ABIDJAN, 24 janvier 2011 (IRIN) – Le rôle des médias ivoiriens dans l’exacerbation des tensions est devenu si inquiétant que le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, a récemment lancé un avertissement : ceux qui incitent à la violence pourraient se voir inculper devant la Cour pénale internationale (l’ICC).
La plupart des médias ivoiriens sont profondément divisés en deux pôles. La chaîne d’Etat de la Radiotélévision Ivoirienne (RTI), la source d’information la plus largement accessible dans le pays, soutient Laurent Gbagbo de façon inconditionnelle et diffame constamment son rival à la présidence, Alassane Ouattara, qui a le soutien de la communauté internationale.
La RTI décrit régulièrement les partisans de M. Ouattara comme une menace pour la paix et a même accusé certains d’entre eux de corrompre et de droguer les enfants pour les obliger à rester chez eux, une forme de protestation de “ville morte” destinée à passer le message de M. Ouattara.
La télévision ivoirienne en a également après la Mission des Nations Unies en Côte d’ivoire (l’ONUCI), accusant les troupes d’avoir tiré sur des civils durant les récents affrontements d’Abidjan, et diffusant des interviews avec les prétendues victimes dans ses bulletins d’actualités.
Une série d’attaques et d’incidents impliquant le personnel et les véhicules de l’ONUCI ont également eu lieu ces derniers jours. Dans la nuit du 13 janvier, des coups de feu ont été tirés sur l’une des patrouilles de la Mission dans le quartier d’Abobo à Abidjan. Selon la déclaration de l’ONUCI, les attaquants faisaient partie des forces de sécurité pro-Gbagbo.
La veille, un convoi de vivres de l’ONUCI avait été bloqué et pillé ; selon la Mission, il s’agissait encore une fois de troupes du camp Gbagbo. Plusieurs véhicules de l’ONUCI ont été incendiés à Abidjan.
Le 18 janvier, la mission de maintien de la paix a publié une déclaration « déplorant les actes répétés d’agression, soutenues par les forces du camp du président Laurent Gbagbo, contre ses patrouilles. » Elle faisait référence en particulier à l’épisode de la récente visite de Raila Odinga, le médiateur de l’Union africaine (UA) :« Un groupe de jeunes partisans du président Gbagbo a encerclé les forces de maintien de la paix qui attendaient M. Odinga. Les éléments armés qui soutenaient les jeunes ont ouvert le feu sur les véhicules [de l’ONU], obligeant les soldats de l’ONUCI à riposter en tirant en l’air. »
L’ONUCI a fermement critiqué la version de l’incident telle qu’elle a été fournie par la RTI, selon laquelle les actions des forces de maintien de la paix avaient provoqué des blessures par balle chez plusieurs personnes.
L’ONUCI a souligné que le compte rendu en question « n’[était] pas conforme aux faits » et l’a dénoncé comme « faisant partie d’une campagne de propagande dont l’objectif est d’inciter les partisans du président Gbagbo à la haine contre l’ONUCI. »
Une presse partisane
Tandis que quelques journaux ivoiriens s’efforcent d’avoir une position plus équilibrée, le plus gros de la presse écrite est fermement divisé en deux camps, dont on reconnaît dans la plupart des cas l’allégeance à la couleur du bandeau : les journaux pro-Gbagbo utilisent des bandeaux bleus, tandis que ceux qui soutiennent M. Ouattara ont des bandeaux verts.
Le ton des critiques est extrêmement agressif. Un titre apparu le 19 janvier dans le journal pro-Gbagbo Notre Voie affirmait que « Ouattara a choisi le terrorisme » : l’article prétendait que les partisans de M. Ouattara avaient menacé de mort ceux qui étaient soupçonnés de soutenir M. Gbagbo. La même édition rapportait que des hommes de main de M. Ouattara avaient égorgé un guide forestier dans le quartier d’Abobo à Abidjan.
Le lendemain, le même journal accusait l’ONUCI d’escorter « de jeunes femmes» [pour les amener] aux membres du camp Ouattara actuellement confinés, sous la protection des Nations Unies, à l’Hôtel du Golf à Abidjan ; l’hôtel sert de QG et de résidence à M. Ouattara et à ses partisans depuis la fin des élections et est surnommé « la République du Golf ».
Notre Voie et les autres journaux pro-Gbagbo poursuivent depuis longtemps une ligne clairement anti-française, impliquant souvent la responsabilité de la France dans la rébellion initiale de 2002 et dénonçant ce qui est perçu comme une alliance entre Paris et M. Ouattara. L’édition du 20 janvier accusait la France de réarmer les Forces Nouvelles, les anciens rebelles qui contrôlent une bonne partie du nord du pays.
« Chaque jour, nous recevons des informations qui nous font penser que ceux qui avaient aidé Ouattara à monter son soulèvement armé sont aujourd’hui en train de le réorganiser, » disait l’article.
