Pour des populations ayant quasi-plébiscité le candidat de La Majorité Présidentielle (LMP) au second tour du scrutin présidentiel avec des scores de 90 à 98%, la menace « de recours à la force légitime » pour installer l’adversaire Alassane Ouattara est prise très au sérieux. Opposées à toute intervention militaire des Forces africaines qui auront, entre autres points d’entrée sur le territoire Ivoirien, leurs villages, les populations Kroumen du littoral Cavally notamment celles de Pollo, Biéheron et Dégné voisins de moins d’un (1) à dix (10) kilomètre du Libéria se préparent à faire front. Autopsie d’une fronde communautaire qui enfle…
Tabou, Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire, ce mardi 18 janvier 2011, la ville fait la sourde oreille au mot d’ordre « de pays mort » décrété par le Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la Paix (RHDP). La ville est bruyante. Le marché grouille de monde. Idem pour la gare routière où de jeunes désœuvrés appelés Chargeurs hèlent à tue-tête d’éventuels passagers en partance pour le pays Kroumen profond. Notamment Grabo, Olodio ou encore Pollo à la frontière Ivoiro-Libérienne. Les commerces, les écoles, les services administratifs notamment la gendarmerie, la police, l’hôpital sont tous ouverts.
Un bastion du FPI
et de LMP au cœur de
la résistance
Des indices qui prouvent que nous sommes à n’en point douter dans un des fiefs du parti créé par le président Laurent Gbagbo. A savoir le Front Populaire Ivoirien (FPI). Au-delà de sa réputation de bastion du Fpi au niveau régional pour avoir donné au candidat de La Majorité présidentielle (LPM) son meilleur score dans le Bas-Sassandra (74% des voix), Tabou revendique une place majeure dans cette ‘’résistance patriotique’’ contre ‘’l’envahisseur’’ (l’ECOMOG). Le département de Tabou veut « être le fer de lance de la résistance à ceux qui veulent placer leur homme de main, à la tête de la Côte d’Ivoire pour s’accaparer de ses richesses », nous indique des riverains pro-Gbagbo.
Les leaders locaux du RHDP ‘’en brousse’’
Mais, un tel choix s’assume. Et Tabou l’assume. Face à la guerre d’occupation du terrain qui bat son plein, les leaders locaux du RHDP ont tous déserté la ville et même tout le département. « Ici, les populations sont du côté de la République incarnée par Laurent Gbagbo. Ici, il n’y a vraiment rien en face. Je peux même dire que, c’est ici à Tabou que le slogan, ‘’y’a rien en face’’ trouve toute sa pertinence », ajoute notre source. Mais du côté RHDP, l’on conteste cette position. On explique que l’absence sur le terrain est liée à une certaine propagande qui consiste ‘’à vouer l’adversaire politique aux gémonies’’, à le présenter sous des traits démoniaques. Une façon claire de les livrer à la vindicte populaire dans une zone majoritairement analphabète où l’on fait difficilement la part des choses. « Le militant du RDHP ou le responsable local est assimilé à l’ennemi de la Côte d’Ivoire, au vendu qui veut livrer son pays à l’étranger. Cela est fait dans le dessein de nous salir, de donner de nous les traits du méchant ou du conspirateur en vue de nous réduire au silence. Dans un tel contexte, nos vies sont constamment en danger. Nous sommes donc contraints de nous cacher pour vivre et survivre. C’est ce qui explique notre absence du terrain » justifie un leader du RHDP qui a requis l’anonymat. Manque de capacité de mobilisation, de stratégies de riposte ou recul imposé ? Les leaders locaux du RHDP ont-ils abandonné la lutte de récupération du terrain?
