Dieth Alexis – Vienne Autriche
Réflexions sur le titre de Notre Voie du 22-01-2011 : Que veut dire « L’Etat a déjà positionné les salaires » ?
« L’Etat a déjà positionné les salaires ». Annoncé avec une telle grandiloquence, avec une telle emphase satisfaite, le caractère triomphateur de ce titre signifie finalement que tout va bien dans le meilleur des mondes qu’est la Côte d’Ivoire sous le régime actuel. Ceux qui récusent ce gouvernement, identifié à l’Etat ivoirien, ont tort parce que les salaires sont régulièrement versés. L’assurance du paiement des salaires signifie que ce gouvernement est le véritable détenteur du pouvoir, le gouvernement légitime. Réagissant d’ailleurs, ce dimanche 23 Janvier, aux menaces de sanctions et d’embargo financier et économique opposées par le gouvernement légitime et la communauté internationale aux auteurs du hold up électoral en cours, le porte parole du « gouvernement » illégitime a répliqué par l’assertion suivante dévoilant le caractère prémédité de ce hold up ainsi que les manœuvres dilatoires de diversion qui auraient permis de le couvrir : « cela fait longtemps que cette situation a déjà été anticipée…… la preuve c’est que les salaires ont déjà été payés » cf Le Nouvel Obs du 23-01-2011. Cette assurance salariale est, par ailleurs, assortie d’un chantage au bradage du patrimoine économique de la Côte d’Ivoire à des partenaires moins regardants sur les libertés que le sont certains pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie, probablement les Chinois et les Russes ! Dans un contexte de crise post-électorale portant sur le problème de la reconnaissance de la souveraineté de la vox populi après le suffrage universel, cette réduction de la légitimité gouvernementale, exclusivement, à la capacité de payer les salaires des fonctionnaires par l’une des parties, et à celle d’entreprendre librement des opérations économiques douteuses en terme d’intérêt réel pour le pays aux seuls fins de la conservation du pouvoir, pose gravement question.
Si le salaire est une priorité indispensable à la vie, son statut de priorité secondaire transparaît lorsque la liberté individuelle et la Souveraineté populaire sont confisquées lors d’un suffrage universel ; parce que c’est la liberté individuelle et la Souveraineté populaire qui constituent la substance de l’existence dans un Etat de droit. Dans ces conditions de rapt de la Souveraineté populaire, s’institue, une injustice fondamentale dont les populations prennent conscience. Ce qui conduit à la révolte. La reconquête de la reconnaissance de la Souveraineté de la volonté populaire par le gouvernement désormais illégitime devient alors la priorité sur laquelle se focalise l’attention des populations. Pour détourner l’attention des populations, ce gouvernement illégitime utilise des manœuvres de diversion dont l’accusation tonitruante et creuse de la communauté internationale et la mise en épingle de la régularité du paiement du salaire. Car ce dont il s’agit est le respect de la Souveraineté de la vox populi. Tel est le problème essentiel et la priorité ultime. Comment, d’ailleurs, la Souveraineté nationale peut-elle être menacée par la communauté internationale lorsqu’elle a déjà été volée par un groupe de nationaux particuliers, dûment identifiés qui l’ont mis à l’abri dans leurs propriétés privés, protégés par des canons, et des mitrailleuses? Comment peut-on voler ce qui a été déjà volé à moins que le vol, dans ce cas, ne soit une action légale de restitution au peuple, par la force, de son bien inaliénable qui lui a été indûment dérobé ?
Toutefois, par delà cette diversion, cette présentation du salaire comme but ultime de l’existence humaine, cet usage du salaire comme moyen de dissimulation du rapt de la souveraineté populaire, cache une perversion fondamentale comme nous allons le montrer progressivement. Notons, avant d’avancer dans notre propos, que l’attitude qui consiste à livrer autrui en l’occurrence : la communauté internationale ou les électeurs d’Alassane Dramane Ouattara ou de Bédié, à la vindicte d’une population manipulée pour dissimuler sa propre culpabilité, dont on a clairement conscience, est l’une des facettes obscures de la perversion de ce « gouvernement » illégitime que nous allons dévoiler en analysant le cas spécifique de la diversion par le salaire.