De l’autre côté de la barrière, un article du journal pro-Ouattara Le Patriote décrivait M. Gbagbo comme un « dictateur » et un « assassin de la démocratie » qui « tue ses propres concitoyens avec l’aide de milices libériennes et angolaises. »
La démarche partisane provocatrice des journaux en vente à Abidjan exaspère ceux qui réclament le dialogue entre les deux camps. « La presse privée qui travaille pour les partis politiques ne fait aucun effort pour prêcher la paix. C’est de la propagande. Chaque journal produit de la propagande, » a dit à IRIN Patrick N’Gouan, président de la Convention de la Société Civile Ivoirienne.
« Je pense qu’au cours des deux derniers mois, la télévision nationale a de temps en temps incité à la violence et à la haine. La même remarque s’applique à la télévision des rebelles dans le nord, », a t-il ajouté.
Exacerbation des tensions
« Ce problème est extrêmement sérieux pour la cohésion nationale et nous le condamnons. Le contrôle de la télévision par le camp Gbagbo est dangereux. »
M. N’Gouan est convaincu que cette approche incendiaire exacerbe les tensions. « Les médias sont truffés de méfiance, de haine et de radicalisme, » a dit M. N’Gouan. « Cette haine ne mène pas à la démocratie. Elle fait le lit de la violence. »
L’éditeur en chef de Notre Voie, César Etou, n’était pas d’accord et a dit à IRIN que « le conflit [avait] lieu davantage dans la presse que sur le terrain .»
« Je ne crois pas que ce soit la presse ivoirienne qui alimente la violence. La plupart des médias ont perdu toute crédibilité. La population ne suit pas systématiquement les ordres de la presse, » a t-il dit, ajoutant que la presse n’avait pas « joué de rôle dans l’incitation à la violence contre l’ONUCI. »
Interrogé sur les menaces de poursuites par l’ICC proférées par Ban Ki-Moon, M. Etou a dit qu’il pensait que le Secrétaire général avait été victime de « désinformation » sur la situation réelle.
« M. Ban Ki-Moon ferait bien d’enlever ses troupes de Côte d’Ivoire », a t-il dit.
New York a confirmé le 19 janvier que le Conseil de sécurité avait autorisé l’envoi de 2 000 soldats supplémentaires à l’ONUCI ; le chiffre total de Casques bleus atteindra ainsi presque 12 000.
L’avertissement de l’ONU
Le 19 janvier, deux responsables de l’ONU ont mis en garde contre « la possibilité de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de nettoyage ethnique en Côte d’Ivoire. »
Dans une déclaration commune, Francis Deng, le conseiller spécial pour la prévention du génocide, et Edward Luck, conseiller spécial pour la responsabilité de protéger, ont aussi exprimé leur grave préoccupation quant à l’utilisation incessante des « propos haineux visant à inciter à des attaques violentes contre certains groupes ethniques et nationaux. »
am/cb – og/amz
Theme (s): Alerte précoce, Droits de l’homme, Paix et sécurité,
[Cet article ne reflète pas nécessairement les vues des Nations Unies]
Le Conseil des ministres de l’Union européenne a approuvé officiellement des sanctions, dont l’interdiction de voyager, contre 19 Ivoiriens, le 22 décembre. Ces sanctions visaient entre autres :
Israel Amessan Brou – Directeur général de la RTI, accusé d’être « responsable du plan de désinformation ». M. Brou a été nommé à la tête de la RTI en mars 2008 mais remplissait de fait cette fonction depuis novembre 2006. Il avait été auparavant présentateur de télévision et avait été un reporter important en janvier 2006, pendant la vague de protestations anti-ONU à Abidjan et dans le reste du pays. C’est l’époque où les Jeunes Patriotes envahirent effectivement les studios et bénéficièrent d’un temps d’antenne, pour lancer une série d’appels à la mobilisation contre les Nations Unies en Côte d’Ivoire.
Franck Anderson Kouassi – Président et précédemment secrétaire général du Conseil National de Communication Audiovisuel (CNCA), un organisme d’Etat, accusé de « complicité active dans la campagne de désinformation ». Le CNCA a autorité sur les médias publics et est aussi l’instance qui réglemente la diffusion des émissions étrangères. Interrogé au cours d’un entretien récent sur les restrictions touchant les journalistes étrangers, Laurent Gbagbo a dit à son intervieweur de s’adresser à la CNCA. M. Kouassi travaille pour la CNCA depuis 2001. Il travaillait auparavant au journal indépendant Le Jour et fut arrêté et emprisonné en octobre 2002 sous la présidence de Robert Guéï.
Nadiana Bamba – Accusée d’être « responsable de la campagne de désinformation et d’incitation à la haine et à la violence intercommunautaires. » Elle apparaît sur la liste des sanctions comme directrice du groupe de presse Le Temps Notre Voie, mais elle est surtout connue comme la « seconde épouse » de Laurent Gbagbo. Ancienne journaliste à Radio Numéro 1, elle a été un élément clé de la campagne de relations publiques en faveur de M. Gbagbo, en tant que chef de la maison d’édition Cyclone. C’est une musulmane du nord-ouest, où elle a fait campagne pour M. Gbagbo dans des zones où le rival qui lui dispute la présidence, Alassane Ouattara, jouit d’un fort soutien
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