Bongo, Obiang, Sassou et l’AFFAIRE des « biens mal acquis »

Dr. Bongo en visite Yamoussoukro

Philippe YOULOU
Docteur en droit
AVOCAT au BARREAU de Nice
Libre propos

« Si la lutte contre la corruption fait partie également des intérêts généraux de la société dont la réparation doit être assurée par le ministère public , cela ne saurait priver une association crée spécialement pour lutter contre la corruption du droit de se constituer partie civile si cette association justifie, comme en l’espèce, d’un préjudice personnel s’inscrivant directement dans son objet statutaire ». En accueillant en ces termes la constitution de partie civile de l’association Transparence internationale France, dans l’affaire dite des « biens mal acquis », l’ordonnance du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris du 5 mai 2009 a légitiment fait progresser le dispositif judiciaire français de lutte contre la corruption.
Qualifiée d’historique par le président de l’ONG la décision de recevoir la plainte dirigée contre des « chefs d’État africain » de recel, de détournements de fonds, cela est courageux, fondé en droit, utile et conforme à l’idéal de justice .

Rendue dans un contexte politique explosif, cette décision est aussi juste processuellement que courageuse. Tout d’abord parce qu’elle contrecarre l’inertie du parquet qui, à deux reprises, a classé sans suite des plaintes simples, déposées en novembre 2007 par d’autres associations et en septembre 2008 par Transparence Internationale France. Le premier classement sans suite est pourtant intervenu à la suite d’une requête préliminaire au cours de laquelle la PIAC (Plateforme d’identification des avoirs criminels) et les policiers de l’OCRGDF (Office central de répression de la grande délinquance financière), chargés de répertorier le patrimoine immobilier des trois présidents et de leur famille et d’établir les conditions d’acquisition de ce patrimoine en identifiant les flux financiers correspondants, ont mis en évidence un financement du patrimoine « parfois atypique ». Dès lors, si une information est ouverte, la plainte, également dirigée contre X des chefs de complicité et recel de détournement de fonds publics, blanchissement, abus de biens sociaux risque d’impliquer des établissements financiers français.

La décision est pertinente ensuite, parce qu’elle intervient alors que le Parlement a repoussé l’amendement proposé par le rapporteur de la Commission des lois lors de la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la corruption , visant à permettre à toute association reconnue d’utilité publique et régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans qui se constituer partie civile à l’audience.
Cette décision est conforme au droit. Le raisonnement au terme duquel le juge conclut à la recevabilité de l’action civile de Transparence international France est irréprochable. L’ONG est une association à but non lucratif, créée en application de la loi du 1er juillet 1901, régulièrement déclarée en préfecture depuis 1995. Elle est une association ordinaire en ce sens qu’elle n’est pas reconnue d’utilité publique. Ainsi, aucun texte ne lui confère d’habilitation spéciale, à l’instar des associations œuvrant pour la protection du corps humain, de la moralité, de la famille, des consommateurs, de la liberté et de l’égalité ou encore de l’environnement, et dont la liste figure aux articles 2-1 à 2-21 du Code de procédure pénale. Cependant, cette absence d’habilitation ne suffit pas à dénier aux associations ordinaires le droit de se constituer partie civile. En effet, l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction (CPP, art. 2). C’est bien ce raisonnement qu’à mis en œuvre la chambre criminelle dans un arrêt du 12 septembre 2006 publié au bulletin , par lequel elle décide que la possibilité, offerte par la loi aux associations agréées d’exercer les droits de la partie civile en ce qui concerne les infractions qui portent un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre, n’exclut pas le droit, pour une association non agrée, qui remplit les conditions prévues par l’article 2 du Code de procédure pénale, de se constituer partie civile à l’égard des mêmes faits.

La question en suspend et qui conditionne la recevabilité de l’action civile de Transparence Internationale France est celle de savoir si l’association a personnellement souffert du dommage directement causé par les infractions alléguées?

