Le Premier ministre Guillaume Soro, depuis le début de la crise postélectorale, est décidément sur tous les fronts. Dans cette interview accordée à la presse nationale, le chef du gouvernement revient sur l’origine de la crise, le hold-up électoral de Laurent Gbagbo, le soutien de la communauté internationale et les actions que compte mener le gouvernement du président Alassane Dramane Ouattara pour faire plier Laurent Gbagbo. Interview.
Monsieur le Premier ministre, une polémique est entretenue sur les résultats de la présidentielle du 28 novembre. Le camp Gbagbo conteste la validité de ses résultats, reprochant à la Cei de les avoir proclamés hors délai. Pouvez-vous revenir sur les faits pour éclairer l’opinion ?
– Merci de me donner l’opportunité, en tant que maître d’ouvrage du processus de sortie de crise et donc du processus électoral, de dire la vérité sur les grands et petits mensonges qui sont distillés au sein de la population. Je trouve cela totalement abject de mentir. Profitant de l’ignorance de certains, abusant du manque d’information de la population, on trompe les Ivoiriens.
Le code électoral de Côte d’Ivoire existe. La Constitution de la Côte d’Ivoire existe. Les élections que nous avons mis trois ans à préparer, ont été des élections démocratiques, transparentes sur l’ensemble du territoire, au-delà de nos espérances. On sait très bien comment le scrutin a été organisé dans certains pays en sortie de crise. En Irak, en Afghanistan, en Sierra-Léone, au Libéria. Les élections que nous avons organisées devraient tenir lieu de modèle pour l’Afrique, parce que nous avons mis du temps, c’est vrai, mais nous avons préparé avec minutie cette élection. A commencer par la liste électorale qui a été vérifiée, recoupée et revérifiée dans tous les sens jusqu’à ce que chacun en ait été satisfait. N’oubliez pas le rôle prépondérant de l’Ins (Institut National de la Statistique) de M. Méleu Mathieu dans la confection de la liste et dans la traque aux fraudeurs sur la liste. On les a traqués par voie informatique et par voie manuelle. Personne n’aurait laissé passer des fraudeurs sur la liste. Elle a été sanctuarisée. Donc la liste a été bonne pour aller à l’élection.
Après la liste, les opérations de vote ont été regardées méticuleusement. Reprenez les reportages de la Rti sur le premier tour. Tout le monde était fier, heureux, content, à la limite de la jubilation, pour la qualité du premier tour. Chacun a accepté les résultats. Personne n’a eu à redire. Entre les deux tours, j’ai réuni les opérationnels, toutes les structures nationales pour améliorer encore les choses. Parce qu’on avait constaté certaines défaillances : retards dans l’arrivée des bulletins de vote et dans la mise en place. Nous avons pris des dispositions additionnelles pour faire en sorte que le second tour soit impeccable. C’est ce qui s’est passé. Au second tour, les premiers reportages montraient un Fologo heureux, qui disait que ça s’était bien passé et qu’il avait voté. On ne dirait même pas que c’était à Sinématiali, dans son village, qu’il avait voté. Dans les villes comme Tengrela, partout, tous les reportages donnaient un satisfecit au second tour. Donc l’élection s’est déroulée de façon transparente et démocratique. Les observateurs internationaux l’ont dit, notre télévision nationale aussi l’a dit. Pour moi, la mission était accomplie. Ce n’est qu’au deuxième jour, troisième jour après le vote que, les tendances se précisant plus ou moins, on a commencé à découvrir subitement qu’il y avait eu des fraudes. Mais, je reviendrai sur la question spécifique de la fraude. Pour aborder la question spécifique que vous m’avez posée sur le délai prescrit par le code électoral et la Constitution, c’est clair. Je veux qu’un juriste sérieux vienne établir ici, qu’on a dit que la Cei avait trois jours pour proclamer les résultats. Ça n’existe dans aucun texte de loi. Ni dans le code, ni dans la constitution. Il est dit que la Cei a trois jours pour transmettre les procès-verbaux au Conseil constitutionnel. C’est ce que mes juristes ont dit. Je vous précise que les juristes de la Primature ont écrit les textes avec ceux de la Cei.
Quand les bulletins viennent avec les Pv et autres documents, la Cei a trois jours pour les compiler, les organiser dans des sacs pour les envoyer au Conseil constitutionnel, au Représentant du Secrétaire général des Nations Unies et au Représentant du facilitateur, c’est tout. Maintenant, la Cei à son rythme que nous avons toujours voulu accélérer, proclame les résultats. Sinon, pourquoi on peut contraindre une commission électorale à proclamer les résultats trois jours après le vote, et pas le même jour ? Pourquoi pas une semaine ? Donc, il n’y a pas de délai de forclusion. Ça, c’est le premier mensonge qu’il faut lever. On a abusé du droit. La preuve, au premier tour, le résultat a été proclamé après trois jours.
On a aussi interrogé pourquoi le président de la Cei est venu proclamer les résultats au Golf hôtel.
