Par Connectionivoirenne.net – La Rédaction
« Côte d’Ivoire: le réveil de l’intellectuel africain est en jeu », une tribune récemment publiée par Jeune-Afrique, signée par Gaston Kelman, écrivain français d’origine camerounaise. Gaston Kelman pour ceux qui ne le connaissent pas est l’auteur entre autres de Les blancs m’ont refilé un dieu moribond (2007) et de Les hirondelles du printemps africain (2008).
Sans citer notre compatriote Venance Konan; Kelman conclut sa tribune dans laquelle sont cités pêle-mêle Tierno Monénembo in Le Monde du 4 janvier « L’ONU recolonise l’Afrique », Calixthe Beyala in « Gbagbo n’est pas seul » et l’énigmatique (le mot est de Kelman) « Collectif d’intellectuels franco-africains et de citoyens engagés » ; par cette phrase: « Il appartient à l’intellectuel de prendre la parole pour accompagner le peuple dans cette quête de renaissance et de respect, et à l’homme politique d’en tenir compte. »
Abordant dans le sens de la prise de parole en public souhaitée par Venance Konan et Gaston Kelman, le Professeur Camerounais Franklin Nyamsi, cadre de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Dans une interview toute récente accordée au journal en ligne camer.be, M. Nyamsi assène haut et fort ses vérités sur le hold-up électoral de Laurent Gbagbo, stigmatise la volonté continue d’auto-perpétuation au pouvoir chez le leadership politique négro-africain et invite les leaders d’opinion africains « qui s’enferment dans la dénonciation purement émotionnelle du colonialisme à méditer les limites autocritiques » Nous vous proposons de larges extraits de cette interview.
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Intellectuels africains, défaite électorale de Laurent Gbagbo et anticolonialisme lucide
Professeur, les africains sont divisés sur le rôle que joue la communauté internationale en Côte d’Ivoire actuellement, c’est la rue qui décide en Tunisie. Comment appréciez-vous ces deux situations ? Sont-elles complémentaires ou tout à fait contradictoires à votre avis ?
Sachons être mesurés. En Tunisie, notez bien que contrairement au Cameroun ou à la Côte d’Ivoire, un dictateur a démissionné pour moins de 50 morts assassinés par son armée dans la rue en moins de deux semaines. Biya est resté au pouvoir depuis 28 ans sur des milliers de morts. En 2008, près de 150 camerounais ont été assassinés par la soldatesque de Biya et l’homme, nouveau « doyen » de la Françafrique après la mort d’Omar Bongo, nargue toujours notre peuple. Depuis octobre 2000 et son élection « calamiteuse » en tête-à-tête avec le Général Guéi, jusqu’à nos jours, les ivoiriens tombent comme des mouches. Le régime FPI de Laurent Gbagbo, tout comme les ex-rebelles du Nord dirigés par Soro Guillaume depuis 2002, portent également sur leurs mains, le sang épais de milliers ivoiriens, soldats engagés et civils innocents. Rien que depuis le 28 novembre, on dénombre près de 300 personnes assassinées en Côte d’Ivoire, dont une écrasante majorité de civils. La rue a donc en partie décidé en Tunisie parce que le régime tunisien a quelques limites morales. La rue décidera difficilement seule au Cameroun et en Côte d’Ivoire parce qu’en face, elle tombera sous de véritables bouchers humains.
Mais abordons un peu cette question ivoirienne, tellement passionnelle qu’on y a mélangé légitimité démocratique et légitimité idéologique. Je prépare à ce titre une analyse que j’intitule « Les camerounais dans la crise postélectorale ivoirienne : analyse sociopolitique ». La guerre idéologiquement légitime contre la Françafrique ne nous donne aucun droit d’outrepasser la volonté démocratique des peuples. Aucun camerounais n’aime plus la Côte d’Ivoire que la majorité démocratique du peuple de Côte d’Ivoire. Alpha Blondy, la reggae star ivoirienne l’a bien exprimé : « Mon Candidat c’était Gbagbo, mais je lui demande de reconnaître qu’il a perdu. Le Président élu, c’est Alassane Ouattara. » Au fond, est-ce si surprenant que cela ?
Il y a deux questions en Côte d’Ivoire, que les opinions publiques africaines ont souvent maladroitement mélangées dans un seul jugement.
La première question de la crise postélectorale ivoirienne est la suivante: qui a gagné l’élection présidentielle ivoirienne ?
J’y réponds froidement, contre tous les cris d’orfraie de l’anticolonialisme émotionnel. Au regard des résultats du 1er tour de l’élection présidentielle ivoirienne de 2010, résultats acceptés par toutes les parties, l’opposition houphouétiste ivoirienne du RHDP ( Ouattara 32% ; Bédié 25% ; Mabri 3%) est objectivement majoritaire ( 60% des votes environ), face à LMP de Laurent Gbagbo ( 38%). Je ne suis donc pas surpris du report de voix raisonnable au second tour de cette opposition alliée depuis 2005 dans le RHDP contre le candidat de LMP, Laurent Gbagbo. La CEI de Côte d’Ivoire, la CEDEAO, L’UA, L’ONU ont certifié tout cela. On peut détester Alassane Ouattara, mais c’est bien lui le Président démocratiquement élu de Côte d’Ivoire.
L’autre question ivoirienne c’est: l’anticolonialisme légitime des africains sort-il affaibli ou renforcé par cette défaite électorale de FPI ou LMP de Laurent Gbagbo ?
Ma réponse là aussi, est claire. Et elle a deux options :
A – Oui, si on prend le FPI pour un parti anticolonialiste. Dans ce cas, il faudrait que le FPI n’ait pas trempé dans l’ivoirité. Dans ce cas, il faudrait que le FPI n’ait pas bradé des concessions ivoiriennes énormes aux multinationales des pays colonialistes. Dans ce cas, il faudrait que le FPI ait substantiellement aidé et soutenu des mouvements anticolonialistes africains et panafricanistes. Or, je suis désolé : le bilan politique du FPI est exactement le contraire de tout cela. Le parti s’est même enlisé dans une gabegie sans nom, avec des enrichissements miraculeux et inouïs de ses cadres, que le Président-FPI de l’Assemblée Nationale, le Pr. Mamadou Koulibaly, aujourd’hui fortement isolé par les faucons, a ouvertement et courageusement dénoncé courant 2010 dans tous les médias de Côte d’Ivoire. D’où ma deuxième option:
B – Non, finalement la défaite électorale de Laurent Gbagbo renforce l’anticolonialisme lucide, en invitant ceux qui s’enferment dans la dénonciation purement émotionnelle du colonialisme à méditer les limites autocritiques ce que le Professeur Alexis Dieth, philosophe ivoirien, appelle si justement « le colonialisme de l’intérieur », le « colonialisme des intellectueurs » – néologisme pour nommer les intellectuels tueurs abritant leur anticolonialisme de droit derrière un ethno nationalisme de fait.
Propos recueillis par camer.be
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