A Mangou « Pourquoi encourager des violences sur vos frères d’armes de l’Onuci ? »

Ma lettre ouverte par Zadi Koudou Mathieu

Je t’écris cette note, grand frère, parce que je sais que si ton temps te le permet, tu la liras. On me dit que tu es chrétien, profondément chrétien et même fils de pasteur. L’idée de cette lettre m’est venue spontanément, lorsque que ce jeudi 13 janvier 2011, j’ai assisté à une scène horrible au Grand Carrefour de la Riviera II. Oui, ce n’était pas un rêve mais une sinistre réalité qui a fini dans une fumée noire. J’avais même commencé à couler des larmes, mais la somme des regards m’a dissuadé. On pourrait me prendre pour un militant du RHDP et me lyncher à mon tour.

9 heures. Deux agents de l’ONUCI dans un premier véhicule, et on vit sortir de nulle part des éléments se réclamant de la FESCI: le reste, c’était un déchaînement populaire sur ce véhicule civil. Le chauffeur est copieusement molesté et tout agonisant, a été emporté vers la Résidence universitaire juste à quelques mètres. Le véhicule incendié, le deuxième occupant, par la vélocité de ses jambes, s’est échappé. Où va-t-il ? Nulle part. Un deuxième véhicule, qui ignorait que ce Carrefour était devenu un rond-point infernal, pointe le nez. Même foule, même procédure mais pas même résultat. Le véhicule s’arrête mais pas de round d’observation. La foule est trop excitée : des gourdins, des barres de fer sortent… La pression et l’agressivité sont telles que le véhicule 4X4 a re-démarré en trombe. Mais un agent qui avait mis pied à terre n’a pas pu embarquer. Il est abandonné à la foule de « patriotes ». Ont-ils conscience que cet agent de l’ONUCI peut être est Ivoirien bon teint ? Qui est cet agent au regard effarouché avec une rivière rouge de sang sur le corps ? On ne saura jamais peut-être son identité. Mais ce que nous savons ; c’est qu’à la RTI, on fait suspendre sur sa tête une sorte de péché originel ; celui d’appartenir à l’ONUCI. Dans tous les cas, Blé Goudé et Konaté Navigué avaient dit aux « jeunes patriotes » de rendre le séjour de l’ONUCI impossible. Et chacun y va avec ses armes. Mais pour cette scène de la Riviera II, je n’ai pas pu regarder la suite. Ma conscience humaine ne me permet pas cela. Insoutenable. Ont-ils conscience de ce que leur comportement pourra attirer sur notre beau pays ? Ces jeunes sont peut-être coupables, mais ils ne sont pas responsables de ces actes, mon Général. Ils ont regardé la Télé (RTI), leur idole Gbagbo a dit non à l’ONUCI, et leurs leaders leur ont explicitement enjoint de faire le boulot. Et la suite…

« … l’Armée, pour moi, est universelle »

Grand frère. Mon village a eu la chance de bénéficier des ACM (Actions civilo-militaires) des forces impartiales. Réhabilitions volontaires d’écoles, de pompes villageoises… J’ai même eu la chance, comme toi-même, de rire avec ces gens-là. Je ne suis pas dans les arcanes diplomatiques, mais je pense intimement que ces personnes-là sont venues nous aider à sortir du bourbier dans lequel nous avons été propulsés par nos Institutions. La preuve, toutes ces années, c’était main dans la main que vous teniez des réunions tripartites souvent au CCI de Yamoussoukro. Mais d’où vient-il qu’après une élection tant reportée, ces soldats soient présentés aujourd’hui comme des ennemis à abattre ? Pourquoi laisses-tu la RTI présenter les malheurs de tes frères d’armes (parce que pour moi, l’Armée est une confraternité universelle) comme des trophées de guerre à la Télé ? Pourquoi encourage-tu tacitement les actes de vandalisme sur eux ? La Côte d’Ivoire n’a-t-elle jamais envoyé de soldats en mission dans d’autres pays ? Serais-tu content si tes hommes sont ainsi livrés dans un pays étranger ? C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai suivi ta mise en garde adressée à l’ONUCI et à la Licorne. Mais mon Général, tu as peut-être raison car le militaire a sûrement sa raison que la raison ignore. Mais à mon sens, la démarche rationnelle nous enseigne que pour s’attaquer à un phénomène, il faut commencer par en supprimer les causes. Ça m’étonne donc que Mon Général, tu ne dises rien du tout sur des causes de ces accrocs ONUCI-« jeunes patriotes ». Ce qui arrive, Mon Général, c’est que les fameux « jeunes patriotes » s’en prennent physiquement aux soldats de l’ONUCI. Saurait été tes hommes que je connais, mon Général, ils se défendraient de façon disproportionnée et peut-être meurtrière ? On peut dire merci à Dieu puisque la légitime défense de l’ONUCI à Abobo n’a pas fait de mort.