Le littoral Kroumen du Cavally en ébullition
Avec ces questions qui nous taraudent l’esprit, nous prenons place à bord d’un taxi-brousse. Destination Pollo, village-frontière Ivoiro-libérienne au Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire. A la sortie de la ville, sur la droite, le véhicule s’engouffre sur une piste cahoteuse et poussiéreuse dite pourtant internationale. Celle-ci mène jusqu’au Libéria avec une ouverture sur Guiglo ou encore Toulépleu au Centre-Ouest ivoirien. Sur la route menant à Pollo, nous laissons derrière nous des Libériennes, commerçantes de Kin (boisson frelatée à base de canne à sucre produit exclusivement au Libéria et fortement prisée en pays Kroumen), venues s’approvisionner en pétrole lampant et d’autres biens de consommation en terre Ivoirienne. Mais, notre incursion au cœur du littoral Kroumen du Cavally Ivoirien sera moins fructueuse pour n’avoir pas trouvé au village notre guide avec qui nous avions échangé depuis Tabou. Les premiers villageois rencontrés se refusent à tout entretien. Pas question de s’ouvrir à un ‘’étranger’’ dans ce contexte de crise postélectorale avec son cortège d’angoisse et de stress. Seul, l’adjoint du président des jeunes Noma Kouhi ‘’brave’’ la consigne : « C’est le président des jeunes que vous avez eu au téléphone. Il a annoncé votre arrivée. Mais il n’a pu rester au village pour vous accueillir parce qu’il a dû accompagner notre chef à Olodio où se tient une séance de travail de toute la chefferie Kroumen du département de Tabou pour peaufiner les stratégies de riposte face aux militaires de la Cedeao. C’est cela qui fait l’actualité ici. Il nous a été dit que des militaires qui étaient chez nos voisins du Libéria viendront en Côte d’Ivoire pour déloger notre président Laurent Gbagbo que nous avons voté ici à 97% en raison des 2% de bulletins nuls. Le seul président que nous reconnaissons, c’est Gbagbo. Quiconque veut l’enlever, doit passer sur nos corps. Notre village étant frontalier du Libéria donc une porte d’entrée en territoire Ivoirien, notre présence à cette réunion était indispensable », explique-t-il. A Pollo, une éventuelle intervention des militaires africains est prise très au sérieux. Et, le corps social avec en tête la chefferie et les jeunes organisent la résistance avec l’appui des Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Le village abrite sur son sol un poste frontalier tenu par une équipe composée d’agents de Douane, de Gendarmes et de policiers. Cette équipe, selon notre source, a été récemment renforcée avec l’arrivée des militaires des Fanci fortement équipés. La raison : Pollo est l’une des premières portes d’entrée en territoire Ivoirien à partir du Libéria et face à un éventuel déploiement des forces de l’Ecomog, pas question de se laisser surprendre ! Mais, pas question également de s’approcher du dispositif des FDS. Aussi, mettons-nous le cap sur Biéheron. Une véritable merveille de la nature au bord du Golfe de Guinée abritant à la fois sur son sol la mer et le fleuve Cavally qui, le séparent du Libéria voisin à moins d’un kilomètre. Des experts en mine ont découvert récemment sur le site, un important gisement de pétrole qui ouvre la perspective d’une délocalisation du village pour l’exploitation. De Biéhéron, où le candidat LMP a recueilli 95% des voix et 3% de bulletins nuls, l’on aperçoit derrière des cocotiers le premier village libérien. A savoir Kablaké. « C’est dans ce village en territoire libérien que nous nous rendons pour des soins de santé. Il est plus facile de nous soigner au Libéria que d’aller jusqu’au dispensaire d’Olodio ou à l’hôpital de Tabou. On gagne en temps et en argent », nous révèle Inika Tchoumou, Président des jeunes de Biéhéron qui nous a accueilli en compagnie des membres de la chefferie. Dans ce village paisible, où le père de Laurent Gbagbo en l’occurrence Paul Zêpè Koudou a exercé en qualité de policier dans les bureaux de l’ancien poste frontalier aujourd’hui tombés en ruine suite au transfert à Pollo, la crise postélectorale dont le dénouement pourrait déboucher sur une intervention militaire de l’ECOMOG, s’invite dans les débats et hante les esprits.
Les dégâts
de l’Ecomog au Libéria
voisin inquiètent
« Ici, le débat sur le déploiement de l’ECOMOG est au cœur des préoccupations. Nous sommes inquiets parce que nous savons ce que l’Ecomog a fait comme dégâts au Libéria. Les autres parties du pays ignorent les exactions que nos voisins (populations civiles libériennes) ont connues. Nous ne pouvons donc pas applaudir. Nous savons ce que c’est que l’Ecomog en termes de destructions de biens, de tueries et de pillage. C’est pourquoi, nous ne voulons pas de cette force chez nous », déclare le chef Kla Gnénati. Non sans écarter une possible désertion du village vers le Libéria voisin. Comme leurs frères de Kablaké pendant la guerre libérienne qui avaient trouvé refuge dans leur village. « Il est hors de question de déserter nos villages du littoral Kroumen Ivoirien. Nous n’allons pas abdiquer face à l’adversaire. Nous allons protéger nos villages et nous savons comment nous agir. Nous ne pouvons pas vous en dire plus. Mais sachez une chose, quand le Kroumen vous dit qu’il surveille son village, il sait comment il s’y prend », ajoute-t-il.
