Côte d’Ivoire, La pression de l’économie –Compte-rendu (IRIN)
DAKAR, 10 janvier 2011 – IRIN a publié une série de compte-rendus sur la crise qu’ont provoquée en Côte d’Ivoire les élections contestées de novembre 2010. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent tous deux la présidence et M. Gbagbo refuse de céder à la pression internationale et de se retirer. Cette série examine la position des Nations Unies, la question des droits humains, ainsi que les prises de position des instances régionales, des gouvernements occidentaux , de l’Union Européenne et de la Banque mondiale.
A part quelques voix discordantes très médiatisées en France, l’Union européenne a principalement maintenu une position collective claire sur la Côte d’Ivoire. L’annonce par Abidjan le 6 janvier de la révocation de l’ambassadeur britannique Nicholas James Wescott (basé à Accra) montre l’ampleur que peuvent prendre les représailles diplomatiques. Le Premier ministre britannique David Cameron comme le Ministre des Affaires étrangères William Hague n’avaient pas hésité à soutenir les sanctions et à réclamer le remplacement de l’ambassadeur ivoirien à Londres. De même, l’ambassadrice canadienne Marie Isabelle Massip, qui a également été obligée de quitter son poste, représente un gouvernement qui s’était prononcé en faveur de pressions contre M. Gbagbo. Le Canada comme le Royaume-Uni ont rejeté l’ordre d’expulsion [de leurs ambassadeurs]comme illégal.
Quelle a été la position de l’Union européenne sur les élections ?
L’UE a envoyé 120 observateurs pour surveiller les élections. La Mission d’ Observation Electorale de l’Union Européenne (MOE UE) était dirigée par le député roumain Christian Preda. Le rapport préliminaire de la mission, publié deux jours après le second tour de vote du 28 novembre faisait état d’une atmosphère beaucoup plus tendue qu’au premier tour, avec un couvre-feu attisant les tensions. La mission regrettait aussi les épisodes de violence et d’intimidation dans le pays qui avaient empêché certaines personnes de voter. La MOE UE a déploré que les instances publiques de régulation des médias n’aient pas assuré un accès équitable aux ondes et que M. Gbagbo ait disposé d’un temps d’antenne plus important que M. Ouattara à la radio et à la télévision publiques. M. Preda avait précédemment critiqué la Commission électorale indépendante (CEI) pour avoir été peu coopérative envers les observateurs.
Juste avant le second tour, la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, avait mis en garde contre une radicalisation de la campagne politique, exhorté les partis à adopter une attitude plus pacifique et encouragé les médias publics à faire preuve d’impartialité.
Comment l’UE a t-elle réagi au conflit d’Abidjan ?
Les premières déclarations de l’UE sur l’impasse politique en Côte d’Ivoire font écho aux inquiétudes exprimées par les Nations Unies, l’Union africaine (l’UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Au cours d’une rencontre à Bruxelles le 13 décembre, le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Europe a félicité M. Ouattara de sa victoire, insisté pour que la volonté du peuple ivoirien soit respectée et soutenu la position de l’UE et celle de la CEDEAO. Le Conseil a aussi annoncé sa décision d’imposer une interdiction de voyage et de geler les avoirs de « ceux qui font obstruction aux processus de paix et de réconciliation nationale et …menacent le bon aboutissement du processus électoral ». Une séance plénière du Parlement européen le 16 décembre a demandé à M. Gbagbo de se retirer et de laisser la place à M. Ouattara. Mme Ashton, qui avait évoqué auparavant la possibilité de mesures punitives, a confirmé clairement que l’UE appliquerait des sanctions s’il n’y avait pas de réaction de M. Gbagbo et de ses partisans.
Qui fait partie de la liste des sanctions de l’UE ?
Les 19 Ivoiriens nommés sur la liste des sanctions de l’UE mise au point par le Conseil européen le 22 décembre comprenaient Laurent et Simone Gbagbo, des associés de longue date de M. Gbagbo, dont son porte-parole, Pascal Affi N’Guessan, et le conseiller aux affaires militaires, Kadet Bertin. Le président du Conseil Constitutionnel, Paul Yao N’Dre, a été accusé d’avoir « sciemment validé de faux résultats ».