Nous étions dans une ambiance dangereuse du point de vue sécuritaire. Le président de la Cei a reçu, à son domicile, la visite des gendarmes. L’institution Cei même, son siège a été occupé par des miliciens et la garde républicaine en arme. Mais, c’est un acte grave et antidémocratique. Au point où, pour assurer la sécurité des membres de la Cei, on était obligé de demander à l’Onuci d’aller faire des patrouilles pour essayer de rassurer les membres de la commission, tellement ils étaient terrorisés par la garde républicaine. C’est alors que le président de la Cei m’a appelé pour me dire : « Je suis en danger. Monsieur le Premier ministre, vous êtes le chargé de la sortie de crise, est-ce que vous pouvez me sécuriser parce que ça ne va pas ?» Je lui ai donc proposé de venir me voir au Golf. Le président de la Cei est venu au Golf. Il avait les résultats. Il m’a dit : « Monsieur le Premier ministre, je veux proclamer les résultats mais je sais que si je vais à la Cei, je peux être tué. » Parce qu’il recevait des menaces de mort sur son portable. Je lui ai dit, Monsieur le président de la Cei, ce que je vous suggère c’est qu’on trouve comment vous allez proclamer ces résultats. J’ai appelé moi-même le président de la République pour lui dire, Monsieur le président, laissons la Cei faire son travail et proclamer son résultat. Je suis même allé le voir pour lui dire de laisser la Cei donner les résultats. Il a promis me rappeler, il ne l’a pas fait. Et on a compris que la situation était dangereuse pour le président de la Cei qui devait proclamer les résultats alors que le siège de la Cei est investi. Mais, personne n’est dupe ! Le jeu était clair : Empêcher la proclamation des résultats par la Cei pour que le Conseil constitutionnel s’autosaisisse et proclame des résultats que vous savez. Face à cette ruse bien cynique, le président de la Cei m’a dit : « Monsieur le Premier ministre, je prends mes responsabilités. Je ne veux pas que l’histoire retienne de moi que je n’ai pas rempli ma mission. Les résultats sont là, je peux vous les donner au téléphone, c’est Monsieur Ouattara qui a gagné. Donc, je prends mes responsabilités, je vais proclamer les résultats ici au Golf. » On fait croire que c’était le Qg de Monsieur Ouattara, ce n’est pas vrai. C’est moi qui ai toujours été ici au Golf. J’en veux pour preuve, le jour où Alcide Djédjé et Géraldine Odéhouri, envoyés du président Gbagbo, venaient pour m’annoncer la dissolution du gouvernement et de la Cei, c’est au Golf qu’ils m’ont trouvé. Donc tout le monde sait que c’est moi qui suis au Golf. De toute façon, il les aurait proclamés à l’hôtel Tiama ou à l’hôtel Ivoire, ça n’enlèverait rien à la sincérité du résultat qui a été proclamé par le président de la Cei. Donc, c’est encore un gros mensonge.
– Monsieur le Premier ministre, on dit aussi qu’il était tout seul lorsqu’il proclamait les résultats…
Montrez-moi un seul article du code électoral, ou du règlement de la Cei ou de la Constitution qui dit que quand le président de la Cei doit proclamer des résultats, il doit être entouré de tout le monde. Il n’y a pas deux présidents de la Cei. Donc il avait autorité, pouvoir et mandat de proclamer au nom de la commission les résultats.
Quand, en 2000, M. Honoré Guié proclamait les résultats, se faisait-il accompagner de toute sa commission ? Arrêtons ! Quand M. Bamba Yacouba proclamait les résultats du premier tour au fur et à mesure, se faisait-il entourer de gens ? Est-ce pour autant que c’était moins légitime, moins légal ?
Ce sont des artifices, ce sont de gros mensonges. Les résultats de la Cei sont des résultats vrais. Il y avait cinq sources de comptage. Il y avait M. Choï, M. Badini et moi-même, je me suis donné les moyens de compter. La Cei comptait les résultats et le Conseil constitutionnel avait les bulletins. Nous avons tous compté, et nous avons trouvé les mêmes résultats. Même le Conseil constitutionnel a trouvé les mêmes voix que nous.
Mais, aujourd’hui on parle de recomptage des voix. Cette revendication n’est-elle pas opportune ?
Les résultats ont été comptés par des sources différentes et on a trouvé les mêmes résultats. C’est du dilatoire pour gagner du temps à des fins que j’ignore. Il faut que la République soit sérieuse ! Il y a quand même des institutions qui ont fait leur travail. Le Conseil constitutionnel n’a pas pour rôle de compter les bulletins de vote. Parce que dans une République, on ne peut pas créer deux institutions pour faire exactement le même travail ! La République organisée est plus sérieuse que ça. Le travail de la Cei, c’est de compter les bulletins de vote et de proclamer les résultats. Le Conseil constitutionnel reçoit les réclamations et apprécie l’environnement électoral et la sincérité du vote.
On a été un peu surpris parce qu’au cours de la journée du 28 novembre, les informations qui nous parvenaient faisaient plutôt état d’empêchements et d’exactions sur certaines populations dans le Centre-ouest. Il y a même eu des morts. A la fin du scrutin, on nous informe qu’il y a eu des fraudes massives au Nord, qu’on a même empêché certains représentants du candidat Lmp d’avoir accès à leurs bureaux de vote et finalement, la question des fraudes au Nord a conduit le Conseil constitutionnel à légitimer un peu l’évaluation de certains observateurs. Qu’est-ce qui s’est passé, d’autant plus que les préfets disent que tout s’est bien passé ?
