A la faveur de la tenue à Bamako de la XVème réunion des chefs d’Etats et de gouvernement de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), le Pr Dagbo Godé Pierre, professeur de sciences politiques, directeur du Centre pour l’innovation politique et économique de Côte d’Ivoire (Cipec), a bien voulu situer les Ivoiriens sur les enjeux de la démission du gouverneur de la BCEAO, Philippe-Henry Dakoury Tabley. Entretien.
Les chefs d’Etats et de gouvernements se sont réunis à Bamako dans le cadre de l’UEMOA et la décision majeure qui en est sortie c’est la démission du gouverneur de la BECEAO, Philippe-Henry Dacoury. Que pensez-vous de cette décision ?
J’ai appris comme tous les Ivoiriens que le gouverneur de la BECEAO a démissionné, mais je ne connais pas les tenants et les aboutissants de cette réunion. J’ai aussi écouté le communiqué du gouvernement et pour l’Etat de Côte d’Ivoire, cette décision est nulle et de nul effet. C’est ce que j’ai cru comprendre de ce communiqué et c’est dire que c’est une décision que l’Etat de Côte d’Ivoire ne reconnaît pas lui-même. C’est tout à fait normal, parce que quand on est le poids lourd d’une institution comme l’UEMOA, on doit être associé à toute prise de décision étant donné que les décisions à l’UEMOA se prennent à l’unanimité, malheureusement je n’ai pas connaissance que la Côte d’Ivoire était présente à cette réunion, mais il faut mettre cela sur le compte de la politique qui est en train d’entrer au sein de l’institution monétaire et c’est bien dommage pour la sous-région. Si cette décision prenait effet, l’UEMOA serait très affaiblie, la BCEAO également. Mais, comme l’argent n’aime pas le bruit, il y a de fortes chances que le Franc CFA se déprécie. Que serait l’UEMOA sans la Côte d’Ivoire qui représente 40% du Produit intérieur brut de la sous-région ? Dans tous les cas, peut-être on voudrait pousser la Côte d’Ivoire à la faute, pour s’en servir comme prétexte pour l’étouffer financièrement. Je pense que le gouvernement fait bien de ne pas tomber dans ce jeu, mais en tout état de cause, cette décision est inopportune, elle émane d’une volonté de politique politicienne qui risque d’affaiblir considérablement l’espace économique et monétaire.
Avec la configuration actuelle de la situation, y-a-t-il des difficultés qui pourraient entraver la création d’une nouvelle monnaie en Côte d’Ivoire, telle que cela se fait entendre depuis quelques temps ?
Je pense que l’Etat de Côte d’Ivoire a suffisamment d’experts, s’il voulait s’engager dans cette voie, mais en tout état de cause la question du Franc CFA est toujours à l’ordre du jour. Il faut que les africains comprennent une fois pour toute que la monnaie est un artifice de la souveraineté et même dans le cadre de l’UEMOA, il est bon que la France sorte des sessions monétaires des pays francophones, parce que les pays francophones ne peuvent pas mener de politiques économiques sans l’accord de la France. La politique économique repose sur deux éléments, la politique monétaire et la politique budgétaire. Or, nos Etats ne font que des politiques budgétaires, tout ce qui est politique monétaire relève de la France. C’est ce qui bloque les grandes reformes économiques dans notre sous-région. Je pense personnellement que le temps est venu, non pas qu’on doit créer une monnaie ivoirienne, si on doit le faire cela dépend de l’Etat qui en prend la décision en toute souveraineté, mais les politiques monétaires dans la zone franc ne doivent plus se faire avec la France. Il faut que les Africains eux-mêmes gèrent leurs politiques monétaires. Sinon la Côte d’Ivoire a tous les moyens pour créer sa monnaie, la Mauritanie l’a fait, le Ghana gère sa monnaie depuis longtemps, bien d’Etats l’ont fait et ils ne se portent pas mal. Si l’idée c’est de pousser la Côte d’Ivoire à créer une nouvelle monnaie, c’est une opportunité qui s’offre à nous mais, seuls le président de la République et le gouvernement sont mieux placés pour apprécier les intérêts de la Côte d’Ivoire.
L’éventuel retrait de la Côte d’Ivoire de l’UEMOA peut-il avoir une incidence sur les économies des pays de la sous-région ?
Mais bien sûr, puisque quand on regarde les chocs asymétriques de la crise ivoirienne dans l’espace UEMOA, on constate que les pays de la sous-région dépendent au moins à 75% de l’économie ivoirienne. Si la Côte d’Ivoire sortait, mais je ne crois pas qu’elle sortirait, car les problèmes d’aujourd’hui ne sont pas des problèmes éternels, ils vont trouver leur réponse. L’intégration repose sur des principes de solidarité et de partenariat gagnant-gagnant et c’est dans un esprit de solidarité que nous sommes dans l’espace UEMOA, d’autant plus que nous avons une histoire commune. Si d’aventure la Côte d’Ivoire devrait sortir de l’UEMOA, tous les autres pays vont en pâtir. Si la Côte d’Ivoire crée sa propre monnaie, c’est dire que ces pays seraient obligés d’acheter leurs produits en devises de la Côte d’Ivoire. Ce qui va naturellement accroître leur déficit vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. Je crois qu’il faut plutôt emmener les pays de la sous-région à être solidaire, à aider la Côte d’Ivoire à régler sa crise et à sortir de l’impasse.
Réalisé par Olivier Dion
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