Par Noël KODIA RAMATA
On ne peut pas aborder ces deux entités culturelles sans faire allusion aux deux capitales les plus rapprochées du monde : Brazzaville et Kinshasa dont les pays vivent une même culture fondée essentiellement sur quelques langues communes telles le lingala et le kikongo et le français bien sûr, hérité l’un de la France et l’autre de la Belgique. Et il faut aussi rappeler que ces deux pays ont connu leur indépendance à la même année : le 30 juin 1960 pour la RDC et le 15 août de la même année pour le Congo-Brazzaville. Pour montrer que les deux Congo constituent du point de vue culture une même entité, on peut se référer à l’emblématique chanson « Indépendance Cha cha » chantée par l’orchestre African Jazz formé des musiciens des deux rives du fleuve.
La chanson que les linguistes qualifient de littérature orale existe en Afrique avant l’arrivée des Blancs chez nous. L’Africain est né chanteur. Il va même emmener la chanson avec lui au moment de la Traite négrière.
A l’instar de la société française qui se moralise par le biais de ses écrivains et penseurs (le théâtre au XVIIè siècle avec des noms comme Molière et la philosophie des Lumières au XVIIIè avec des penseurs tels Voltaire, Rousseau, Montesquieu…), au Congo, ce sont les musiciens chanteurs qui vont moraliser la société à travers leurs œuvres, très souvent didactiques. Ici on peut citer des noms célèbres comme Franco, Kallé, Simaro, Essous, Pamelo…
Mais avec la colonisation, les Congolais apprennent à parler, à lire et à écrire la langue du Blanc. Aussi, une certaine élite va passer de l’oral à l’écrit en publiant des livres.
Avec la colonisation, la langue française devient obligatoire dans le deux Congo (Congo-Belge et Congo-Français). Les Congolais, par le biais de l’école coloniale commencent à écrire en français et produisent des œuvres littéraires. Avant même les indépendances, deux noms se remarquent sur les deux rives du fleuve ; Lomani Tshibamba avec son roman Ngando au Congo-Belge et Jean Malonga de l’autre côté qui publie Cœur d’Aryenne et La légende de Mpfumu ma Mazono quelque temps après. Ces deux écrivains peuvent être considérés comme les pionniers de la littérature francophones sur les deux rives du fleuve. Et cette littérature sera plus tard consolidée par des noms célèbres : Valentin Mundimbé, Pius Ngandu Kashama, Mukala Kadima pour la RDC et Tchicaya U Tam’Si, Guy Menga, Sony Labou Tansi pour le Congo Brazzaville.
Des indépendances à nos jours, les littératures orale (la chanson) et écrite (le roman, le théâtre et la poésie) se fondent principalement sur le socioculturel des Congolais sans oublier quelques aspects politiques. Les musiciens chantent aussi les héros qui ont lutté contre la colonisation. Franco et Franklin Boukaka ont chanté Lumumba, Simon Kimbangou, André Matsoua. Mais compte tenu de l’évolution de la société au contact avec la colonisation et la néocolonisation, les thématiques seront plus révélatrices selon que nous sommes chez les musiciens ou chez les écrivains.
Les musiciens chantent la politique pour glorifier les dirigeants même si ces derniers se comportent en dictateurs comme Mobutu au Zaïre. Ils sont en général derrière l’argent des hommes politiques. Mais la thématique principale des musiciens congolais se fonde principalement sur le triptyque « homme-femme-argent » avec tous les sentiments qu’il provoque (amour, jalousie, infidélité, déception sentimentale…). Et dans ce domaine, on peut citer Franco, Simaro-Lutumba, Essous et Pamelo pour ne citer que ces quelques noms comme étant des grands moralisateurs des sociétés des deux rives.
Les écrivains, quant à eux, se comportent comme la majorité de leurs confrères de l’époque. Ils écrivent aussi sur les « soleils des indépendances » Ils s’intéressent beaucoup à la politique. Romans anticoloniaux, romans fustigeant les dictateurs africains sont des ouvrages qui caractérisent la littérature congolaise des deux rives du fleuve. Et sur ce point, on peut se référer aux œuvres de Mundimbé, Ngandu Kashama, Mukala Kadima, Sony Labou Tansi, Emmanuel Dongala, Alain Mabanckou… Dans son roman Johny Chien méchant, Dongala nous fait revivre la guerre civile du Congo Brazzaville ; Mukala Kadima dans son ouvrage intitulé La Chorale des mouches décrit la chute politique de Mobutu au Zaïre.
