DEMOCRATIE ET RESPECT DES DROITS DE L’HOMME EN CÔTE D’IVOIRE: LAURENT GBAGBO EST-IL LE DIGNE ELEVE DES MAITRES INDIGNES?
210 morts; tels sont les derniers chiffres avancés par l’ONUCI pour faire le point des violences postélectorales en Côte d’Ivoire. Avant ces chiffres récents, le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme et le Gouvernement ivoirien se disputaient l’étendue du bilan en évoquant respectivement 173 morts et 53 morts. L’intérêt qui se loge au cœur de ce jeu de ping-pong est certainement l’image du pouvoir de Laurent GBAGBO. L’ONU voulant brandir la brutalité d’un pouvoir qu’il ne reconnait pas tandis que le Gouvernement ivoirien démontrant que la force publique est restée dans la mesure et dans le droit en dépit des atteintes flagrantes à la sûreté de l’Etat. La patate chaude que l’on se rejette ici n’est autre que la délicate question du respect des Droits de l’Homme qui, selon qu’ils sont respectés ou non dans un Etat, confèrent aux dirigeants le statut de dictateur sanguinaire ou d’apôtre de la paix. Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, le Président Laurent GBAGBO est devenu la cible de tous les projecteurs et même des missiles du monde entier parce qu’il est tenu pour être un promoteur acharné de violation des Droits de l’Homme. Pourtant les faits sont légions qui renvoient aux qualités légalistes, humanistes et humanitaires de l’homme et qui, quand elles sont confirmées, le propulse inexorablement au rang des dignes élèves de la promotion de la démocratie et des Droits de l’Homme dans le monde. Seulement, ceux qui attribuent les notes en la matière, les puissants du monde, n’ont pas toujours le regard objectif du correcteur à telle enseigne qu’ils sont de plus en plus soupçonnés d’être des maîtres indignes des Droits de l’Homme. Leur stylo rouge à la conviction chancelante défie tellement la logique et le bon sens que l’on ne sait jamais quand et à quelle heure le bon aura un sur 20 et le mauvais 19 sur 20. Toute chose qui contribue à faire penser que l’élève est souvent plus digne de la matière que le maitre lui même. C’est pourquoi l’actualité en Côte d’Ivoire oblige tout pratiquant des Droits de l’Homme à s’arrêter sur la question suivante: GBAGBO Laurent serait-il, en la matière, le digne élève des maitres indignes?
Il faut s’aventurer sur cette question pour découvrir la triste, irrésistible et apocalyptique vérité selon laquelle les Droits de l’Homme existent en réalité pour être violés (I). C’est justement pour cela que la sanction de leurs violations s’impose comme une solution pourvu qu’elle soit guidée par l’exemple, le bon sens et la vérité (II).
I- LE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME: UNE UTOPIE UNIVERSELLEMENT ADMISE:
Qu’il s’agisse de crime de guerre ou de crime contre l’humanité, l’histoire nous enseigne que la gestion du pouvoir politique est le cadre par excellence de la violation garantie des Droits Humains. La conquête du pouvoir, sa conservation et l’irréductibilité de l’être humain constituent le triptyque qui ne laisse au pouvoir que la violence comme langage. Tel est l’un des plus grands secrets livrés par Nicholas Machiavel au peuple sous la forme de recommandation faite aux « seigneurs ». Dans Le Prince, il écrit: « en infligeant un petit nombre de punitions exemplaires, il (« Le Prince ») se montrera plus pitoyable que ceux qui, par excès de pitié, laissent se poursuivre , les désordres engendreurs de meurtres ». Comme on le voit, la théorie du pouvoir telle que développée par Machiavel établit l’Homme comme l’objet de la violence « utile », celle que la légalité confère à la Force Publique. Et il n’y a pas qu’en Côte d’Ivoire (A) que cela se vérifie; on le voit aussi dans le reste du monde (B).
A/ EN CÔTE D’IVOIRE:
En côte d’Ivoire, on retrouve Nicholas Machiavel dans tous les pouvoirs qui se sont succédés de 1960 jusqu’à ce jour.
Pour neutraliser le jeune Kragbé GNAGBE et ses idées « sécessionnistes », l’armée de Félix Houphouët BOIGNY a enclenché une violente répression qui n’a pas épargné la tribu de celui-ci. Le bilan: 4000 Guébiés tués.
En représailles aux émeutes occasionnées par le boycott actif de 1995, la Brigade Anti-Emeute d’Henri Konan Bédié avait emprisonné environ 200 émeutiers pour « violence sur la voie publique ». Cinq sont morts du traitement sur eux exercés.
En octobre 2000, l’armée est obligée de mater les occupants de la rue pour consolider la « victoire » de Guéi Robert; au moins 9 personnes tuées.
Tout près de nous, le 16 décembre dernier, l’armée régulière ivoirienne est obligée de faire face une autre armée parallèle qui décide d’accompagner des marcheurs à la RTI pour, dit-on, y installer un nouveau Directeur Général. Les 11 et 12 janvier, elle essuie les tirs de rébelles visiblement déterminés à protéger une poudrière à Abobo. Les affrontements à l’arme lourde font un bilan général qui côtoie les 2 centaines de morts à ce jour .