Voilà encore un gros mensonge. La République foisonne de mensonges. Première chose : pour justifier l’invalidation du scrutin dans sept départements au Nord, on dit qu’au premier tour, il y a des bureaux de vote qui ont été invalidés dans la ville de Paris. On peut en faire autant au Nord. C’est injustifié ! Ce qui s’est passé à Paris, c’est que les violences ont eu lieu dans les bureaux de vote. C’est-à-dire qu’on a porté atteinte à l’intégrité des urnes à Paris. Ce qui justifiait que certains bureaux de vote aient été annulés. Mieux, ce n’est pas parce que dans un bureau de vote à Paris, qu’on va annuler le vote pour toute la France. C’est incongru ! Au Nord, on dit qu’il y a eu des violences dans les rues, donc on va annuler le vote. Non ! Il y a eu des incidents au Nord. Quand on me dit que M. Alphonse Douati a été bloqué à un poste de contrôle, ce n’est pas un bureau de vote ! Ce sont des mensonges, c’est de la manipulation, c’est de la démagogie ! On dit que quelqu’un a été bloqué à un poste de contrôle, donc il a été pris en otage, encore que l’information est fausse. Mais est-ce qu’il y a un bureau de vote à un poste de contrôle ? Pourquoi donc annuler le vote parce qu’un ministre a été bloqué à un poste de contrôle ? Deuxièmement, à Korhogo, le véhicule de Lanciné Gbon a été cassé par des jeunes. Son véhicule est-il un bureau de vote pour qu’on annule le scrutin? Voilà le mensonge qu’on sert aux gens.
M. le Premier ministre, on a reproché aussi aux Forces nouvelles d’avoir transporté les urnes, alors qu’elles ne sont pas habilitées à le faire ?
Ce sont des histoires. A supposer même que ce soit vrai. Qu’on ait transporté les urnes. Le PV de dépouillement, c’est dans le bureau de vote et non dans le transport ! C’est après le dépouillement que le PV est signé ! Qu’on ait transporté les urnes n’entache pas ce PV qui a été signé dans le bureau de vote! Il faut que les Ivoiriens sachent que le vote a été transparent. Les fraudes dont on parle n’ont existé que dans l’esprit de ceux qui veulent confisquer le pouvoir. Je demande à M. Méité de mettre à votre disposition le rapport du Centre de commandement intégré qui est clair. Il dit qu’à l’Ouest et au Sud-ouest, il y a eu empêchement de vote des allogènes. Et vous verrez qu’entre les violences au Nord et celles au Sud et il n’y a aucune commune mesure.
Qu’on laisse donc le peuple de Côte d’Ivoire qui s’est exprimé à un taux de 84% au premier tour, et de 81% au second tour. On ne peut pas voler ni blesser la dignité et la souveraineté du peuple ivoirien.
L’autre argument qui est avancé, c’est que dans certains départements au Nord, le nombre de votants est supérieur au nombre d’inscrits sur la liste. On dit aussi qu’il y aurait dans environ 500 bureaux de vote, zéro voix pour le candidat Lmp, alors qu’il y avait des représentants.
C’est ce qu’on appelle la manipulation. Ces gens ont vraiment appris de bonnes leçons du nazisme au temps d’Hitler et du bolchévisme. Au premier tour, Francis Wodié a eu zéro voix dans beaucoup de bureaux de vote. Il était supposé y avoir des représentants. M. Mabri Toikeuse aussi a eu zéro voix dans des bureaux de vote. Il était également supposé y avoir des représentants. Donc, au second tour, Gbagbo a eu zéro voix dans des bureaux de vote, comme MM. Mabri et Wodié, et comme tous ceux qui ont eu zéro voix ! Où est le problème ? Mais mieux, du point de vue technique, vous pouvez avoir zéro voix dans des bureaux de vote, bien que vous y ayez des représentants. Que s’est-il passé au second tour ?
Les membres de La majorité présidentielle ont affirmé – et il me l’ont confié – qu’au Nord, leurs représentants dans les bureaux de vote étaient des achetés ; ils n’auraient pas fait leur travail au premier tour. Pour s’assurer que leurs représentants au second tour seraient des gens fiables, ils ont décidé, à coût de cars remplis de jeunes à Abidjan, de les envoyer au Nord pour être leurs représentants dans les bureaux de vote. Vous savez le principe de cette élection : vous votez là où vous avez été inscrit. Comme moi, Premier ministre, j’ai été inscrit à Bassam, je quittais Abidjan pour aller y voter. Si vous prenez des jeunes à Abidjan pour les faire représentants dans les bureaux de vote au Nord, puisqu’ils n’y sont pas inscrits, ils ne peuvent pas voter, bien que représentants d’un candidat. C’est ce qui explique que vous avez zéro voix parce que même vos représentants ne peuvent pas voter dans ces bureaux de vote. Voilà la manipulation et le mensonge. Et les gens mentent avec les yeux ouverts devant tout le monde. Concernant la disproportion, du point de vue strictement technique, si vous prenez les élections de 2000, les militaires avaient le droit de voter deux ou trois jours avant l’ensemble de la population. Quand nous sommes allés à Ouagadougou, la Cei nous a proposé de faire voter les militaires et les personnels d’astreinte avant les autres. C’est Gbagbo lui-même et tous les autres qui ont dit, non non, il faut qu’on vote tous ensemble. On a affecté au Nord près de 4000 policiers, gendarmes et militaires. Et le personnel d’astreinte, c’est-à-dire, tous ceux qui sont obligés d’être là-bas, pour des raisons de fonction, de mission, les militaires, les agents de la Cei, les superviseurs, les magistrats, etc. Comme ils devaient voter le même jour et qu’on avait limité le nombre d’inscrits à 400, si vous voyez dans un bureau de vote 402 inscrits, cela veut dire qu’il y a eu deux personnels d’astreinte qui y ont voté. Mais, pour qu’ils aient accès au vote, il fallait un ordre de mission dûment signé, pour les militaires, par le Gal Mangou Philippe, qu’il ait sa carte d’électeur et que son nom soit inscrit sur la liste des personnels d’astreinte. Encore que, Messieurs les journalistes, vérifiez bien si un seul bureau de vote a atteint les 100% d’électeurs votants. Ce sont des mensonges encore qui sont livrés ! On dit que cela s’est passé dans 2000 bureaux de vote. On m’informe que malgré les personnels d’astreinte, on ne pouvait pas atteindre les 100% dans les bureaux de vote. Parce qu’entre le premier tour et le second, il y a eu des gens qui sont tombés malades. Ce phénomène-là, ce n’est pas au Nord seulement. On dit qu’au Nord, il y a eu plus de votants que d’inscrits. Le premier mensonge c’est ça. C’est sur l’ensemble du territoire que le personnel d’astreinte a été déployé. Tout n’est que mensonge. Rien que pour justifier la confiscation du pouvoir.
