade drastiquement », estime la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI). Le carburant risquerait également de manquer, selon une organisation professionnelle du pays.
La solution pacifique s’éloigne
« La fenêtre est en train de se refermer pour un départ honorable et pacifique de Gbagbo accompagné d’une amnistie », a averti l’ambassadeur américain en Côte d’Ivoire Phillip Carter, au cours d’une visite à Washington le 4 février. Avant d’ajouter que Gbagbo n’avait plus les moyens de payer les forces armées ivoiriennes et que celles-ci allaient inéluctablement s’éloigner de son régime.
En effet, l’ONU considère que le régime Gbagbo aurait besoin chaque mois de 100 à 150 millions de dollars par mois pour payer ses 104 000 fonctionnaires et 55 000 soldats qui lui sont restés fidèles. Une somme que les observateurs jugent loin d’être réunie dans les caisses du camp Gbagbo. Selon Phillip Carter, Gbagbo en est réduit à « voler » des entreprises par le biais d’extorsion d’argent afin de verser les salaires des militaires.
De son côté, le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, Ali Coulibaly, a estimé qu’une opération de « force légitime », en cas d’échec de toutes les tentatives de persuasion menée actuellement par l’Union africaine, « ne serait pas aussi compliquée que ça », et « se passerait très vite », sans provoquer un risque de « guerre civile ». Elle viserait alors les trois généraux clé du régime sortant: Dogbo Ble Bruno, général de la Garde républicaine, Vagba Faussignau, amiral de la marine nationale, et le général Guiai Bi Poin, patron du Cecos, une unité d’élite anti-criminalité.
Ainsi, faute de rémunération et de leaders, les militaires, dernier rempart contre la chute de Gbagbo, se désolidariseraient finalement de leur chef. Et pourraient alors changer le cours des choses en Côte d’Ivoire.
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