Par Tao David | Agoravox
On aura tout entendu depuis le début de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire (CI). « Gbagbo, le patriote » par-ci ; « Gbagbo, le panafricaniste, l’anticolonialiste » par-là. Gbagbo serait le Président légitime de la CI, puisque le Conseil Constitutionnel l’a décidé ainsi et que sa décision n’est susceptible d’appel ni de contestation. Et bien qu’il ait perdu les élections dans les urnes ! A contrario, Alassane Dramane Ouattara (ADO) serait bien le perdant, pour les mêmes raisons, et rien n’y fait s’il a remporté la majorité des suffrages ; d’autant plus, ajoute-t-on, que la CEI aurait proclamé les résultats provisoires, hors délais. Essayons, au-delà de ces raisonnements simplistes, d’analyser les faits pour faire la part du vrai et du faux dans le fatras d’intox qu’on nous sert depuis un mois.
I) Se peut-il que Laurent Gbagbo ait pu remporter ces présidentielles ?
1) Sur la foi des chiffres de la CEI, tout d’abord
Suivant les résultats provisoires proclamés par la CEI, ADO remporte les Présidentielles du 28 décembre avec 54% des voix contre 46% pour Gbagbo. Résultats certifiés, comme au premier tour, par le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’ONU, à partir de procès verbaux vérifiés. Et cela, après avoir mis de côté les bureaux de vote litigieux. La quasi totalité des observateurs a confirmé la bonne tenue de ces élections, en dépit d’incidents graves dans certaines régions dont des morts dans le Sud, l’Ouest et le Centre. Il n’y a pas eu de morts dans le Nord, dont les votes seront pourtant annulés par M. Yao N’dré. Seuls des incidents mineurs y ont été relevés. Sachez aussi que les fameux observateurs qui sont apparus à la RTI, aux premières heures de la contestation des résultats, par le camp Gbagbo, ont été, depuis, démasqués comme étant de faux observateurs.
2) Sur la foi, ensuite, des résultats décrétés par Yao N’dré, le président du Conseil Constitutionnel ivoirien, ami et obligé de Gbagbo
Après avoir annulé les votes des régions du Nord, 600.000 voix, 13% du corps électoral, Yao N’dré a déclaré Gbagbo vainqueur à 51% contre 49% à ADO. Réfléchissons un peu : si malgré l’annulation des votes du Nord, très favorables à ADO, ce dernier obtient 49% au deuxième tour, en étant parti de 32%, c’est déjà un triomphe. Le report des voix de Bédié paraît complet. Leurs deux scores du 1er tour cumulés donnaient 57%. Seul 8% des électeurs de Bédié n’auraient donc pas voté pour ADO au second tour. Sans doute, un chiffre plus faible encore si on tient compte de l’abstention plus forte au 2nd tour. Les 38% de Gbagbo plus les 8% de voix non reportés de Bédié à Ouattara, font 46%. En y ajoutant les 5% répartis, au premier, sur les onze autres candidats, on arrive à un maigre 51% pour Gbagbo. Mais si seulement on ne tient pas compte de l’abstentionnisme du 2nd tour ni de la part de pourcentages de votes éventuels du Nord dans les 5% des petits partis. Sans oublier que parmi ces candidats, certains ont appelé à voter ADO. En tenant compte de ces éléments, il est évident que Gbagbo n’a pas pu atteindre les 51% que Yao N’dré lui a octroyé.
M. CHOI a d’ailleurs dit, dès le 4 décembre, qu’au vu des procès verbaux examinés, ADO serait encore vainqueur malgré l’annulation des votes du Nord. On comprend clairement pourquoi Yao N’dré a dû décréter les nouveaux résultats sans examiner les procès verbaux. CQFD.
II) De la légalité de la décision du Conseil Constitutionnel
1) Du point de vue de la procédure électorale ivoirienne
Le Code électoral ivoirien, en foi duquel la CEI a organisé les élection et proclamé les résultats provisoires, dit ceci, en son article 64 : « Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection.
La date du nouveau scrutin est fixée par décret en Conseil des ministres sur proposition de la Commission chargée des élections. Le scrutin a lieu au plus tard quarante cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil Constitutionnel ».
A la lecture de cet article 64, quel être humain sensé peut dire que le président du Conseil Constitutionnel, Yao N’dré, a pris sa décision du 3 décembre 2010 conformément à la procédure prescrite par la loi électorale ivoirienne ? Personne !