Il y a une autre préoccupation qui est celle de la certification par rapport au Conseil constitutionnel. Pouvez-vous nous éclairer sur le compromis qui a abouti à cette certification ?
– Je suis un témoin vivant. Et il faut que je clarifie. Après le 19 septembre 2002, l’élection devait se tenir en 2005. Il nous fallait mettre en place une commission électorale indépendante. Le Fpi (ndlr, Front populaire ivoirien, parti de Laurent Gbagbo) disait à l’époque qu’il ne voulait pas du Mpci dans la commission électorale et il y a eu un blocage. Nous avons alors dit que si nous n’entrons pas dans la commission, il n’y a pas d’élection.
Le président Mbeki nous a appelés à Pretoria. On nous a dit de constituer la commission à raison de deux représentants par force politique signataire de l’Accord de Marcoussis. Le Fpi disait qu’il fait une concession mais qu’en échange, le Mpci et le Mpigo devaient avoir un seul représentant chacun. J’ai dit qu’il n’en était pas question. Il y a eu un blocage. Le président Mbeki m’a posé la question suivante: « Monsieur Soro, qu’est-ce qu’il vous faut pour que vous désarmiez et qu’on ait l’élection ? » Je lui ai alors dit que mon premier problème, c’est qu’il faut que je sois dans la commission électorale comme tous les autres. Ensuite, il faut que j’ai confiance en l’élection, que celle-ci sera propre. Or, je n’ai pas confiance en l’Ins (ndlr, Institut national de la statistique) parce qu’elle est dirigée par un proche de Gbagbo. Ma fermeté était à la limite de l’agacement. Le président Mbeki a fini par me demander : « Monsieur Soro, qu’est-ce qu’on fait ? » J’ai alors proposé que l’Onu vienne organiser les élections en Côte d’Ivoire. Entre le péril de l’organisation d’une élection par l’Onu et accepter que les Forces nouvelles aient deux représentants à la Cei, Gbagbo Laurent a accepté que nous ayons nos deux représentants.
Entretemps, ma proposition a fait tilt dans la tête de Mbeki et il a posé la question à Koffi Annan. Le Secrétaire général de l’Onu a répondu que pour que l’organisation organise les élections en Côte d’Ivoire, il faut que le pays soit déclaré en faillite. Comme jusqu’à présent les institutions fonctionnent, l’Onu ne pourra pas organiser les élections mais elle a déjà l’expérience d’une implication forte dans l’organisation des élections. Quand Mbeki nous a fait la proposition, nous avons tous accepté, y compris Gbagbo. Voilà comment on a créé dans l’Accord de Pretoria, le poste de Haut représentant chargé des élections. Ce poste a été occupé par Monteiro et Gérard Stoudman.
C’est à la faveur de l’Accord politique de Ouagadougou que nous avons dit, comme c’est une réappropriation du dossier ivoirien par les Ivoiriens, pour réduire l’implication des Nations Unies, on peut supprimer le poste de Haut représentant chargé des élections pour en confier les prérogatives au Représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu. Je suis un témoin vivant. Vous savez, parmi nous les leaders, je suis le doyen des accords ; Bédié était le doyen d’âge. Bédié, Ouattara et Gbagbo n’étaient pas à Lomé (ndlr, premières négociations sous la houlette de Gnassingbé Eyadema), moi si. Ensuite on s’est retrouvés à Marcoussis.
Choi a donc mis en place une Cellule élections au sein de l’Onuci. Il est donc clair que nous étions tous d’accord que l’Onu qui, au-dessus de la mêlée et de tout soupçon, devrait, par son implication, trancher la question si d’aventure il y avait matière à contestation. Nous nous étions mis d’accord pour reconnaître celui dont la victoire serait déclarée par l’Onu. Donc, l’Onu est parfaitement dans son rôle de certification.
Le représentant du secrétaire général devait-il certifier les résultats avant ou après la décision du Conseil constitutionnel ?