Certes le salaire est un droit. Mais il ne le devient que si la volonté populaire est d’abord respectée lors du suffrage universel. Tout travailleur doit être payé pour le travail effectué. Mais un gouvernement récusé par la vox populi ne peut pas faire de sa capacité à assurer, pour le moment, le paiement des salaires, un critère de sa légitimité. Dans un Etat de non-droit institué par le refus du respect de la vox populi, le souci exclusif du respect du droit au salaire par le gouvernement se transforme en une volonté de mépris et d’instrumentalisation de ceux auxquels le salaire est versé comme une fin en soi. La fonction du salaire est justement d’abolir l’instrumentalisation du travailleur en lui restituant sa dignité parce qu’il a été utilisé. Si cela peut se faire, c’est parce que le respect originel du suffrage des électeurs a instauré au préalable un Etat de Droit qui a établi la dignité et la souveraineté des personnes comme des fins en soi et des principes structurants de la société. A contrario, dans un Etat de non droit, le salaire, agité comme étant le but ultime de l’existence , mais souvent modique et aléatoire, est un piège qui réduit en esclavage, un simulacre de bien absolu par lequel on achète les consciences et le silence ; un artifice par lequel on aliène en réduisant les personnes à l’entretien et à la reproduction de leur force de travail en tant que bêtes de somme. Se soucie-t-on de rétribuer dignement un esclave dans un Etat de non-droit? La frugalité de la nourriture que Hitler ou Staline garantissent aux prisonniers dans les camps de concentration et les Goulags, est destinée à l’entretien et à la reproduction de la force de travail des instruments et de la vie purement animale de la bête de somme qu’ils étaient aux yeux de leurs bourreaux , avant que, devenus inutiles, ils ne soient ensuite assassinés en masse . De même que ces dictateurs des débuts du siècle passé mettent à mort, après les avoir utilisés, ceux qu’ils considéraient comme du bétail humain, de même le dictateur contemporain condamne à l’exclusion et à la mort les populations qui refusent leur soumission et ne peuvent plus être utilisées comme du bétail électoral. En dépit de la régularité de plus en plus problématique du, salaire, la moindre opposition, la moindre revendication de la différence et de la liberté de penser, d’opérer des choix différents de ceux de la ligne officielle, n’enclenche-t-elle pas dans la dictature ivoirienne actuelle, un enfermement, une exclusion et une condamnation à mort ? Cela veut bien dire que l’illusion de la régularité du salaire est une diversion destinée à faire passer au second plan la question du respect de la Souveraineté de la vox populi et de la dignité des électeurs, première condition qui instaure un Etat de droit, garantit les droits de la personne et définit le salaire comme un droit.
Certes les Ivoiriens doivent vivre et ils ont besoin de leur salaire pour pourvoir à leurs besoins quotidiens. Mais ils doivent surtout vivre comme des hommes et non pas comme des bêtes. Et c’est parce qu’ils doivent vivre comme des hommes, et non pas comme des bêtes, que leur dignité, leurs libertés et leurs droits sont aussi importants et même plus importants que la simple satisfaction de leurs besoins matériels. Un prisonnier grassement nourri dans une prison pense d’abord à retrouver sa liberté. Une personne piétinée et insultée se bat, en premier lieu, pour retrouver ses droits et sa dignité. Un père et une mère dont les enfants ont disparus , ou subis des sévices dans une dictature, se préoccupent d’abord de retrouver leurs enfants disparus, de restaurer la dignité de leurs filles violées, de retrouver le corps de leurs fils et de leurs filles assassinés ; de donner une sépulture aux corps de leurs proches assassinés, avant de penser à leurs salaires.
Les libertés, les droits et la dignité sont les premiers besoins humains des peuples qu’un gouvernement légitime doit se préoccuper de satisfaire parce que les hommes ne sont pas des animaux. Ces besoins sont les besoins essentiels, tandis que leurs besoins matériels sont certes importants mais secondaires . La satisfaction de ces besoins juridiques et moraux, de ces besoins spirituels, est l’ultime critère de légitimité d’un gouvernement républicain. C’est précisément cette priorité essentielle de la dignité, des droits et des libertés qui conduit un chef d’Etat, en l’occurrence le président sortant, à préférer la mort à la vie pour défendre la Souveraineté de la nation prétendument menacée par l’étranger et la communauté internationale. Il préfère la mort à la vie dans la servitude dit-il, parce qu’il ne veut pas monnayer la garantie de la satisfaction des besoins matériels avec la sacralité de la dignité de son peuple . Il y a donc quelque contradiction à piétiner cette dignité puis à proposer comme priorité la garantie du salaire au peuple auquel il refuse le droit le plus sacré : sa Souveraineté, attestée par le caractère irrévocable de la décision populaire lors d’une élection présidentielle.