Parmi les autres personnes ciblées, trois chefs de milices pro-Gbagbo, basés à l’ouest, des hauts commandants des forces de sécurité et plusieurs grands noms de la presse, dont certains sont accusés d’avoir aidé à répandre la désinformation et d’autres d’avoir publié des articles incitant à la haine. Un bref compte-rendu des offenses prétendument commises par les personnes ciblées apparaît dans le Journal officiel de l’UE, mais sans grand détail. Ainsi, certaines personnes de la liste sont accusées d’être impliquées simplement dans la suppression de « soulèvements populaires » en février, en novembre et en décembre.
Suite à une réunion des ambassadeurs du Comité politique et de sécurité, l’UE a annoncé le 31 décembre que 59 noms supplémentaires, issus principalement de la nouvelle administration, avaient été ajoutés à la liste.
En quoi consistent les sanctions ?
Ceux qui sont sur la liste se verront refuser les visas d’accès aux pays membres de l’UE. Dans le cas de M. Gbagbo et de sa femme Simone, leurs avoirs financiers dans les pays européens ont été gelés. Interrogé dans la presse ivoirienne sur l’impact des sanctions, Emile Guiriéoulou, le ministre de l’Intérieur de M. Gbagbo, a rétorqué, avec beaucoup de mépris, que les mesures proposées étaient « un chiffon rouge que l’Union européenne agite chaque fois aux yeux des dirigeants africains, pensant nous faire peur. » M. Guiriéoulou a aussi dit que M. Gbagbo ne prenaient pas ses vacances en Europe et qu’il ne serait donc pas gêné par l’interdiction de visa.
Quelle est l’importance de l’UE pour la Côte d’Ivoire ?
L’UE est demeurée le principal partenaire de développement de la Côte d’Ivoire, tout au long de la période de conflit et de division. Le dixième Fond européen de développement (FED) a alloué 254,7 millions d’euros de son programme indicatif pluriannuel pour la période 2008-2013, mettant l’accent sur la gouvernance, la sécurité, la consolidation de la paix, la réforme de la justice et l’intégration régionale.
Près de 41 pour cent du commerce annuel de la Côte d’Ivoire se fait avec des membres de l’UE. En novembre 2008, la Côte d’Ivoire a signé un Accord de partenariat économique « tremplin », qui devrait permettre au pays d’avoir un accès libre de droits et de quotas au marché européen, tout en forçant la Côte d’Ivoire à libéraliser à long terme les produits importés.
La Banque européenne d’investissement (BEI) a repris ses opérations de prêt à la Côte d’Ivoire en 2009, après une interruption de 10 ans, en signant un accord d’allègement de la dette et en se montrant disposée à fournir prêts et assistance technique pour réformer les infrastructures et assurer la croissance du secteur privé.
Plusieurs pays européens ont fermé leur ambassade après la crise initiale de 2002, puis à nouveau après les manifestations de masse et les attaques anti-françaises en novembre 2004. Parmi les membres de l’UE, l’Italie, la France, l’Allemagne et l’Espagne et la Belgique ont une ambassade à Abidjan. La Norvège et la Suisse, qui ne font pas partie de l’UE, ont également une ambassade en Côte d’Ivoire.
M. Gbagbo était en visite officielle en Italie en septembre 2002, quand les émeutes ont éclaté en Côte d’Ivoire, divisant le pays entre le sud, dirigé par le gouvernement, et le nord, contrôlé par les rebelles.
La pression de l’économie
Avant la crise post-électorale, les perspectives économiques pour la Côte d’Ivoire semblaient s’être améliorées, avec une croissance de 3,8 pour cent en 2009 et des prévisions optimistes concernant la hausse des revenus du cacao et des exportations de pétrole. Le coût économique du conflit s’est avéré sévère : le produit intérieur brut (PIB) réel par habitant a baissé de 15 pour cent entre 2000 et 2006, la pauvreté a augmenté de façon conséquente et le classement de la Côte d’Ivoire dans l’Indice de développement humain (IDH) des Nations Unies est descendu de la 154ème place en 1999 à la 166ème en 2007.
Quels sont les rapports actuels de la Côte d’Ivoire avec le FMI et la Banque mondiale ?