Le Représentant spécial du Secrétaire général devait certifier les élections après les institutions nationales. Et, c’est ce qu’il a fait. Au premier tour, il a attendu que les institutions nationales se prononcent et il a certifié. Pourquoi les gens n’ont pas crié à l’époque ? Alors, quand on gagne au premier tour et qu’on est en tête, tout va bien, on applaudit l’Onu. Mais, quand on perd au second tour, ils deviennent des démons. C’est de la manipulation. Que personne ne se laisse tromper par cette diversion.
On note beaucoup d’efforts entrepris par votre gouvernement malgré les contraintes. Mais, après plus d’un mois, la situation n’a pas véritablement évolué sur le terrain. Votre adversaire continue de tenir les rênes du pouvoir, la population commence à se poser des questions. Comment comptez-vous gérer cette situation alors que les populations sont soumises à des violations des droits de l’homme ?
Sur la question des droits de l’homme, je suis personnellement choqué. Parce qu’aujourd’hui, nous sommes à plus de trois cent morts. Evidemment, vous me direz que l’Onu a annoncé 274 morts. Mais, comme ils sont lents par rapport à nous, ils n’ont pas les mêmes méthodes de comptage que nous, dans une semaine, vous verrez que l’Onu va franchir le cap de trois cents morts. Comparaison n’est pas raison, mais en Tunisie il y a eu 67 morts. Donc le président tunisien a quitté le pouvoir parce qu’il a une haute idée de l’Etat. Mais, chez nous ici, comme on nous a dit que 1000 morts ce n’est rien, on est à trois cents morts. Quelqu’un qui a une haute idée de l’Etat, de son pays, aurait quitté depuis, même s’il considère par extraordinaire qu’il avait vraiment gagné les élections, comme Ben Ali les a gagnées en Tunisie, sans conteste. Mais parce qu’il aime le pays, il aime les Ivoiriens, il aurait pu partir pour épargner la vie d’innocentes personnes. Donc on peut même catégoriser les dictateurs : les sans-pitié et les éclairés qui aiment leur pays. Sur la question des droits de l’homme, je pense que ça ne va pas rester sans conséquence. Le gouvernement a écrit au Cpi pour que les gens viennent faire des enquêtes. Des innocents meurent dans les quartiers tout simplement parce qu’ils sont stigmatisés, leur seul crime, c’est d’avoir voté un candidat, ou même d’appartenir à la même ethnie que lui ou au même groupe communautaire. Ce sont des choses intolérables qu’on ne peut pas accepter.
Vous dites que ça fait plus d’un mois, que les choses n’ont pas évolué. Je n’ai pas la même lecture que vous. C’est vrai, vous pouvez être impatient, les Ivoiriens peuvent l’être. C’est totalement compréhensible, face aux difficultés du quotidien, l’économie qui tourne au ralenti.
Mais, soyons objectifs. Après la proclamation des résultats, Gbagbo avait tout le pouvoir entre ses mains. Il avait le contrôle de la diplomatie, des finances, de l’administration. A ce jour, un mois après, faisons un bilan. Au plan de la diplomatie, qui nomme les ambassadeurs ? Ce n’est pas Gbagbo, c’est M. Ouattara. On peut quand même considérer que M. Ouattara a pris 98% du pouvoir dans la diplomatie et que Gbagbo a perdu 98% du pouvoir. Parce que c’est M. Ouattara qui nomme les ambassadeurs et on va continuer de nommer les ambassadeurs.
Au titre des finances publiques, vous le savez bien, au lendemain de l’élection, de la proclamation des résultats, Gbagbo avait tout le contrôle, la signature sur tous les comptes de la Côte d’Ivoire. Il maîtrisait tout le circuit financier. Mais, un mois après, c’est Ouattara qui a la signature à la Bceao, c’est lui qui a le contrôle des comptes de l’Etat de côte d’Ivoire. Ce qui oblige le gouvernement actuel à envoyer, comme des gangsters, des hommes avec des armes dans les banques, etc. Mais la situation va aller en s’améliorant pour le gouvernement Ouattara. Donc on peut quand même considérer que Ouattara qui avait 0% de pouvoir là-bas, a pris du pouvoir dans les finances publiques. Au titre de l’administration, tout le monde sait que celle-ci ne fonctionne plus. Vous qui êtes journalistes, passez dans les bureaux, dans les ministères, à la primature, etc. Ils ont des difficultés pour trouver des gens pour travailler. Donc ça montre bien le progrès qu’il y a eu à ce niveau. Mais mieux, au niveau de la défense, l’institution Armée, telle qu’elle est organisée, devrait, du dernier soldat au plus haut chef, répondre de Gbagbo. Mais vous savez très bien que maintenant, il y a des officiers supérieurs qui nous ont rejoints. Quand j’ai nommé mon directeur de cabinet, on a dit qu’il est à la retraite. Mais le colonel-major Diomandé Megnan qui vient de nous rejoindre, Koné Mamadou qui vient également de nous rejoindre, et bien d’autres que je ne cite pas maintenant, avec qui nous parlons, avec qui nous organisons le ministère de la Défense, eux ils sont en fonction, ils sont dans l’armée où ils ont occupé des postes importants. Donc les lignes dans l’armée sont en train de bouger.
Aujourd’hui, à combien peut-on estimer les officiers généraux de l’armée qui sont dans votre camp ?
