C’est la règle d’un scrutin à deux tours : les deux candidats ayant récolté le plus de suffrages au premier tour restent seuls en lice au deuxième. Cela crée une logique d’affrontement, forçant chaque électeur à choisir son « camp ». Dans le cas des élections présidentielles ivoiriennes, cette logique de l’affrontement a été exacerbée par les événements qui ont entouré l’annonce des résultats du scrutin, à la suite de laquelle le pays s’est retrouvé avec deux « présidents » à sa tête : Alassane Ouattara, président légitime et reconnu par la communauté internationale, dont la désignation est issue des urnes, et Laurent Gbagbo, autoproclamé président avec l’aide d’un Conseil constitutionnel visiblement acquis à sa cause. Il faut cependant ne pas se laisser tromper par l’aspect réducteur de cet affrontement et en conclure que la Côte d’Ivoire est divisée en deux camps radicalement opposés et irréconciliables : une telle conclusion ne peut être qu’erronée pour ce pays, qui comprend une extraordinaire richesse dans sa diversité, avec plus de 60 ethnies et quelque 70 langues. La réalité sociale et politique du pays n’est pas celle qu’en projette une lecture superficielle des résultats du scrutin présidentiel.
Certes, sur les 82 départements et districts du pays (diaspora comprise), Alassane Ouattara arrive en tête dans 42 d’entre eux et Laurent Gbagbo dans 40. Cela donne l’impression d’un partage du pays en deux moitiés. Cette impression semble confirmée si l’on observe la distribution géographique des votes : la carte de la répartition des résultats du scrutin montre que les régions du nord sont globalement favorables à Ouattara et celles du sud (à l’exception de la région du Bas‑Sassandra) à son adversaire. Là encore, on a une division en deux. Cependant, cette impression est trompeuse. En réalité, la Côte d’Ivoire est loin de souffrir de la bipolarité politique dont certains prétendent l’accabler, et le peuple ivoirien a effectivement démontré dans le scrutin présidentiel un grand civisme et une grande maturité – ce qui rend d’autant plus tragique le fait que l’on cherche à le priver du fruit de son civisme.
Le graphique ci-dessous montre la répartition de l’électorat en fonction du score de l’élection présidentielle dans les 82 départements et districts (diaspora y comprise). La barre la plus élevé au centre, qui dépasse juste les 50%, indique que la majorité des électeurs se trouve dans des départements où les deux candidats ont obtenu des scores très proches l’un de l’autre – dans ces départements (30 en tout) le candidat opposé (quel qu’il soit) dispose d’une base électorale d’au moins 40%. Le graphique ne présente aucune caractéristique de la bipolarité. Il montre cependant une différence dans le comportement de l’électorat en fonction de sa préférence. Très peu de départements favorables au candidat Gbagbo ont voté massivement pour lui – ce candidat n’a pas de « fief » véritable. Dans tous les départements où Gbagbo vient en tête, Alasanne Ouattara conserve un nombre significatif d’électeurs. Par contre, dans de nombreux
départements favorables à Ouattara, le soutien à ce dernier a été massif et indique un rejet de l’autre candidat, ce qui explique que l’on a près de trois fois plus d’électeurs dans les départements où le score de Ouattara est supérieur à 80% que dans ceux où il est entre 60% et 80%. Cela pourrait indiquer qu’Alasanne Ouattara est mieux accepté partout dans le pays, et garde un soutien populaire même dans les régions globalement favorables à Laurent Gbagbo. Ce qui n’est pas le cas de ce dernier, qui ne réussit pas à totalement convaincre l’électorat dans les régions qui lui sont généralement acquises et qui est rejeté dans les régions favorables à son adversaire.
Cette situation, qui traduit une maturité politique certaine de l’électorat ivoirien, tend à indiquer qu’Alassane Ouattara, qui a emporté le scrutin, est aussi plus susceptible d’être accepté par l’ensemble de la population comme le président de tous. L’absence de bipolarisation plaide enfin pour une solution pacifique de la crise actuelle –il est permis de nourrir tous les espoirs qu’en fin de compte c’est la sagesse qui l’emportera en Côte d’Ivoire, car c’est ce qui correspond aux aspirations et à la nature de sa population.
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