La Banque mondiale avait quitté la Côte d’Ivoire en 2004 pour non-paiement des arriérés, mais y est revenue en 2008 après les Accords de paix de Ouagadougou. La Banque mondiale s’est lancée pour la période 2010-2013 dans un Programme d’assistance au pays, axé sur la bonne gouvernance, le développement des infrastructures, une amélioration des exportations, le développement agricole et la revitalisation du secteur privé. L’Association internationale de développement (AID) disposait d’un portefeuille de 10 projets d’investissement d’une valeur de 737 millions de dollars, dont 245 sont encore à répartir.
En mars 2009, le Fonds monétaire international (le FMI) a accepté de fournir 565,7 millions de dollars dans le cadre d’une Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC), axée sur la régénération de l’économie ; la Banque mondiale et le FMI ont permis à la Côte d’Ivoire de bénéficier d’un allégement de la dette dans le cadre d’une initiative PPTE (Pays pauvres très endettés). Ces deux organismes ont loué les efforts du gouvernement pour réduire la pauvreté et gérer les finances. L’allégement de la dette proposé, soit quelque trois milliards de dollars sur une dette externe totale d’environ 12,8 milliards de dollars, était conditionnée à la réussite des élections. Le statut de PPTE permettait à la Côte d’Ivoire d’entamer des arrangements concernant la dette, avec le Club de Paris comme avec le Club de Londres. La France et les Etats-Unis avaient aussi accordé des mesures importantes de réduction de la dette
Malgré les rumeurs encourageantes venant des donateurs et des partenaires, l’idée que le rétablissement de la croissance dépendait de la normalisation de la politique a été maintes fois répétée de façon claire. Dans les jours qui ont suivi l’éruption de la crise, Dominique Strauss-Kahn, le directeur du FMI, avertissait que le FMI ne pouvait pas travailler avec un gouvernement non reconnu. Dans une déclaration du 22 décembre, la Banque mondiale confirmait avoir fermé son siège à Abidjan et arrêté les prêts et les allocations de fonds à la Côte d’Ivoire. Elle s’est jointe à la Banque africaine de développement (BAD) pour soutenir la CEDEAO et l’UA, et inciter M. Gbagbo à se retirer.
Quelle a été la réponse des institutions bancaires africaines ?
La BAD ne reviendra pas : La crise en Côte d’Ivoire a ruiné tout espoir de la part de la BAD de rétablir son siège à Abidjan ; la banque avait en effet déménagé à Tunis en février 2003, en raison de sévères inquiétudes concernant la sécurité. La BAD a organisé une réunion très importante à Abidjan en mai 2010 et la direction avait clairement sous-entendu que la banque avait l’intention de revenir. Les relations avec le gouvernement de M. Gbagbo étaient bonnes, en particulier après le paiement par la Côte d’Ivoire de ses arriérés à la BAD.
L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (l’UEMOA) s’oppose à M. Gbagbo. Il semble en effet que se soit déroulée dans les coulisses une lutte continuelle pour le contrôle des avoirs financiers de la Côte d’Ivoire. Comme dans les sept autres pays membres de l’UEMOA, la politique monétaire de la Côte d’Ivoire dépend largement de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), basée à Dakar. La BCEAO, quant à elle, est liée au ministère des Finances français.
Un Conseil des ministres de l’UEMOA s’est tenu à Bissau le 23 décembre et a demandé à la BCEAO de rejeter la signature de M. Gbagbo sur tous les documents financiers, confirmant que seule la signature de M. Ouattara serait désormais jugée valide. Cette décision a provoqué de vives critiques de la part des partisans de M. Gbagbo qui ont mis en question la légalité de cette initiative de l’UEMOA, fait remarquer les liens de M. Ouattara avec la BCEAO dans le passé, et accusé l’UEMOA de prendre part à un complot monté par la France. On ne sait pas clairement dans quelle mesure la BCEAO a suivi la directive exprimée à Bissau, directive qui aurait d’immenses conséquences pour l’organisation des finances de la Côte d’Ivoire. Le directeur de la BCEAO est actuellement Philippe Henry Dacoury-Tabley, un Ivoirien.
Les partisans de M. Gbagbo ont parlé d’introduire une nouvelle monnaie, la Monnaie Ivoirienne de la Résistance (MIR) ; Simone Gbagbo et le chef des jeunes partisans, Charles Blé Goudé, sont parmi les défenseurs de cette idée.
cs/cb – og/amz
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