« … de ton ferme soutien aux institutions »

Tu me diras, grand frère Mangou, que Gbagbo que tu reconnais comme président de la République, l’a décidé : ces soldats n’ont plus rien à faire ici en Côte d’Ivoire, et qu’en tant que soldat, tu ne regardes que les Institutions incarnées par Gbagbo… Mais entre-nous mon Général, le peuple et les Institutions sont-ils antinomiques ? Grâce à qui existent ces Institutions que tu défends tant ? Je pense que c’est le peuple qui crée ses Institutions et les confie à ses représentants, qui à leur tour les gèrent correctement ou non. Donc, je ne pense pas qu’on puisse prendre partie pour les Institutions contre le peuple. Ceci dit : grand Frère Mangou, tu peux aujourd’hui dire que les Institutions ont proclamé Laurent Gbagbo président, et tu suis sans te poser de question. Mais mon Général, selon ta conviction intime, Gbagbo a-t-il gagné cette Présidentielle ? Ta réponse en tant chrétien et surtout enfant de pasteur commandera le caractère divin de tes actions. Mon Général, tu soutiens les Institutions, c’est vrai. Même si les Institutions balisent nos vies, les gens qui les dirigent peuvent parfois en dévoyer le caractère sacré. Le 28 novembre, ce ne sont pas les Institutions qui ont voté, mais le peuple. On ne peut donc s’enfermer dans un manteau « institutionnel » contre le peuple. Non mon Général. Je sais très bien que tu dois beaucoup au président Laurent Gbagbo. Tu lui dois ton ascension fulgurante dans la hiérarchie militaire. Je t’ai connu au début de la guerre, tu étais porte-parole, je crois. Après, Comthéâtre… et CEMA. Pour te féliciter et peut-être te rendre plus fidèle, Gbagbo a signé un décret pour créer le grade de Général des Corps d’Armées qui ne figurait pas dans notre armée. Tu lui dois vraiment tout et il t’a vraiment tout donné. Mais comment bénéficieras-tu de tes richesses (tu es propriétaire terrien aussi) si les cinq années de mandat et peut-être plus, tu es toujours en train d’apaiser ( ?) un peuple qui se sent spolié de sa souveraineté ? Comment seras-tu heureux si le monde entier est contre ton Armée ? Grand frère, sais-tu ce qui arrive quand nos Institutions deviennent subitement injustes et que ceux qui les gèrent outrepassent leurs attributions ? Je sais que tu es un homme de paix et tu dois absolument dire un mot de vérité.

« … ce que tu dois dire à Laurent Gbagbo »

Gbagbo pour qui tu as pris position contre le monde entier, mon Général, disait en 1999 : « Où Milosevic pense-t-il aller ? Lui qui a le monde entier contre lui… ». Le sais-tu ? Le natif de Mama n’avait pas tort quand il prononçait ces propos. Parce que tout le monde sait ce qui est arrivé à Milosevic. Mais lui-même que tu soutiens malgré l’invalidation éhontée des résultats dans sept (7) départements, où pense-t-il aller avec le monde entier sur son dos ? A moins que l’entreprise dans laquelle vous vous êtes engagés ne soit suicidaire ! Mon général, je pense que malgré les bienfaits de Gbagbo, malgré les menaces possibles, malgré même le sous-sol du Palais présidentiel qui reste aujourd’hui un mystère, tu dois demander à Gbagbo la retenue et surtout une sortie honorable. Parce que s’il y a une intervention militaire des gardiens de la démocratie, elle peut emporter tout le monde ; bon ou mauvais. Mais saches que nous avons une Histoire commune à laisser à nos enfants. Mais cette l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. J’ai peur qu’on étiquette plus tard notre Woody national comme un faux héros car cette Histoire sera écrite par les vainqueurs : le monde entier et tous les militants du RHDP. Robert Guéi était vu, du moins jusqu’à sa chute, comme un Homme très intègre, un Woody même. Mais, après son déclin, demandez-vous ce qu’a retenu l’Histoire de lui. La défaite de Gbagbo est inéluctable parce que la Côte d’Ivoire n’est pas le Vietnam encore moins l’Algérie. Ici, mon Général, une grande partie du peuple, souvent silencieuse dans les ménages, n’est pas avec lui. Comment en même temps que tu fais le ménage à l’intérieur, tu puisses t’attaquer à une éventuelle armée étrangère ? Réfléchis !

Pour finir, laisse ce petit message de ma part à Gbagbo. Dis-lui qu’il est peut-être bon, très bon même. Mais qu’il sache que quand une bonté est à la base des milliers de morts, il faut la remettre en cause. Est-ce que cette bonté elle-même n’est pas une calamité pour l’humanité ? Qu’il ait le courage de se retirer. Ce sera un acte de haute portée honorable.

Zadi Koudou Mathieu
Doctorant en sociologie
Journaliste-consultant
zadi_koudou@yahoo.fr

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