Et lorsque les pro-Gbagbo disent que le Conseil Constitutionnel est intervenu parce que la CEI a été forclose, c’est prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. En effet, la CEI a été empêchée par deux fois de proclamer les résultats provisoires, dans les délais. Qui n’a pas vu les images, indignes de l’Afrique, offertes au monde par les pro-Gbagbo, récupérant les feuilles des mains du porte-parole de la CEI pour les déchirer devant les cameras du monde entier ?. Mieux, le président de la CEI, M. Bakayoko, a indiqué, le 1er janvier, que les résultats provisoires, sous enveloppe, avaient été transmis aux institutions compétentes en temps et en heure.
2) Du point de vue des règles établies avec l’appui de la Communauté internationale pour une élection de sortie de crise en Côte d’Ivoire
Comme on le sait, ce sont les autorités ivoiriennes, Gbagbo donc, qui ont sollicité l’ONU pour les aider à sortir de la crise politique née de la rébellion armée de 2002. Crise qui n’est pas arrivée par hasard. Elle découle, en effet, de manigances politiques dangereuses, discriminatoires, des différents pouvoirs ivoiriens contre les populations du Nord, traitées en sous citoyens. L’ivoirité, née sous Bédié et reprise par Gbagbo, n’est que l’arbre qui cache la forêt des discriminations contre les gens du Nord, contraints de prendre les armes pour se faire entendre. En effet, contrairement à ce que certains veulent faire croire, on ne prend pas les armes pour le plaisir. Notamment, en Afrique, où se rebeller, c’est signer sa mort, surtout si on ne réussit pas son coup.
Les forces de maintien de la paix de l’ONUCI et les forces « Licorne » françaises se sont ainsi déployées, en Côte d’Ivoire, à la demande des parties ivoiriennes (Cf. les Accords de Marcoussis, de Pretoria et de Ouagadougou), sauvant ainsi le régime de Gbagbo et lui permettant d’effectuer un mandat supplémentaire de cinq ans sans la moindre élection. D’autant plus qu’on sait maintenant que Gbagbo n’a jamais vraiment été élu, même en 2000.
La Résolution 1765 du Conseil de sécurité (2007), en su d’un consensus entre les ivoiriens, « mandate, clairement, le Représentant spécial du Secrétaire général (RSSG) Y.J. Choi, qui est aussi le chef de l’ONUCI, pour certifier que toutes les étapes du processus électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielles et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément aux normes internationales ».
Or Yao N’dré a, allègrement, brûlé les étapes CEI et M. CHOI ; tombant ainsi dans l’illégalité la plus totale. Or, nul n’est obligé d’obéir à des autorités illégitimes.
III) Gbagbo est-il ce patriote panafricain, défendant la DIGNITE de l’Afrique contre l’impérialisme franco-américain, désireux d’installer ADO, sa marionnette, en Côte d’Ivoire ?
Si la situation n’était pas si grave, ce serait à pouffer de rire, à en mourir ! D’aucuns ont même osé comparer ce clown triste au regretté Thomas Sankara. Quelle insulte pour cet authentique héros panafricain. Fort heureusement « un Géant assis demeure plus grand qu’un nain debout ».
Que tous ces néo-panafricanistes ignorants, se disant pro-Gbagbo, par haine de la FrançAfrique, relisent William Du Bois, N’Nkrumah ou Cheik Anta Diop et ils se raviseront. Quel panafricaniste, en effet, distinguerait parmi ses compatriotes des vrais et faux citoyens ? Quel patriote ferait tirer à balles réelles sur une partie de son peuple protestant dans la rue ; paierait des mercenaires étrangers pour massacrer ses compatriotes ? Ceux qui ont osé comparer cet illuminé à Sankara doivent savoir qu’en quatre ans de Révolution, sous la menace constante de l’impérialisme, Sankara n’a fait tirer sur aucun manifestant. Il n’a pas non plus livré la chasse aux non burkinabè. Au contraire, il se faisait le devoir d’accueillir tous les Africains épris de liberté dans son pays. C’est à ce titre que Gbagbo, lui-même, a bénéficié de la protection de la Révolution burkinabè pendant des années.
Gbagbo s’éloigne davantage des idéaux panafricanistes, quand, face au projet d’intervention militaire de la CEDEAO, il menace de s’en prendre aux ressortissants des pays qui y participeraient. Un panafricain ne confondrait pas si bêtement les peuples et les potentats qui leur servent de gouvernants. Un panafricain protégerait tout son peuple sans distinction d’ethnies ainsi que tout africain vivant sur son territoire, quelques soient les agissements des gouvernements de son pays d’origine. Ce guignol ne fait ni l’un ni l’autre.
