Lettre datée du 7 janvier 2011, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général
J’ai l’honneur de me référer à l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et à la résolution 1962 (2010) du Conseil de sécurité en date du 20 décembre 2010, par laquelle le Conseil a décidé de reconduire jusqu’au 30 juin 2011 le mandat de l’ONUCI. Je tiens à remercier le Conseil de sécurité des décisions qu’il a prises pour renforcer l’ONUCI au cours des premier et deuxième tours de l’élection présidentielle ivoirienne, notamment a) en redéployant temporairement trois compagnies d’infanterie et une unité aérienne constituée de deux hélicoptères de transport militaires de la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL) à l’ONUCI dans le cadre des arrangements de coopération entre missions prévus dans les résolutions 1609 (2005) et 1938 (2010), comme autorisé par la résolution 1951 (2010); et b) en déployant 500 personnes en tenue supplémentaires – à savoir 400 soldats et 100 membres d’unités de police constituées afin d’étoffer les contingents de l’ONUCI existant déjà, comme approuvé par la résolution 1942 (2010).Je sais également gré au Conseil de sécurité d’avoir accepté, dans sa résolution 1962 (2010), de reconduire de nouveau le transfert temporaire des trois compagnies d’infanterie et de l’unité aérienne constituée de deux hélicoptères de transport militaires de la MINUL à la suite de la crise imprévue qui a éclaté au lendemain de l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle. La situation en matière de sécurité a continué de se détériorer et de nouveaux problèmes se sont fait jour du fait de l’impasse dans laquelle se trouve le pays.
L’ONUCI opère dans un environnement ouvertement hostile et fait l’objet de menaces directes de la part des forces régulières et irrégulières loyales à l’ancien Président Gbagbo. La situation précaire sur le plan de la sécurité pourrait rapidement se transformer en conflit généralisé. Au nombre des menaces spécifiques pesant sur la Mission figurent, en ce qui concerne la logistique, le refus de dédouanement d’articles de première nécessité au port, les instructions données aux fournisseurs de ne pas vendre de carburants et de fournitures à l’ONUCI et à son personnel; et l’obstruction des livraisons de marchandises au personnel et aux sites de l’ONUCI par le biais, notamment, de barrages routiers. Face à cette situation, l’ONUCI et le Secrétariat ont pris des dispositions afin de faire en sorte que le flux de fournitures destinées à la Mission ne soit pas interrompu, notamment en commençant à établir une base de soutien logistique de remplacement à Bouaké et en ouvrant des voies routières et aériennes d’acheminement à partir du Ghana et du Burkina Faso. Ces nouvelles modalités reposent toutefois sur l’utilisation d’hélicoptères en Côte d’Ivoire pour le transport des carburants et autres fournitures de Bouaké à Abidjan et vers d’autres régions. Cet arrangement risque d’être compromis et il convient par conséquent qu’il bénéficie d’une protection appropriée. Par ailleurs, les médias, et en particulier l’organisme de radio et télédiffusion d’État, Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI), sont utilisés pour inciter à l’hostilité et à la violence contre certains groupes ethniques, religieux et politiques ivoiriens et contre la Mission, notamment en diffusant des messages incitant à la haine et de fausses informations. C’est ainsi que des foules de Jeunes patriotes et autres éléments loyaux à l’ancien Président Gbagbo, tels que la Garde républicaine, le Centre de commandement des opérations de sécurité (CECOS) et l’élément maritime des forces de sécurité et de défense ivoiriennes, font physiquement obstacle aux patrouilles de l’ONUCI et entravent l’action du personnel civil. Afin d’inciter les soldats de la paix à utiliser la force, ils attaquent aussi les patrouilles, ce qui se traduit par des blessés et la destruction de matériel des Nations Unies. Les Jeunes patriotes ont également annoncé qu’ils avaient l’intention d’attaquer le Golf Hotel, qui est le siège temporaire du Gouvernement légitime de la Côte d’Ivoire et est encore entouré par les forces régulières et irrégulières loyales à l’ancien Président Gbagbo. Ces éléments limitent la liberté de circulation du personnel de l’ONUCI et des civils qui pénètrent dans l’hôtel et en sortent et ont placé dans les environs des mortiers et autres armes lourdes qui sont dirigés vers l’hôtel. Il a en outre été fait état de graves violations des droits de l’homme, tant à Abidjan que dans d’autres régions, en particulier dans l’ouest du pays.