Ce n’est pas important. Je dis simplement que les lignes sont en train de bouger. On a vu un comportement des différentes forces quelque peu différent de ce qu’on aurait vu en 2002, ou en 2005. Ce n’est vraiment plus la même réaction. Cela montre bien que l’armée est consciente. Le vrai problème qui s’est posé pour notre armée, c’est que des généraux comme le général Mangou nous ont mis dans la crise en allant faire allégeance à un candidat qui se proclamait élu avant même qu’il ait prêté serment. Parce que dans une République, à supposer même que Gbagbo serait élu, l’armée aurait dû attendre qu’il prête serment. C’est après sa prestation de serment qu’on vient faire allégeance à ce moment à un président à qui le pouvoir est officiellement dévolu. Mais quand vous le faites avant même qu’il ait prêté serment, et non pas au palais, mais à sa résidence, c’est un coup d’Etat.
Est-ce que ce n’était pas prévisible. Parce que Gbagbo leur a dit si je tombe, vous tombez. Et avant les élections il avait dit, j’y suis j’y reste.
Ce sont des propos de campagne, de propagande. Je parle de la République. Parce que, quand un candidat dit j’y suis j’y reste, c’est sa volonté. C’est même un souhait, peut-être un vœu. Mais je parle de la République. La République qui est organisée avec une constitution, des lois, des piliers. On ne va pas faire allégeance à un président qui n’a pas encore prêté serment. En le faisant, c’est la forfaiture. Parce que l’armée aurait pu dire, Ivoiriens, Ivoiriennes, nous avons deux Institutions importantes de notre pays qui ont donné deux résultats différents. Nous militaires qui ne faisons pas la politique, ne comprenons rien là-dedans, nous en appelons au Premier ministre qui a conduit le processus électoral, pour qu’il rapproche les deux institutions pour nous dire exactement ce qu’il en est, pour que l’armée puisse jouer son rôle régalien. Vous ne pensez pas que la situation aurait été différente ? Cela aurait été plus intelligent, cela aurait été républicain. Pourquoi l’armée choisit de suivre le Conseil constitutionnel et non pas la Cei ? En se comportant comme ils l’ont fait, c’était de la forfaiture, ils ont plongé la Côte d’Ivoire.
M. le premier ministre, de plus en plus, les observateurs parlent d’un troisième candidat qui serait l’armée. Cela signifie que, comme les deux candidats se battent, pourquoi l’armée, au lieu de faire allégeance, ne prendrait pas le pouvoir pour une transition ?
L’époque des armées est finie, avec l’exemple en Guinée. Même en Tunisie, l’armée n’est pas en train de prendre le pouvoir. L’armée est faite pour être dans les casernes et pour défendre la nation. C’est terminé. Même si quelques uns avaient cette prétention, ils doivent donc savoir que personne ne laisserait faire, ni la communauté internationale ni même l’opinion nationale. L’armée doit respecter les règles de l’Etat. Aujourd’hui, il y a eu une élection démocratique et transparente. Donc, l’armée doit s’incliner et faire allégeance au président qui est sorti des urnes.
Que dites-vous lorsque le général Philippe Mangou accuse le camp Ouattara, dont vous êtes le Premier ministre, d’organiser les combats d’Abobo ?
Je dois dire que personnellement, je suis déçu du général Philippe Mangou. C’est personnel. Peut-être que je n’aurais pas dû le dire. Parce que c’est un monsieur que j’ai su apprécier. C’est un fils de pasteur, lui-même très pétri de la foi chrétienne. Il ne fait pas un discours sans évoquer sa foi chrétienne et sa croyance en Dieu. J’ai pensé qu’il aurait suivi la vérité. Encore que même si tu n’as pas eu le courage de dire la vérité, de suivre la vérité, on peut être modeste dans ses propos. C’est un bel homme qui est intelligent, il est très éloquent. Je souhaite qu’il ne gâche pas le crédit et la sympathie que les Ivoiriens ont eus pour lui. Il n’a pas besoin d’attaquer le président Alassane Ouattara. On ne sait pas ce que demain nous réserve. Nous avons vu des gens qui étaient solidement attachés au pouvoir qui sont partis. Ben Ali a fait 23 ans au pouvoir et un matin il a été surpris. Oui, c’est vrai que Philippe Mangou peut croire en Gbagbo, mais Gbagbo peut partir. Et demain, il se retrouvera face à ceux qu’il a insultés, vilipendés et traités de tous les noms. Ce conseil que je donne est valable pour nous tous. Quand on vous donne une responsabilité, vous l’assumez de la façon la plus juste et objective possible. Vous n’avez pas besoin de vous faire des ennemis inutiles. Parce que parler à M. Ouattara et de nous de cette façon, ce n’est pas nécessaire, ce n’est pas utile. Il aurait pu faire sa déclaration pour dire il y a eu des évènements à Abobo, nous ne savons pas de qui cela vient, nous allons aller mettre de l’ordre. Il nous aurait paru plus responsable, plus sérieux.
Que savez-vous des évènements d’Abobo ? Que pouvez-vous dire pour rassurer la population ?
Nous savons que la répression a été féroce sur Abobo. Cette commune a payé un lourd tribut à la crise. Des populations civiles aux mains nues ont été exécutées. Des Libériens ont coupé têtes et bras des civils. Les populations se sont organisées pour résister. Non pas parce qu’elles veulent se battre, mais parce que c’est la défense légitime. Quand vous êtes dans votre maison que la nuit, on vient vous sortir pour vous abattre, vous avez quand même le droit de dire que vous voulez vivre. Vous avez le droit de vous organiser avec des casseroles, pour les taper afin d’alerter les autres et vous défendre. J’appelle cela de la défense légitime.
