Laurent Gbagbo tient encore. Pour le déloger du palais présidentiel d’Abidjan, l’option militaire reste officiellement ouverte. Mais ce serait une catastrophe politique pour son adversaire, le Président élu Alassane Ouattara, perçu comme « l’homme de l’étranger » par de nombreux Ivoiriens.
« Ouattara espère plutôt un départ de Gbagbo à la faveur de manifestations populaires, d’une crise économique et sociale », analyse Antoine Glaser, le fondateur de la La Lettre du continent.
Le « Boulanger d’Abidjan » (surnom donné à Gbagbo en raison de son aptitude à rouler son monde dans la farine) cherche avant tout à ne pas s’aliéner le soutien de ses partisans, malgré la stratégie d’étranglement financier déployée par la communauté internationale. Pour payer les fonctionnaires et l’armée, il a besoin d’environ 70 milliards de francs CFA par mois (137 millions d’euros).
Afin de ne pas voir ses réserves fondre trop vite, il a décidé de ne plus honorer le service de la dette extérieure. Fin décembre, les créances dues à la Banque mondiale, au FMI et au Club de Londres n’ont, selon nos informations, pas été remboursées. Il se montre aussi moins généreux avec les Jeunes Patriotes, dont les défilés, rémunérés, se raréfient.
Ouattara dégaine « l’arme du cacao »
A la mi-janvier, l’Union européenne et la Suisse, à la suite des Etats-Unis, ont gelé les avoirs financiers de Gbagbo ainsi que ceux de dizaines de personnes identifiées comme ses proches. Un peu tard : depuis le second tour de l’élection présidentielle, le 28 novembre, ils avaient eu le temps de prendre leurs précautions et de rapatrier une partie de leurs économies.
Laurent Gbagbo tire sa force du contrôle des recettes fiscales. Les chefs d’entreprise interrogés assurent qu’ils continuent à payer leurs impôts « pour que la machine tourne ». Certains évoquent des « intimidations ».
Sur les ports d’Abidjan et de San Pedro, les partisans de Gbagbo peuvent encore prélever des taxes sur les marchandises à l’import et à l’export. Même si le trafic est bien moins nourri depuis que l’Union européenne, qui représente 41% du commerce avec la Côte d’Ivoire, a interdit à ses navires marchands d’y effectuer des opérations.
Pression supplémentaire, Ouattara a décidé d’utiliser « l’arme du cacao ». Depuis l’hôtel du Golf, où il vit retranché, il a demandé lundi la suspension « pour un mois » des exportations de fèves. Elles représentent habituellement 30% des recettes du pays.
« Gbagbo a de quoi tenir jusqu’en mars »
Ces derniers jours, seules de petites sociétés (Safcacao, Omnivalu, Sucso, Tan Ivoire, Cabogha) ont bravé l’interdiction. Les grands groupes internationaux se sont pliés à l’exigence de Ouattara. Toutefois, selon Antoine Glaser :
« Gbagbo a vraisemblablement eu le temps, avant l’interdiction, d’encaisser de confortables DUS – ces droits uniques de sortie payés sur chaque tonne de cacao quittant le pays – auprès de grands chargeurs étrangers, en particulier Cargill et ADM.
Il contrôle aussi les sociétés de raffinage. Plusieurs millions de barils de pétrole ont sans doute fait l’objet de préfinancements. Tout confondu, Gbagbo a de quoi tenir jusqu’en mars. »
Mars ? Réunis le week-end dernier au Mali, les chefs d’Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont tenté d’accélérer le calendrier.
Ils ont contraint à la démission le gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Philippe-Henri Dacoury-Tabley. Cet Ivoirien est soupçonné d’avoir accordé autour de 70 milliards de Francs CFA (105 millions d’euros) de rallonge à l’administration Gbagbo alors que seule la signature d’Alassane Ouattara est normalement reconnue par son institution depuis le 23 décembre.
Main basse sur la banque centrale
Acculé, Gbagbo a « réquisitionné » mercredi les antennes ivoiriennes de la BCEAO. Au moins 8 milliards de Francs CFA (12 millions d’euros) ont été récupérés dans la salle des coffres de l’agence d’Abidjan, selon le camp Ouattara. Depuis son siège de Dakar, la BCEAO a aussitôt annoncé la « fermeture jusqu’à nouvel ordre » de ses locaux en Côte d’Ivoire.
De fait, le système bancaire est en partie bloqué. Mais pas encore complètement paralysé. Les banques parviennent à s’arranger entre elles, comme en témoigne un chef d’entreprise français :
« J’ai versé les salaires ce vendredi matin. Avec des chèques, les compensations interbancaires n’étaient pas garanties. Mais nous avons réussi à faire des virements entre plusieurs établissements bancaires et tout le monde a pu être payé. »
Comme nombre de ses connaissances professionnelles, cet homme, qui tient à conserver l’anonymat pour « ne pas attirer l’attention en cette période tendue », est très inquiet d’assister à la désorganisation de l’économie ivoirienne :
« Depuis deux mois et demi, les mises au chômage et les réductions de salaires se multiplient. Dans certains secteurs d’activité, le chiffre d’affaires a baissé de 80%. Tout le monde est touché. »
Selon une étude menée auprès des adhérents de la Chambre de commerce et d’industrie française en Côte d’Ivoire, la moitié d’entre eux ont déjà pris des mesures de chômage technique.
Les compagnies d’eau et d’électricité réquisitionnées
Gbagbo, lui, continue à chercher de nouvelles ressources et s’est lancé dans un programme de « nationalisations » – des réquisitions par la force. Jeudi, c’est sur la compagnie nationale d’électricité (CIE) qu’il a fait main basse. La compagnie des eaux (Sodebi) est en train de connaître le même sort. Et Gbagbo « encourage les clients à faire leurs paiements en espèces », rapporte Lydie Boka, le directrice de StrategiCo, une société d’analyse de risques. Pour elle :
« De nombreux signes, comme sa promptitude à encaisser toute recette le plus rapidement possible, ou sa réaction aux sanctions de l’UE, semblent trahir moins de sérénité qu’il y quelques semaines chez Laurent Gbagbo. Ses ressources sont clairement en voie d’assèchement. »
Photo : Laurent Gbagbo au meeting annuel de la Banque africaine de développement, à Abidjan, en mai 2010 (Luc Gnago/Reuters).
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