Edmond Jouve est Professeur émérite de l’Université Paris-Descartes, Président Honoraire de l’Académie des sciences d’Outre-Mer, Paris, France
Cher Laurent Gbagbo,
Nous connaissons votre vie digne d’éducateur et de militant. Nous savons les sacrifices que vous avez endurés pour votre patrie, allant jusqu’à la quitter pour mieux la servir. Nous n’ignorons pas votre traversée du désert durant laquelle vous avez connu le froid et les privations. À Paris, il vous est même arrivé de rencontrer certains d’entre nous à la Sorbonne ou ailleurs, et vos yeux brillaient lorsque vous nous parliez de démocratie, de droits de l’homme et d’État de droit. Alors que la Côte d’Ivoire grelottait, vous rêviez d’en faire un pays modèle qui pourrait servir d’exemple dans un continent abandonné aux régimes autoritaires.
Tout cela, nous le savons, et nul ne peut vous le distraire.
Vous, vous savez de nous que nous avons lutté, souvent à vos côtés, pour que la souveraineté de votre cher pays ne soit pas bafouée, pour que nulle ingérence ne retarde sa marche vers des lendemains empreints de plus de justice et de fraternité. Nous avons aussi combattu ensemble pour que votre pays ne soit pas étouffé par les impérialismes, d’où qu’ils viennent. Certains d’entre nous sont au soir de leur vie et ce n’est pas aujourd’hui que nous souhaitons changer de perspective, alors que, de toutes parts, comme l’observait Aimé Césaire, « l’ombre gagne. L’un après l’autre, les foyers s’éteignent. Le cercle d’ombre se resserre, parmi les cris d’hommes et les hurlements des fauves ». Alors, que faire ?
L’auteur de Cahier d’un retour au pays natal adjure les « hommes de bonne volonté » de donner au monde « une nouvelle lumière ». Président Laurent Gbagbo, nous vous demandons de rejoindre cette immense cohorte. Nous vous demandons, comme nous y invitait Charles de Gaulle au lendemain de la conférence de Brazzaville, d’emprunter « le chemin des temps nouveaux ». Pensez à la Côte d’Ivoire ! Pensez à tous ses enfants ! Pensez à l’image que vous allez, en fin de compte, laisser dans l’Histoire ! Pensez au Dieu que vous honorez ! Pensez à vos amis et à vos collaborateurs, dont certains furent nos brillants étudiants !
En cette année qui suit le cinquantenaire, les voix les plus autorisées se sont conjuguées pour demander à l’Afrique de prendre une autre voie. C’est ce qui transparaît dans le « Manifeste du cinquantenaire » initié par Albert Tévoédjrè, dans les propos de Wole Soyinka, de Kofi Annan et dans la déclaration du Forum pour la paix et le développement, récemment organisé par Edem Kodjo. Avec eux, et avec ce qu’ils représentent, nous vous exhortons à respecter la volonté du peuple souverain de votre pays. Il le faut – vous le savez bien ! – car, oui, « la seule querelle qui vaille est celle de l’Homme ». Alors, dans un geste grandiose, solennel, définitif et non exempt de panache, dites-nous que vous vous retirez sans que, pour autant, votre destin s’achève. Vos amis, la communauté internationale et les siècles à venir vous en rendront justice !
Lu dans Jeune-Afrique
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