Son patriotisme et son panafricanisme sont largement usurpés. Pendant ses dix ans de règne, des secteurs économiques régaliens de l’Etat ivoirien (eau, téléphonie, électricité, ports…) ont été vendus à des entreprises françaises et américaines. Sa communication aux présidentielles a été assurée par Euro RSCG, une filiale du français HAVAS. A contrario, celle d’ADO, « le prétendu candidat de l’étranger », a été assurée par VOODOO Communication, une entreprise ivoiro-africaine.
Pire encore, le premier cercle des conseillers de Gbagbo est constitué des « sorciers blancs » français. Des personnages, pour la plupart, sulfureux ou proches de l’extrême droite. Entre autres, on peut citer : Jean-François Probst, un proche de Jean Tibéri, l’élu parisien corrompu, Didier Julia, grand ami de Saddam Hussein, Albert et Robert Bourgi, des africanistes douteux, Guy. Laberty, un Foccart de gauche, Frédéric Lafont, entre le barbouze et le trafiquant d’armes… Sa défense juridique, quant à elle, est assurée par Maîtres Verges, défenseur des crapules du monde et par R. Dumas, un françafricain des plus louches (affaire ELF).
Avec ce cheptel hétéroclite et parfois grabataire comme amis, Bagbo et l’Afrique dont il se réclame, n’ont plus besoin d’ennemis, je crois.
Ce soit disant patriote anticolonialiste, a-t-il essayé de faire émerger une culture nationale en CI ? Une langue nationale, pour ne plus parler le Français ? A-t-il fait appel aux compétences africaines du monde pour l’aider à construire une Côte d’Ivoire prospère ? En dehors des rassemblements au profit de sa minable galaxie ethno patriotique, Gbagbo a-t-il posé un acte au profit de l’unité africaine ?
Si Gbagbo est un patriote, anticolonialiste et panafricaniste, moi, je suis à la fois le Dalaï Lama, le Pape et la réincarnation de Bouddha.
Mon jugement sur Gbagbo ne signifie pas mon soutien idéologique à ADO. Il est un libéral convaincu, moi, j’ai foi en la Révolution. ADO n’est donc pas non plus ma tasse de thé. Cela étant dit, on ne peut reprocher à ADO d’avoir gagné les élections. La possibilité doit donc lui être laissée d’appliquer son programme libéral, puisque tel est le choix du peuple ivoirien. Peuple qui dispose du droit souverain de choisir ses dirigeants et même de se tromper en choisissant.
Un argument des Gbagboïstes a toutefois mon assentiment partiel. C’est la dénonciation de la subite intransigeance de la communauté internationale à défendre la légalité démocratique, en Côte d’Ivoire. La confiscation du pouvoir est, en effet, la règle en Afrique francophone. Confiscation souvent cautionnée par la France, qui a, par exemple, soutenu les dictatures prédatrices au Togo, au Gabon et au Tchad pendant des décennies. Elle a aidé, également, les bébés tyrans Faure Eyadema et Ali Bongo à succéder à leurs sinistres géniteurs par le trucage des élections. D’ailleurs, d’autres élections volées, récemment, en Egypte et en Belarusse, n’ont pas provoqué les mêmes réactions vives de la part des leaders mondiaux qui pressent Gbagbo à cesser sa fortraiture. Seules les dernières présidentielles en Iran avaient provoqué des réactions similaires, mais c’est un pays de « l’Axe du Mal ». Mais là s’arrête ma convergence de vue avec les Gbagboïstes. Car, contrairement à la Côte d’Ivoire, ni la Belarusse, ni l’Egypte et encore moins l’Iran n’ont demandé le concours de l’ONU pour organiser leurs élections.
Enfin, je pense que cette nouvelle attitude de la communauté internationale est salutaire et ce serait bien qu’elle fasse jurisprudence et s’applique désormais aux futures élections en Afrique et ailleurs. A contrario, si la communauté internationale devait échouer à faire partir Gbagbo, les dynasties tyranniques deviendront la règle en Afrique.
Gbagbo, on l’a vu, n’est ni patriote sincère ni authentiquement panafricain. Il n’est même pas un démocrate. Mais, peut-être, lui reste-t-il un peu de dignité pour se départir de la logique infernale de son douteux slogan de campagne, à savoir, « je gagne, ou je gagne », qui pourrait, à lui seul, expliquer la situation actuelle, en quittant le pouvoir pour épargner au peuple de Côte d’Ivoire et à l’Afrique des souffrances supplémentaires inutiles.
Tao David
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