Cette priorité essentielle , dont les Ivoiriens ont clairement conscience, motif puissant de la révolte populaire qui gronde et que la permanence des couvre feux et ratissages militaires prouve, montre clairement qu’en ces temps d’assassinat, d’abrutissement collectif et de violation massive de leurs libertés, les populations ivoiriennes sont plus préoccupées par le respect de leurs droits, de leurs libertés et de leur intégrité morale que de leurs salaires qui ne leur permettent même plus d’atteindre le 10 de chaque mois en raison de la cherté des produits de consommation courante ; cherté provoquée précisément par la violation du droit ultime que constitue le respect du résultat des élections présidentielles. Même si chaque homme, comme le dit l’Apôtre, a « son prix pour lequel il s’achète », la majorité des Ivoiriens considèrent que leur dignité, leurs droits et leurs libertés valent infiniment mieux que le pain. L’homme a besoin de soins et de satisfactions matérielles. Mais c’est surtout le respect de sa dignité, de ses libertés et de ses droits plus que la simple nourriture matérielle qui le rend heureux. Brandir l’assurance du paiement des salaires comme une fin en soi et comme un critère de pouvoir et de légitimité semble donc témoigner de la présence en ce moment, en Côte d’Ivoire dans le « gouvernement » illégitime actuel , de la perversion fondamentale qui consiste à renverser l’ordre des fins et des moyens, à faire de la fin en soi un moyen et du moyen, une fin en soi. Ce renversement, perversion des perversions, signifie concrètement que l’homme, qui est, a priori, une fin en soi parce qu’il possède en lui un esprit et une raison, peut être considéré comme un moyen c’est-à-dire un chien, un morceau de bois ou une chose ; tandis que le morceau de bois, ou la pierre, ou la Mercédès ou la voiture 4 fois 4 dont une minorité se procure, en abondance en ce moment , peut être, considéré comme un fin en soi, un absolu. Précisément , cela veut dire que la dignité des Ivoiriens ainsi que leurs droits ne valent rien par rapport à la garantie de leur salaire à la fin de chaque mois ! Compte tenu de la modicité des salaires de la fonction publique, cela veut dire qu’il suffit de leur garantir la condition de la satisfaction de leurs besoins matériels primaires comme des animaux.
Dans la tête des dirigeants politiques qui désignent la communauté internationale et les adversaires politiques, c’est-à-dire autrui, à la vindicte des milices pour dissimuler leur propre culpabilité ; dans la tête des dirigeants politiques qui agitent le salaire comme un appât devant les populations après avoir refusé de se soumettre à la décision de la vox populi au terme d’une élection présidentielle, c’est-à-dire après avoir nié leur dignité et leur droit ultime, celui de choisir leurs représentants, existe alors l’idée que ces populations peuvent être considérées comme des choses à manipuler, des instruments à utiliser, des animaux à abattre. C’est la mentalité des charniers et des fours crématoires. C’est la mentalité du néant et de l’anéantissement. C’est la mentalité du génocide et des disparitions dans les obscurités de la nuit. C’est la mentalité de la torture et de l’enfermement. C’est la mentalité des exécutions extrajudiciaires et des emprisonnements arbitraires. C’est la mentalité qui permet de ficher, les populations et de déclarer des citoyens de seconde zone et des sous-humains. C’est la mentalité ténébreuse de la xénophobie, du racisme et de la dictature.
Il est donc urgent, sinon vital, de recentrer l’attention sur l’impératif catégorique que constitue le respect de la décision de la vox populi au terme de l’élection présidentielle et de veiller irréductiblement à son application ici et maintenant. C’est la condition de la survie de la Côte d’Ivoire en tant que nation et République.
Dieth Alexis
Dr en Philosophie
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