Toujours dans l’ouest, les tensions interethniques se sont également aggravées au cours de ces derniers jours. La situation à Abidjan risque aussi de continuer à se détériorer. Les restrictions à la liberté de circulation de l’ONUCI empêchent cette dernière de s’acquitter de son mandat en matière de protection des civils et de promotion des droits de l’homme. L’accès aux zones touchées est essentiel tant pour empêcher, dans toute la mesure du possible, que des violations du type de celles qui ont été relatées continuent d’être commises que pour mener des enquêtes afin que ceux qui sont responsables aient à rendre compte. Toutefois, aussi bien des forces loyales à l’ancien Président Gbagbo que des foules de Jeunes patriotes se sont organisées pour bloquer l’accès de la Mission à certains lieux où il a été fait état de graves violations des droits de l’homme, notamment le site présumé de charniers à Abidjan ainsi que près de Daloa, dans l’ouest du pays. Les équipes de l’ONUCI chargées d’enquêter sur les violations des droits de l’homme qui ont été portées à leur attention doivent par conséquent voir leur sécurité renforcée. Dans un premier temps, l’ONUCI s’est efforcé de renforcer ses éléments militaires et ses forces de police à Abidjan en redéployant davantage de soldats et de policiers du nord et de l’est du pays. À titre d’exemple, la force d’intervention rapide/force de réserve de la Mission (1 bataillon), qui était précédemment stationnée à Yamoussoukro, fournit désormais une protection à plein temps au Golf Hotel, de même que sept sections d’unités de police constituées. La Mission se trouve ainsi dans l’impossibilité de faire face rapidement à toute détérioration de la situation en matière de sécurité dans d’autres régions, en particulier dans l’ouest. Il est par conséquent important de remplacer cette capacité essentielle de toute urgence.
Lorsque la Mission a été créée en 2003, les effectifs militaires de l’ONUCI ont été déterminés en partant du principe que la force française Licorne fournirait la force d’intervention rapide nécessaire à l’ONUCI. Toutefois, depuis lors, la force Licorne a réduit ses effectifs sur le terrain et ne dispose plus que de 900 soldats et a indiqué à l’ONUCI qu’elle ne pouvait fournir cette force d’intervention rapide à l’ONUCI qu’à Abidjan. Le Conseil de sécurité se souviendra peut-être également qu’au début de l’année 2009, alors que le processus de paix progressait et que les parties étaient convenues de tenir des élections, l’ONUCI a rapatrié un bataillon, prévoyant une réduction de ses tâches. Par conséquent, dans les circonstances difficiles actuelles, la Mission a besoin de capacités supplémentaires. Les ressources déjà transférées de la MINUL à l’ONUCI, comme il a été mentionné plus haut, demeurent, en particulier, essentielles. Je souhaite par conséquent recommander au Conseil de sécurité de prendre les mesures ci-après afin de doter la Mission des capacités qui lui permettront de relever les défis actuels en matière de sécurité sur le terrain pour ce qui est de la protection du personnel et des installations des Nations Unies, et de la livraison des articles de première nécessité, d’écarter les menaces susmentionnées, de mieux pouvoir faire face aux problèmes d’obstruction et de refus d’accès qu’elle rencontre actuellement et de faire des efforts crédibles pour protéger les civils :
a) Déploiement d’un bataillon de 850 soldats permettant de remplacer la force d’intervention rapide/force de réserve de la Mission;
b) Déploiement d’un bataillon (850 soldats) permettant de remplacer les trois compagnies d’infanterie pakistanaises empruntées à la MINUL lorsqu’elles lui seront rendues. Le déploiement de ce bataillon permettrait de remplacer en partie les capacités perdues lorsque le bataillon du Bangladesh a été rapatrié au début de 2009;
c) Déploiement d’un hôpital de niveau II, doté d’un effectif de 100 personnes, compte tenu de la détérioration de la situation en matière de sécurité et de la réduction de l’accès du personnel de l’ONUCI aux établissements médicaux nationaux;
d) Déploiement temporaire de la MINUL à l’ONUCI de trois hélicoptères armés MI-24 et de leurs équipages (environ 200 personnes) chargés d’escorter les hélicoptères effectuant des vols d’approvisionnement, et de mener des missions de dissuasion et de protection au vu du climat hostile qui existe désormais. Au cas où le Secrétariat ne serait pas en mesure d’obtenir le consentement du pays fournisseur des contingents au transfert de ces hélicoptères à partir de la MINUL, nous examinons actuellement d’autres solutions avec d’autres pays fournissant des contingents, et reviendrons vers le Conseil de sécurité à ce sujet;
e) Dans le cadre général de la force de police autorisée, remplacement de 60 officiers de police, actuellement transférés et qui seront rapatriés, par 60 membres d’unités de police constituées afin de faire face aux menaces que constituent les foules non armées pour la libre circulation du personnel des Nations Unies et les installations des Nations Unies; et f) Au cas où la crise se poursuivrait, prolongation au-delà de la fin de janvier 2011 du transfert temporaire de l’unité aérienne constituées de deux hélicoptères de transport militaires de la MINUL autorisé au titre de la résolution 1951 (2010); et prorogation au-delà de mars 2011 du déploiement de 500 personnes en tenue supplémentaires (consistant en 400 soldats et 100 membres d’unités de police constituées) comme autorisé par la résolution 1942 (2010).
De façon générale, les propositions susmentionnées entraînent un accroissement de la force militaire totale autorisée, jusqu’à la fin du mandat, de 2 000 personnes venant s’ajouter aux capacités militaires et policières temporaires mentionnées à l’alinéa f) ci-dessus. Je vous serais obligé de bien vouloir porter la présente lettre à l’attention des membres du Conseil de sécurité.
Le Secrétaire général
(Signé) Ban Ki-moon
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