A cet égard il faut fermement réfuter l’argument tiré de la nature d’infraction d’intérêt général des délits économiques et financiers d’atteinte à la prohibité. Avancée par le garde des Sceaux à l’appui du rejet de l’amendement lors des débats parlementaires sur la loi contre la corruption , la théorie ne peut prospérer. Fragilisée par la doctrine , la chambre criminelle y a mis un terme en matière de corruption en recevant la constitution de partie civile d’un contribuable, victime de corruption passive commise par un receveur principal des impôts qui avait exigé et obtenu de lui, la remise d’une somme d’argent en contrepartie de l’abaissement du taux de majoration de retard de 25% à 10% de l’impôt dont il était redevable. Le pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir déclaré recevable la constitution de partie civile “alors que les actions civiles fondées sur le préjudice découlant de la violation d’une obligation édictée dans un intérêt public ne sont pas recevables devant le juge répressif” et que “le délit de corruption passive de fonctionnaire protégeant exclusivement l’intérêt de la chose publique, l’action civile de M.A était irrecevable”. Mais la chambre criminelle condamne fermement le raisonnement: si le délit de corruption a été institué par la loi “principalement en vue de l’intérêt général, il tend également à la protection des particuliers qui peuvent (…) par le versement de dons en suite de la sollicitation dont ils ont fait l’objet, subir un préjudice direct et personnel dont ils sont fondés à obtenir réparation devant la juridiction pénale”. C’est donc à raison que l’ordonnance relève qu’ “une association défendant des intérêts collectifs de portée générale peut exercer l’action civile si elle subit un préjudice personnel directement causé par l’infraction poursuivie”. Il convient de noter que plusieurs décisions intervenues dans les matières relevant de l’intérêt général ont accueilli l’action civile d’associations œuvrant pour leur protection. Ainsi, un arrêt de la chambre criminelle du 14 janvier 19717 a admis que l’association créée pour conserver la mémoire des déportés peut agir en cas de poursuites pour apologie de crimes de guerre. De même, l’action du Comité national français contre le tabagisme a été déclarée recevable dans une poursuite pour infraction à la loi du 9juillet 1978 relative à la lutte contre le tabagisme8. Enfin, l’action des Parcs nationaux a été déclarée recevable pour un délit de chasse commis à l’aide d’engins prohibés9.
Pour déclarer Transparence international France recevable en sa constitution de partie civile, l’ordonnance rappelle l’objet de l’ONG qui est “de combattre et de prévenir la corruption au niveau national et international dans les relations d’Etat à Etat, d’Etat à personne physique et morales publiques ou privées et entre ces personnes” en développant des programmes d’informations, d’actions, de mission d’études, de sensibilisation, de formation, de soutien aux victimes, de manifestation dont le but est d’identifier tous phénomènes de corruption, de les dénoncer et de les faire cesser10. L’ordonnance constate que l’association justifie pleinement de la réalisation de ses objectifs de prévention et de lutte contre la corruption, comme l’attestent ses nombreuses publications, ses rapports annuels, ses rencontres, groupes de travail, lettres trimestrielles, son action d’aide aux victimes, ses campagnes de mobilisation et de sensibilisation, ses interventions notamment dans les instances nationales et internationales. ²Particulièrement elle relève que les actions conduites par Transparence Internationale France “pour la restitution des “biens” dits “mal acquis” (…) sont en parfaite correspondance avec les faits dénoncés concernant l’existence en France de biens pouvant provenir de détournements de fonds publics”. Le préjudice personnel subi par Transparence International France est de nature économique, il est directement causé par les infractions dénoncées “qui portent atteinte aux intérêts collectifs qu’elle défend et qui constituent le fondement même du combat qu’elle mène”.

La décision est utile et conforme à l’idéal de justice. Transparence International France lutte contre la corruption. Son action est utile et juste tant il est avéré que la corruption fausse les mécanismes institutionnels, perturbes les circuits financiers, entraîne un appauvrissement économique, un dérèglement économique et un délabrement social11.
La corruption rompt le lien social, elle affaiblit les valeurs fondamentales des sociétés et de leurs membres. Elle nie la primauté du droit et entrouvre la porte sur un univers fait d’arbitraire et d’incertain, un univers, sans droit ni justice. Au regard des effets qu’elle induit, nul ne disconviendra que la lutte contre la corruption mérite au moins autant que le combat contre le tabagisme d’être défendue12.

Au-delà il convient tout de même de faire remarquer que l’inaction chronique du parquet dans les mises en cause de chefs d’Etat étrangers dans les procédures pour blanchissement et recel de détournements de fonds crée en France un véritable sanctuaire pour le blanchissement des fonds criminels en permettant de les investir dans l’achat de biens immobiliers13. Il est clair que dans un tel contexte, l’ordonnance rendue le 5 mai 2009 fera date. Elle devrait être versée au débat déjà nourri sur la suppression du juge d’instruction et l’indépendance du parquet… La procédure est relancé devant le juge d’instruction.

