Par Sabine Cessou – Libération.fr
Hier, à Abobo, quartier populaire d’Abidjan, l’envoyée spéciale du Monde a été prise à parti par une foule hostile, armée de bâtons, qui lui criait de «partir». Dans le quartier de Riviera, à l’autre bout de la ville, deux équipes des agences de presse AP et Reuters ont été détroussées, perdant téléphones et caméras, alors qu’elles tentaient de filmer les épaves calcinées de trois voitures des Nations unies. Le même jour, l’association Reporter sans frontière (RSF) a déploré «le climat de peur» à Abidjan. «Le pourrissement de la situation, la poursuite du bras de fer entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, et les violences rendent la vie très difficile aux reporters, soumis à la fois à de fortes pressions et à des problèmes de sécurité.» Des journalistes ivoiriens ont témoigné auprès de RSF avoir reçu des menaces de mort. Certains font l’objet de pressions émanant de la présidence, «qui ne veut pas qu’on appelle Alassane Ouattara « le président élu ». Nous sommes donc obligés d’écrire par exemple «l’ancien Premier ministre» ou le «mentor du RHDP».
La polarisation est telle, en Côte d’Ivoire, que la presse est devenue une arme de propagande. Les quotidiens sont profondément divisés entre les pro-Gbagbo et les pro-Ouattara. Sur onze titres, un seul, Soir Info, tente de ne pas prendre parti. En une du Patriote, un quotidien pro-Ouattara, figurait hier une photo peu avantageuse de Laurent Gbagbo, avec moue tombante, cravate de travers et plis dans le costume remontant sur le ventre, accompagnée de la manchette: «Cet homme est fini. Pourquoi mourir pour lui?». Dans les pages intérieures, ces titres: «Gbagbo s’attèle à la guerre civile» «Gbagbo ne partira jamais par la négociation», «Gbagbo cherche des fonds pour s’armer», «Gbagbo, président par complot».
De son côté, le journal Le Temps, résolument pro-Gbagbo, publiait une image aussi peu flatteuse d’Alassane Ouattara, en train de s’éponger le front avec un mouchoir et fronçant les sourcils comme s’il pleurait. Manchette: «Dos Santos chasse les émissaires de Ouattara», partis en Angola pour «négocier la reconnaissance d’Alassane». Une manière de ne pas traiter l’une des informations du jour, l’accréditation à Paris du nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire, Ally Coulibaly, représentant de Ouattara.
Sur les récents combats à Abobo, Le Temps expliquait par ailleurs que les soldats onusiens «ont décidé de faire la guerre à la Côte d’Ivoire, via des rebelles de Ouattara. (…) Dans la nuit du 11 janvier, les soldats onusiens ont réorganisé les rebelles en les déposant dans des endroits précis. Chose après quoi, ils les ont réarmés. Il est donc faux de croire que les FDS tirent sur les populations civiles. Elles ont affaire à des individus lourdement armés et qui visent un objectif: le renversement du régime Gbagbo». Voilà pourquoi, début janvier, le chef des opérations de maintien de la paix de l’Onu, Alain Le Roy, dénonçait un «climat hostile» à l’égard des Nations unies, alimenté par les «affirmations mensongères» des médias d’Etat, Radio-télévision ivoirienne (RTI) en tête.
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