Que répondez-vous à l’accusation du camp Gbagbo qui dit que les Fn ont infiltré la commune ?
(Rire). Je ne crois pas. Ils ont si peur des Fn ? Vous savez, on aurait pu simplement donner un ordre au général Bakayoko d’attaquer Tiébissou, Duekoué, d’avancer sur Yamoussoukro. Mais j’ai dit non à ce que les FaFn avancent. Ma philosophie est simple. Le président Ouattara a autorité sur la Côte d’Ivoire. Un président soucieux de l’unité de son pays, de l’unification de son armée, ne peut pas dire à une partie d’attaquer l’autre. En tant que ministre de la Défense, j’ai deux forces armées. Je ne peux dire aux FaFn d’attaquer les Fanci. Ce que je dois dire aux FaFn et aux Fanci, c’est qu’elles se mettent d’accord, discutent. Voilà pourquoi quand les FaFn sont rentrées à Tiébissou et Duékoué, où elles avaient pris de l’armement, je suis intervenu pour leur dire de rendre les armes. Elles appartiennent à la Côte d’Ivoire. Quand les jeunes ici, au Golf, étaient excédés, et sont allés déloger la garde républicaine qui était dans les environs, j’ai dit au Général Gueu d’appeler Mangou pour leur remettre leurs armes qu’ils avaient saisies. C’est la même armée. On doit les unifier. Elles ne doivent pas se tirer dessus. C’est cela la réalité. Si je ne l’ai pas fait à Bouaké, pourquoi voulez-vous qu’on en infiltre à Abobo ? C’est illogique, c’est un mensonge. Sinon, il me serait simple, parce que les Forces armées des Forces nouvelles ont des armes de guerre. Et, aujourd’hui, j’en parle avec assurance parce qu’on a des armes.
Vous avez indiqué que les FaFn étaient prêtes à appuyer les troupes de l’Ecomog.
Ce sera en ce moment l’application du droit international et de la légalité internationale. En ce moment, on tiendrait un discours clair aux Fanci : « Qui sont ceux d’entre vous qui rentrent dans la République ? Ceux qui se mettraient au banc du droit international et de la légalité internationale, seront traités comme tel. Mais ceux qui rejoindraient le camp de la légitime force, du droit international et de la légalité internationale, s’embrasseront avec les FaFn et les forces de l’Eomog », pour chasser la milice privée de Gbagbo. C’est différent dans la conception et dans la nuance. Les forces armées sont à l’écoute de la communauté nationale et internationale. Donc, le jour où les forces de l’Ecomog viendront, on dira à Mangou qu’il a le choix : « Est-ce que tu décides de suivre Gbagbo dans l’illégalité, dans l’illégitimité, dans la forfaiture et dans la confiscation du pouvoir ? En ce moment, nous te considérons comme étant rebelle et tu seras traité comme tel. Ou bien tu suis le droit international et la légitimité internationale donc la légitimité et la légalité du président élu. » S’il dit oui, il n’y aura pas de raison de le combattre.
A quoi les Ivoiriens doivent-ils s’attendre quand on voit les limites du règlement pacifique de cette crise ? A quand l’arrivée des troupes de l’Ecomog ?
Vous savez très bien que la semaine prochaine, l’Ecomog se réunit à Bamako (Mali). Ce sera à eux de déterminer la date de leur action en Côte d’Ivoire. Ceci dit, je considère que les problèmes de la Côte d’Ivoire dépassent ses frontières. Nous assistons dans notre pays à la survie de la démocratie. Le peuple a élu démocratiquement un président de la République. Soit la communauté internationale se mobilise pour que la démocratie s’ancre dans notre société, comme le monde entier s’est mobilisé pour que le mur de Berlin chute, pour qu’on passe, en Afrique, du parti unique au multipartisme, c’est le même défi. En 1990, tous les pays ont basculé dans le pluralisme politique. Soit en Côte d’Ivoire, on échoue à restaurer la souveraineté du peuple, à restaurer la démocratie et c’est un recul aux présidences à vie. Pourquoi ? Vous laissez le peuple voter comme il veut, et puis le Conseil constitutionnel à votre disposition nomme le président de la République, supprimant ainsi le suffrage exprimé par les populations. Face à cela et aux tueries en Côte d’Ivoire, moi je revendique le droit d’ingérence pour stopper le chaos. S’il y avait eu ce droit d’ingérence au Rwanda, on n’aurait pas eu le génocide. Donc, il faut que la communauté internationale intervienne.
Il y a une série d’actions qui sont entreprises pour arracher la signature de la Bceao à M. Gbagbo. Vous l’avez pratiqué pendant un certain nombre d’années comme Premier ministre. Ne pensez-vous pas qu’il est pris en otage par son clan ?