La constante dans les exemples donnés ci-avant c’est qu’indépendamment du nombre de victimes, les Droits de l’Homme (droit à l’intégrité physique, droit à la vie, liberté de manifester) sont toujours malmenés quand la Force Publique se met en place. Des cas célèbres le démontrent à l’échelle du monde comme cela peut se constater ci-après.
B/ DANS LE MONDE ENTIER: Tunisie, France:
1. le cas actuel de la Tunisie:
Avant de quitter le pouvoir, le Président Ben Ali s’est senti obligé de mobiliser la Force Publique pour contenir une fronde sociale progressivement radicale. Selon la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme, on dénombrerait 68 morts à ce jours. Après la démission de Ben Ali, son Premier Ministre assurant l’intérim a déclaré comme priorité absolue « le maintien de l’ordre public ». Pour y arriver, l’instrument que celui-ci va utiliser s’appelle la Force Publique, celle qui a provoqué les 66 morts de Ben Ali.
2. en France:
En mars 2006, pour imposer aux français leur impopulaire Contrat Premier Embauche (CPE), le Président Jacques Chirac et son Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy n’ont eu d’autres moyens que la Force Publique française pour mater les manifestants. Le jeune syndicaliste Cyril Ferez a été grièvement blessé par la CRS et est resté 3 semaines dans le coma. Les mêmes forces de l’ordre avaient volontairement laisser des encagoulés attaquer et voler des manifestants sur l’Esplanade des Invalides en plein Paris.
II – LA SANCTION PAR L’EXEMPLE, LE BON SENS ET LA VERITE: L’ECHEC DE LA CPI ET DES GENDARMES DU MONDE:
Sanctionner par l’exemple, le bon sens et la vérité signifie que les vrais et célèbres auteurs de violations des Droits de l’Homme soient punis, qu’un minimum de logique transparaisse dans les décisions et que le verdict final soit la conséquence d’une fidèle restitution des faits. A cet exercice, la CPI a souvent échoué (A). Et les Etats Gendarmes du monde ne font pas mieux qu’elle (B).
A/ LES ECHECS DE LA CPI:
Si la Cour Pénal Internationale a une réputation aujourd’hui, c’est bien celle d’une juridiction qui s’illustre par une complaisance et une incohérence légendaires. C’est exactement cette incohérence et cette complaisance « programmés » qui ont motivé les USA et la Chine à ne pas ratifier la Conférence de Rome créant cette cour. Le triste sort de Jean Pierre Bemba et l’exemple ivoirien sont là qui donnent raison aux Américains et à tous ceux qui ne croient pas en la crédibilité de cette juridiction internationale.
1. Le pauvre Jean Pierre Bemba:
Octobre 2002, pour soutenir le Président Centrafricain Ange Félix Patassé dont le régime tangue sous les coups de boutoirs d’une rébellion mené par l’ancien chef d’état major François Bozizé, Jean Pierre Bemba chef de guerre Congolais envoie 1500 hommes en renfort en Centrafrique. La rébellion de Bozizé l’emporte et il devient chef de l’Etat Centrafricain. En 2004, Bozizé traduit Jean Pierre Bemba devant la CPI. Le 23 mai 2004, celui-ci est arrêté et emprisonné au pénitencier de Scheveningen pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le problème c’est que là où le procureur Louis M. Ocampo estime que Bemba a élaboré un plan commun avec Patassé, Aimé Kilolo l’avocat de l’accusé soutient que les 1500 hommes n’étaient pas sous la responsabilité de son client mais sous celle de Patassé. Déjà à ce niveau, l’inconséquence de la CPI est frappante: si Bemba a vraiment concocté un plan avec Patassé c’est que Patassé est co-auteur ou complice selon les règles de la responsabilité pénale. Pourquoi donc Patassé n’est Pas interpellé au même titre que Bemba? Le plus grave c’est que l’autre rebelle Bozizé n’est point inquiété après sa violente et meurtrière offensive. Dans ses conditions, comment ne pas accréditer Aimé Kilolo quand il disait que « cette affaire est une cabale politico-judiciaire contre Bemba » (J.A N°2547 p. 39).