On va ‘’maga’’ l’Ecomog
Même son de cloche à Degné, un autre village balnéaire du département de Tabou d’où une voie sur le littoral débouche sur le Libéria que nous rallions peu après. Au terme de la traditionnelle cérémonie d’accueil en pays Kroumen avec la cola et le piment sur la plage du village bordée de cocotiers géants au bas colorés Orange-blanc-vert), Gnépa Gnéto, Président des jeunes, annonce les couleurs : « la jeunesse du canton Bapo est hostile à toute intervention militaire africaine pour dénouer la crise postélectorale. Nous, nous connaissons l’Ecomog. Nous avons accueilli dans nos villages nos voisins et frères du Libéria qui ont vu leurs villages détruits par les militaires africains. Cela n’est pas su dans toute la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi, des compatriotes applaudissent l’Ecomog donc la guerre en Côte d’Ivoire. Nous n’allons pas laisser détruire nos villages. Nous n’allons pas voir les tombes de nos ancêtres bombardées pour imposer un président que, nous ne voulons pas. Il n’en est pas question et nous nous préparons à faire front ». Avant de signifier être prêts pour la guerre. « Nous avons déjà bouclé tout le littoral Kroumen. La mer et le fleuve Cavally sont entièrement sous contrôle. Les militaires africains ne pourront donc pas traverser tout ce côté pour venir opérer. Si la décision injuste du déploiement de l’Ecomog est maintenue, nous allons nous défendre et protéger la République. Que le président Gbagbo et tous les patriotes soient rassurés. Si l’Ecomog vient, ils vont trouver des garçons en face. Nous allons les maga», a-t-il scandé. Des propos accueillis avec une slave d’applaudissements des populations pour exprimer leur adhésion pleine et entière. De Pollo, à Degné en passant par Biéheron, les populations s’opposent donc à toute intervention militaire et se préparent à y faire front selon leurs dires, coûte que coûte.
M Tié Traoré, Envoyé spécial
Encadré(1)
Des villages ‘’gâtés’’ par la nature et oubliés par l’Etat
Dégné, Biéheron ou encore Yonaké et Soublaké sont de véritables merveilles de la nature. Ces villages pittoresques partagent en commun une ouverture sur le Golfe de Guinée. Mais cette richesse sommeille. Elle n’a point été mise à profit pour booster le développement local. Si bien que ces villages se retrouvent dans un état de précarité avancé. Absence d’école, de centre de santé, d’électricité, manque d’eau potable, précarité de l’habitat (terre battue recouverte de papôts)… la liste des disfonctionnements est longue. Et attestent à dessein que ces sites paradisiaques souffrent d’un abandon de l’Etat. Aucune infrastructure socio-éducative ou économique portant la main de l’Etat n’est implantée dans ces localités. C’est pourquoi l’arrivée au pouvoir du président Gbagbo avait suscité un réel espoir. Surtout avec sa politique de décentralisation. Mais, le manque de moyens lié à la crise politique-militaire de 2002, selon ces riverains toujours fidèles à Laurent Gbagbo, n’a hélas pas permis au Conseil général et à son président Gnépa Barthélemy de pallier à cette absence de l’Etat. Qui n’a pas entamé le soutien des populations au leader du FPI. Tant elles se retrouvent sociologiquement en ses idéaux qu’en ceux de son adversaire politique. En attendant la fin de l’oubli de l’Etat, les populations s’en remettent à l’automédication, gardent leurs enfants à la maison qui prennent plaisir à jouer sur le sable des plages et se réfugient dans le Kin ou le Bandji (vin de palme traditionnel) qui ont le secret, dira le président des jeunes de Dégné « d’envoyer au septième ciel sans grand effort financier ».
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