Je crois que c’est Gbagbo lui-même qui décide. Personne ne le prend en otage. Parce que quand on arrive à un niveau, on doit décider pour soi-même. Je suis convaincu que Ben Ali (ancien président de Tunisie) en voyant les foules dans les rues, en voyant les tueries qui avaient commencé, a pris lui-même la décision de partir. Quand on a une haute opinion de l’Etat, quand on aime son pays et qu’on ne veut pas mille morts dans son pays, on prend la décision de partir. Quel délice y a-t-il à s’accrocher à un pouvoir où tu n’es reconnu nulle part, où tu ne peux pas voyager ou bien dans ton propre pays tu ne peux pas aller dans certains quartiers ? C’est morbide. Quel délice y a-t-il à être président dans ces conditions ? On ne peut pas être égoïste à ce point ! Est-ce qu’il a le droit d’empêcher ses enfants d’aller en France, parce que lui n’y va pas, et de les rendre ridicules? C’est en cela que Houphouët-Boigny était un sage. Il a dit qu’il fait la politique pour ses enfants. Aujourd’hui, ses enfants sont libres ici. Quelques fois, ils sont si effacés. Houphouët-Boigny ne leur a pas laissé en héritage des sanctions. Personnellement, si je m’étais retrouvé dans cette situation, je ne ferais pas cela à cause de mes enfants. Et je pense que M. Gbagbo doit quitter le pouvoir. Tous ses collaborateurs qu’il fait sanctionner, tous ses enfants qu’il fait sanctionner. On m’a signalé que des enfants qui étaient aux Etats Unis, on leur a signifié de quitter le pays. Ils vont perdre leurs études. Peut-être même que certains vont perdre leurs conjoints. Est-ce que pour le pouvoir tu as le droit d’agir de cette façon ? Je n’en sais rien, mais chacun décide.
Comment peut-on envisager l’option militaire sans craindre une guerre civile ?
Je vous ai dis que si la communauté internationale était intervenue très rapidement au Rwanda, on n’aurait pas eu plus d’un million de morts. Bien que les gens n’interviennent pas en Côte d’Ivoire, est-ce que chaque jour on ne tue pas des innocents?
Donc, une intervention bien préparée, ciblée sur Gbagbo, fera l’économie de vies humaines. Il ne faut pas se leurrer. Il y a eu une intervention en Sierra Léone, il n’y a pas eu plus de morts qu’avant. Il y a eu une intervention en Bosnie. Il n’y a pas eu plus de morts qu’avant. L’histoire nous enseigne que lorsqu’il n’y a pas d’intervention, c’est en ce moment qu’il y a des millions de morts. Quand il y a une intervention, elle stoppe le chaos. Pourquoi vous voulez qu’en Côte d’Ivoire cela soit différent ?
Si l’intervention militaire avait eu lieu le 15 décembre dernier, il n’y aurait pas eu 300 morts. Donc, c’est faux de faire croire aux gens qu’une intervention militaire va créer une guerre civile.
M. le premier Ministre, on parle de plus en plus de découverte de charniers. Qu’est-ce que vous en savez ?
Il y a des charniers en Côte d’Ivoire. Cela ne restera pas impuni. Nous avons demandé à la Cpi de venir enquêter sur ces charniers. Je veux que l’Onuci soit plus ferme, pour se donner les moyens, y compris par la force, d’aller enquêter sur ces charniers. Personne ne devrait empêcher des familles de récupérer leurs corps. De quel droit, après avoir fait leur charnier, empêchent-ils les populations d’aller prendre leurs corps afin de leur offrir une sépulture. Je rappelle que ce sont des crimes imprescriptibles.
Vous avez mis en place un comité de surveillance et de sanctions des fonctionnaires qui collaborent avec l’ancien régime. Pouvez-vous faire le point de ses actions ?
Nous faisons le point de situation sur l’état des directeurs généraux et centraux de notre administration qui collaborent avec un gouvernement illégal. Je leur signale que c’est de la sédition et qu’ils seront sanctionnés pour cela. Donc, comme les ministres ont été sanctionnés, ils ont tendance à envoyer les directeurs centraux en voyage. Mais, ceux-là aussi vont être frappés de sanctions. Mieux le gouvernement entend réserver une suite judiciaire.
Que dites-vous aux fonctionnaires concernant leurs salaires ?
C’est simple. M. Gbagbo a ralenti l’économie. Les fonds qui étaient encore au Trésor ont été retirés par des hommes en armes. Ils sont allés acheter des armes en Europe. Ils ont eu des armes types scorpion. Nous le savons. Donc, les Ivoiriens doivent savoir à quoi servent leurs salaires. S’ils n’ont pas eu leurs salaires du mois de janvier, c’est parce que Gbagbo les a utilisés pour acheter des armes en Europe avec un certain Robert Montoya. Plus vite Alassane Ouattara sera au palais, plus vite les fonctionnaires auront leurs salaires.
Cette semaine on annonce l’opération « pays mort ». Est-ce que vous avez enfermé votre combat dans un délai ? Ou bien c’est un corps-à-corps jusqu’à ce que Gbagbo parte du pouvoir ?
Il ne faut pas être pessimisme. Des peuples ont mis un mois pour faire partir un dictateur. D’autres ont mis huit ans. Il y a certains qui ont fait un an. Je vous signale qu’au Niger, c’est un an après que Tandja est parti. Donc, chaque peuple a son histoire. Les évènements se succèdent mais ne se ressemblent pas. C’est vrai qu’en Tunisie c’est environ un mois. En Côte d’Ivoire, c’est peut-être plus de deux mois. Le plus important c’est que le peuple reste déterminé. Et se donne les moyens de sa révolution. La révolution orange en Ukraine n’a pas pris un mois, mais un trimestre. Chaque peuple a son histoire. Ce dont je suis sûr, c’est que nous réussirons notre révolution. Et Gbagbo partira.
Interview réalisée par :
Nord-Sud, Le Patriote, L’Expression, L’Intelligent d’Abidjan, L’Inter, Le Nouveau Réveil.
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