2. le flagrant paradoxe ivoirien:
En septembre 2002, une tentative de coup d’Etat se mue rapidement en une violente rébellion. Celui qui revendique cette rébellion s’appelle Soro Guillaume; un autre que tous les chefs de guerres de cette rébellion désignent comme celui pour qui ils ont pris les armes se nomme Alassane Ouattara. Depuis 2002 jusqu’à une époque récente, les victimes de cette rébellion se comptent en milliers. De l’assassinat des gendarmes désarmés, à l’exécution d’autres rebelles de clans rivaux en passant par les massacres de populations civiles innocentes, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ont recouvré la plénitude de leur sens en Côte d’Ivoire. Cependant quand toutes ces atrocités se produisaient en Côte d’Ivoire et que les cris du peuple ivoirien s’élevait jusqu’au ciel, le silence qui prévalait dans les couloirs de la CPI à la Haye était tellement plat qu’on pouvait entendre, depuis le boulevard Nandjui Abrogoua, la mouche qui volait dans le bureau du procureur Louis Moreno Ocampo. Ni les vidéos, ni les témoignages des victimes ne suffisent jusqu’à ce jour pour ne serait-ce qu’attirer l’attention de la CPI sur les auteurs et commanditaires connus de la rébellion ivoirienne alors que la déposition du témoin 36 a suffi pour inculper Bemba. Bien au contraire, la communauté internationale s’est mobilisée autour du chef de l’exécutif ivoirien pour lui demander d’utiliser les pouvoirs constitutionnels que les ivoiriens lui ont donnés pour amnistier les bourreaux des ivoiriens. Et pourtant, il n’y a pas que les Etats membres et le Conseil de Sécurité qui peuvent le mettre en mouvement. L’article 13 du statut de la CPI lui donne le droit de s’autosaisir devant des violations flagrantes des droits de l’homme. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, il a tout simplement décidé de s’auto-aveugler pour ne rien voir. C’est justement pour cela que ces dernières semaines, l’ONU veut lui prêter des lunettes à infrarouge pour lui permettre de voir depuis la Haye ce qu’elle tient pour des violations des Droits humains et qu’elle tente, à tue-tête, de mettre au passif du Président Laurent GBAGBO.
B/ LA MAUVAISE ECOLE DES ETATS GENDARMES:
L’expérience démontre que ce sont les Etats Gendarmes eux mêmes qui ont toujours humilié la logique d’une justice internationale que défend la CPI. En effet, lorsque le 17 Juillet 1998, l’ensemble des Etats du monde se rassemblait en Italie pour s’accorder sur les fondements de la justice internationale à travers le Statut de Rome portant Statut de la CPI, ce sont les USA qui ont trouvé le moyen de se soustraire de cette dynamique mondiale en prétextant que « le Statut favoriserait l’impunité des hauts responsables d’Etats non parties qui commettent des crimes à l’intérieur des frontières nationales, alors qu’il défavoriserait les Etats, tels les Etats-Unis, dont le personnel (militaire notamment) est très présent à l’étranger » (RGDIP, 1999, pp. 17-18). Pour traduire en acte le refus Américain de ratifier le Statut de Rome, le Président Bush signe, le 2 Août 2002, la loi ASPA (American Service Members’ Protection Act). En plus d’interdire les juridictions Américaines et le Gouvernement de coopérer avec la CPI, cette « loi subordonne la participation Américaine aux opérations de maintien de la paix au vote par le Conseil de Sécurité d’une résolution garantissant l’immunité des forces armées américaines si la CPI peut exercer sa compétence sur le territoire de l’Etat où se déroule l’opération » (Julien Detais, Les USA et la CPI, p.35). Il apparait donc clairement que les USA rejette une justice internationale où ses citoyens seront logés à la même enseigne que les autres citoyens du monde entier.
Du point de vue des Droits de l’Homme, je pense que si la paix et la sécurité des populations restent la priorité des Puissants, ceux-ci devraient surveiller leurs déclarations et prises de positions dans les crises politico-sociales dans le monde. Ils devraient plutôt rappeler aux plus faibles que le développement, la paix et la prospérité qu’ils leur souhaitent (?) ne sont possibles que dans le dialogue et le respect des lois qui régissent leurs sociétés. C’est exactement le contraire que les plus forts font En Côte d’Ivoire. Le regain de violence qui prévaut après les élections n’a pas d’autre source que leur radicalisme incendiaire qui combat les incessants appels au dialogue et à l’apaisement par le Président Laurent GBAGBO. Ils applaudissent même leurs relais locaux qui n’ont dans la bouche que « guerre » (guerre civile) et « mort » (ville morte, pays mort), toute chose qui garantit la mort de la démocratie et les violations massives des Droit de l’Homme.
CONCLUSION:
Loin de nous positionner comme un partisan de la violence Etatique, aussi justifiée soit-elle, notre analyse en appelle à un réalisme thérapeutique qui invite citoyens et militants des Droits de l’Homme du monde à ne jamais perdre de vue que l’existence de la Force Publique emporte la pérennité de la violence légale qui fait le lit de la violation des Droits de l’Homme. Il faut donc encourager toute action politique qui privilégie la démocratie et le respects des lois, gages du respect des Droits de l’Homme dans un Etat. En Côte d’Ivoire, le parcours politique de Laurent GBAGBO ainsi que ses actions dans la crise décennal que connait le pays donnent raison à ceux qui pensent qu’en matière de démocratie et des Droits de l’Homme il est le digne élève de ses maîtres indignes. Que les maîtres de la démocratie, défenseurs des Droits Humains pensent un peu aux hommes qui meurent en Côte d’Ivoire après chacune de leurs déclarations. Sauf s’ils nous apportent la preuve que l’enfant qui nait à l’Hôpital Général de Port-Bouët n’a pas la même valeur juridique et humaine que celui qui nait à la Clinique Pitié-Salpêtrière de Paris.
ARSENE TOUHO
Juriste, Ecrivain, Analyste Politique
Diplômé des Sciences Politiques
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