7D. 1971, jurisprudence, p. 101, rapp. F. Chapar; JCP G 1972, II, 17022, note H. Blin
8Cass. Crim., 7 févr. 1984: bull. Crim. 1984, n°41, – Cass. Crim. 29 avr. 1986; bull. Crim. 1986, n°146. Enfin
9Cass. Crim., 8 févr. 1995: D. 1996, jurisprudence, p. 96, note D. Guihal 10

Pourtant la rupture avait été promis avec ce que l’on appelle “la FrançAfrique”. C’est ce que l’on avait compris après le fameux discours de Cotonou en 2006, au cours duquel dans une envolée lyrique, le candidat promettait de ne plus soutenir les chefs d’Etats corrompus. C’est la tête toute sonore de ces mots de rupture et de modernité que Rama Yade avait pu dire à l’Assemblée que”l’Afrique de papa, c’était terminé”. Eh bien le Parquet de papa vient de ramener notre ministre de sport à la réalité. En fait, les diplomates qui l’entourent le président sont divisés entre les orthodoxes de la FrançAfrique et les réformateurs, tenants de la rupture. Le président n’aura pas mis longtemps à choisir. En toute discrétion, dès septembre 2007, il décore Robert Bourgi, homme d’affaires, ami et conseiller officieux des potentas d’Etat pétrolier d’Afrique, l’archétype de la FrançAfrique. On le félicite pour son action en lui disant, je cite: “mon cher Robert, je sais pouvoir compter sur ta participation à la politique étrangère de la France avec efficacité et discrétion”, avant de le comparer au pape de la FrançAfrique et des coups tordus dans les années 60-70, Jacques Foccard “Jacques Foccard avait bien raison”, conclut le président ce jour là! C’est exactement l’inverse du discours de Cotonou, mais c’était à huis clos! Le problème est là, loin de tout angélisme. Au fond, pourquoi ne pas concevoir, comme l’avait théorisé le général de Gaulle, que “la France n’a pas d’amis mais que des intérêts”. La décision du Parquet nous montre que c’est toujours cette vieille vision qui domine. Mais alors, on est en droit de demander à nos dirigeants de nous épargner les discours moralisateurs sur la question. Relire le discours de Cotonou est, c’est vrai, aujourd’hui un exercice assez pénible.

11D. Dommel, Fac à la corruption: Karthala, 2003
12Philippe YOULOU – Article publié à la Revue PENANT 2007 “Economies informelles et criminalités: la face cachée de la mondialisation”.

13En début de mois de Mai 2009, le Parquet a fait appel contre la décision d’enquêter sur les biens en France de trois chefs d’Etat africains, celui du Gabon, de la guinée équatoriale et du Congo-Brazzaville. Ceci devrait pousser tous les acteurs de la vie politique à demander des explications à l’exécutif. Mais il n’y a eu que quelques articles fatalistes et fantaisistes, quelques commentaires désabusés du genre “ de toute façon, tous les présidents de la République ont fait pareil”. Pourtant, pour la première fois, une juge d’instruction ose ordonner une enquête après la plainte déposée par une association anti-corruption (Transparenty International). Depuis des années, cette association tente de faire ce que les habitants des trois pays concernés n’ont pas le droit de faire, demander que la justice enquête sur des possibles détournements de fonds commis par les présidents Bongo, Obiang et Sassou. On sait par exemple qu’Omar Bongo et sa famille ont 39 propriétés en France, 70 comptes bancaires, 24 propriétés et 112 comptes bancaires pour les Nguesso. Les trois pays en question sont producteurs de pétrole et très amis de la France qui le leur rend bien! Evidemment, les plaignants, et tous ceux qui connaissent ces pays et l’industrie pétrolière française, pensent que la richesse personnelle de ces trois potentas africains est le produit de la corruption. Pour la première fois, donc, un juge d’instruction français considère que la plainte d’une association est recevable. Et bien pour le Parquet, (donc, soyons clair), pour le ministre de la Justice, (donc, soyons clair), pour l’Elysée, c’est inconcevable. Donc… ça ne se fera pas. Pas pour l’instant en tout cas. Le Parquet fait appel et l’appel est suspensif.

Commentaires Facebook