Adjo Saabie / connectionivoirienne.net
Nous y voilà, en train de glisser vers un repli sur nous mêmes. Le Zimbabwé s’y est frotté, involontairement, avec Mugabé criant au passage sa haine de l’occident, et a terminé avec 231 millions pour cent d’inflation, avant de retomber dans les bras de l’Oncle Sam et… d’adopter le dollar comme monnaie depuis janvier 2009, lui permettant de retrouver des taux plus raisonnables de 3 pour cent par an. Quelle gifle pour celui qui se voulait le libérateur de son pays, d’en être réduit à faire la danse du ventre devant les Yankees!
Les commerçants en Côte d’Ivoire n’acceptent plus que de la monnaie en espèces. Fini la monnaie scripturale et plastique vers laquelle les pays avancés tendent. Retour au vieux cash avec ses billets tristement flétris sentant vaguement le poisson fumé, sortis on ne sait de quel pli de quelle partie du corps, dont l’aisselle serait par exemple parmi les plus nobles.
Mon attiéké toxique ou rien
A ceux qui se plaignent de leurs vêtements vieillissants du fait du ralentissement de l’économie, réjouissez vous d’avoir encore des vêtements! En effet, à l’allure où vont les choses, bientôt, nous risquons de n’avoir plus que nos ablakon ou kodjo (cache-sexe) car plus personne ne voudra commercer avec nous hormis nos lointains amis asiatiques, ceux-qui-aiment-l’Afrique-au-nom de leur partenariat « gourmand-gourmand », pardon, « gagnant-gagnant ». Ils nous aiment tellement qu’ils nous couvrent de plastique, de verroteries scintillantes et toutes sortes de choses qui font croire au plus pauvre d’entre nous qu’il a un pouvoir d’achat… au risque de tuer nos pauvres industries locales. Mais bon, ce n’est pas trop grave, au nom de l’amitié des peuples.
En ce qui me concerne, je vais faire comme Tantie Simone nous exhorte de faire depuis des années: Consommer ivoirien, ne pas laisser les étrangers nous piquer nos places et défendre notre pain national! Pour ce faire, j’ai déjà réservé mon emplacement au bord de la lagune-aux-déchets toxiques pour pêcher mon poisson radioactif chaque jour, que je vais manger avec attieké de Bonoua. Je vais faire l’impasse sur les oignons car bientôt les Haoussa ne seront plus là, sur la viande de boeuf aussi car ça vient du nord. Et si je suis fatigué d’attiéké-poisson, je vais chercher du gibier dans la forêt classée.
J’ai repéré certains arbres au Banco dont les fruits me rassasieront les jours difficiles et les branches me permettront de faire du feu, car il y aura bientôt rupture de stock de gaz butane. Pourquoi craindre les délestages d’électricité quand on sait que la nuit est faite pour dormir? De toutes façons après avoir couru toute la journée après ma nourriture, je vais m’écrouler, épuisé, sur ma natte fabriquée 100 pour cent en Chine. Et me lever le matin pour aller pêcher, chasser ou cueillir.
Nouveau système économique : le troc pour moi, la bourse ou la vie pour les autres
Nous pourrons enfin créer notre propre système économique: J’échangerai mon deuxième poisson toxique-à-six-yeux avec celui de ma voisine qui aura 10 yeux, lui, ou alors contre quelques grains de riz, vestiges du bonheur passé. J’offrirai aussi mes services contre un plat chaud. Mais comme tout le monde risque d’offrir les même services, et que tout le monde ira à la recherche de la même nourriture, on dirait que ça ne va pas marcher. Ce modèle économique n’a rien d’original, il date d’une époque primitive non pas propre à l’Afrique. Nos ancêtres avaient bien plus d’intelligence et étaient bien plus avancés que nous. Ils commerçaient entre zones forestières et de savanes, avaient des échanges avec l’extérieur. Et on leur pardonne leurs superstitions et relative cruauté, propre à leur temps où les malentendus étaient nombreux. Un geste mal interprété vous valait la mort sur le champ
A l’heure d’Internet et du satellite, certains de nos dirigeants ont gardé ces superstitions assorties d’une certaine cruauté. Interprétant mal certains signaux, peut-être à cause de complexes d’une d’autre époque?
A l’échelle de Simone et Laurent, qui ne sont pas touchés par notre vulgaire système de troc, c’est la réquisition des compagnies privées au gré des besoins. Pas moins! C’est donc la bourse ou la vie pour toute compagnie implantée en Côte d’Ivoire refondue.
Le casse du siècle… ou la banque de proximité?
Un beau matin, le régime Gbagbo, reparti à l’époque de la cueillette, de la chasse et de la pêche, armé de gourdin, tel Cromagnon, fait une descente…dans une banque appartenant à sept autres Etats que la Côte d’Ivoire, pour piocher dans la caisse. Mauvaise surprise, il ne « cueille » pas grand’ chose, car il se trouve que la BCEAO active ou désactive des codes à distance. Et il découvre donc que l’intelligence a remplacé le muscle de nos jours. Il ne récolte donc que quelques miettes, à peine dix pour cent des salaires des fonctionnaires, mais peut être de quoi payer des mercenaires, pouvant être considérés comme d’autres fonctionnaires.
Avant d’être contraints de nous déplacer de liane en liane comme Tarzan, l’ablakon au vent ou le kodjo virevoltant de branche en branche, car nous devrons innover pour nous déplacer car nous n’aurons plus d’essence (la SIR est à sec) ni de voiture, ni même de vélo que nous regardons de haut de toutes façons car tout juste bon pour nos pauvres ex-frères Burkinabé, les Mossi comme nous aimons les appeler tous, avant donc d’en arriver là, il est bon de faire un petit rappel.
Le fantasme du modèle zimbabwéen et la monnaie de singe
A tous ceux qui rêvent du modèle zimbabwéen, je voudrais dire qu’après une relative normalisation, aujourd’hui encore, près de trois millions de Zimbabwéens vivent à l’étranger, du fait de cette hasardeuse dérive nationaliste qui a fait du Zimbabwe un mendiant de l’aide alimentaire après avoir été jusqu’en 1997 le grenier de l’Afrique australe. Qui parle du « Zim dollar » aujourd’hui? Il est symbole de pénuries d’essence, de pannes d’électricité, de trafics parallèles de devises à la Reserve Bank of Zimbabwe. Les paysans n’ont plus eu accès aux intrants agricoles, faute de devises pour les payer, le secteur agricole s’est effondré. Les industries pareil. Le Zimbabwe, à cours de carburant une certaine année et n’ayant que sa monnaie de singe, a dû avoir recours à du troc avec la Guinée Equatoriale. Est-ce ce qui nous attend?
La Côte d’Ivoire, auto-suffisante sur le plan alimentaire, pourra bientôt découvrir à ses dépends combien il est facile et rapide de perdre ses acquis. Elle n’en est « que » à 29000 réfugiés depuis début décembre. L’ONU estime que la crise pourra toucher 100.000 personnes et selon l’UNICEF, 800.000 enfants ne sont plus scolarisés en raison de la situation actuelle. Les planteurs de cacao ne sont plus payés avec le ralentissement de l’économie imposant des restrictions sur le cash, les fèves s’entassent dans les campagnes.
Les prix flambent sur les marchés, les Ivoiriens s’appauvrissent un peu plus chaque jour après dix ans de sur-place, de théoriciens et sociologues aux idées fumeuses, qui veulent faire de la Côte d’Ivoire le laboratoire de toutes leurs expérimentations qui n’auraient jamais dû quitter les manuels d’une époque révolue, et qui relèvent du bricolage.
Adjo Saabie
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