On peut aussi remarquer que, des indépendances à nos jours, la littérature et la chanson congolaises ont été influencées par les écrivains et artistes de l’Afrique de l’ouest dans le domaine culturel.
L’engagement politique au niveau de la littérature en Afrique centrale commence avec les œuvres de Mongo Béti qui s’attaque au colonialisme ayant pour support l’église catholique. Et ces romans tels Ville cruelle et Le pauvre Christ de Bomba peuvent être considérés comme des classiques dans la littérature engagée et engageante des années qui précèdent les indépendances. Aussi, cette lutte anticoloniale sera suivie plus tard par Kourouma avec ses fameux « Soleils des indépendances » qui essaient de revaloriser les coutumes et traditions africaines. Au niveau de l’engagement dans le domaine de l’écriture, l’Afrique a donné des grands noms comme Kourouma, Mongo Béti, Ferdinand Oyono, Sony Labou Tansi qui vont ridiculiser les pouvoirs néocoloniaux et dictatoriaux de leur pays. Malheureusement cet élan engagé et engageant en littérature ne fait pas écho à la chanson en Afrique centrale. Patriotique et moralisatrice au début des indépendances, la chanson en Afrique centrale devient plus mondaine que politique. Ici, c’est plutôt l’Afrique de l’Ouest qui associe littérature et chanson pour fustiger les pouvoirs politiques malades. Il faut rappeler que, depuis les indépendances, la chanson africaine a été aussi une arme dans le réveil des consciences. Elle a mis en relief les souffrances endurées pendant la colonisation et les dictatures qui se sont forgées sur le continent après les indépendances. Certains musiciens et écrivains se sont même expatriés de leur pays pour avoir braver des présidents dictateurs.
Mais entre les musiciens de l’Afrique centrale et ceux de l’Afrique de l’Ouest, semble se creuser un fossé dans la conscientisation politique des larges masses populaires. Si dans l’histoire musicale des deux rives du Congo, Joseph Kabasélé a chanté « Indépendance Cha cha » et Franklin Boukaka la Révolution congolaise ainsi que les héros du continent dans les années 70, on remarque quelque temps après un vide dans la lutte politique, vide gagné par les danses tels le soukous, et le ndombolo. Des danses et chansons qui font l’apologie de la femme et même du sexe comme chez le célèbre musicien de la rive gauche du fleuve, j’ai cité Koffi Olomidé. A ce propos, on peut lire dans la presse congolaise (magazine « Africa Info »), je cite : « Il est devenu un mode au Congo et surtout à Kinshasa auprès des artistes musiciens célèbres de chanter des bêtises, de vanter des exploits des actes sexuels et de mettre les supports discographiques à la portée des familles et des enfants » (1). Mais pendant que l’Afrique centrale danse et ne « s’occupe plus de la politique », les artistes musiciens de l’Afrique de l’ouest font danser en conscientisant politiquement leurs peuples. On peut remarquer la puissance des messages des artistes de Côte d’Ivoire tels Alpha Blondy, Méwé et Tiken Jah Fakoly, des messages qui interpellent les hommes politiques et les larges masses populaires du continent. Alpha Blondy a chanté les journalistes en danger et Tiken Jah Fakoly, en chantant « Mon pays va mal » réveille la conscience de la jeunesse ivoirienne en situation de guerre. Et la jeunesse de toute l’Afrique pourrait transformer « Mon pays va mal » en « Mon continent va mal ».
On peut dire que de l’indépendance à nos jours, le travail des écrivains et artistes musiciens congolais et africains est plus que nécessaire pour une véritable indépendance du continent. Ils doivent revaloriser leur culture et immortaliser leurs héros nationaux qui ont eu à sacrifier leur vie pour la libération du continent.
Noël KODIA RAMATA
blog de l’auteur:
http://noelkodia.unblog.fr/
Note:
1 La chanson congolaise vers la pornographie in « Africa Info H.plus M. » n° 17 de mars 2010, p. 68
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