Les éléments d’explication de la victoire électorale de M. Alassane Ouattara

Par Mamadou Billo SY SAVANE

L’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, plusieurs fois reportée, a finalement été organisée dans des conditions tout à fait satisfaisantes au regard des normes internationales. Les deux candidats restés en lice pour le second tour ont mené une campagne globalement digne, même si un temps, M. GBAGBO avait été tenté par l’usage d’arguments xénophobes anti-dioulas contre son concurrent, M. Alassane Dramane OUATTARA.

Le débat télévisé entre les deux compétiteurs, une première en Afrique Noire, a été d’une tenue exemplaire. Cela a été remarqué sur l’ensemble du continent, et peut être même en dehors de l’Afrique. Bref, tout le processus électoral s’est déroulé sans accrocs majeurs.

La publication télévisuelle des résultats sortis des urnes, région par région, semblait attester que le niveau de transparence des opérations de vote était si indiscutable, que les deux candidats n’y ont trouvé rien à redire. Et de fait, ils s’y étaient conformés jusqu’au moment où, la défaite de M. Laurent GBAGBO lui est apparue inéluctable, au fur et à mesure que les résultats tombaient.

Soudain, on vit une foule de personnalités proches du président- candidat sortant, s’installer dans les studios de la R.T.I. (Radio télévision Ivoirienne), micro en mains, accompagnées de nombreuses caméras. M. Pascal AFFI N’GUESSAN une notabilité politique discutable du candidat sortant, d’un air menaçant, fait état de nombreuses « irrégularités » qui entacheraient la sincérité du scrutin.

Après lui, c’est un préfet tout aussi guerrier et militant qui viendra exposer, ce qu’il a appelé « des violences inadmissibles » qui auraient empêché les partisans supposés de M. GBAGBO Laurent de voter. S’en suit alors un incessant défilé de fantomatiques « organisations africaines pour l’observation des élections » opportunément sorties d’on ne sait où. Cette pénible comédie atteindra son apogée lorsque, un commando visiblement téléguidé par les amis du président sortant, décide, par l’intimidation physique, d’interdire la simple lecture des résultats par les membres de la C.E.I. (Commission Electorale Indépendante), comme la Loi les y autorise. Des millions de téléspectateurs ébahis, ont vu en direct cette expédition punitive. La suite des évènements sera du même tonneau dans les rues d’Abidjan, mais en plus sanglant. Inutile de les commenter. Ils sont encore dans les mémoires de millions de citoyens africains.

Alors, d’où vient que M. Laurent GBAGBO, politicien expérimenté, historien de surcroît, perde son sang-froid légendaire, et soudain, se mette à gesticuler dans tous les sens, au point de faire basculer son pays dans une guerre que manifestement ni Alassane OUATTARA, son concurrent élu Président de la République, ni ses compatriotes ne souhaitent ?

De mon point de vue, répondre à cette question revient à s’interroger sur ce qu’il faut bien appeler les « naïvetés politiques » successives de M. GBAGBO.

« Elu » en 2000 dans des conditions que lui-même avait qualifiées de calamiteuses, il fait quand même son calamiteux quinquennat, et s’octroie contre toute légalité, un second quinquennat, tout à fait inconstitutionnel. Ne pouvant plus s’en octroyer un troisième sans l’accord explicite du peuple ivoirien, il accepte de se soumettre au verdict des urnes, c’est-à-dire à l’expression de la volonté du peuple. Il perd l’élection dont il conteste aussitôt la validité. Il s’autoproclame « élu ». Et, pour tout verrouiller, pense-t-il, il fait habiller son auto-proclamation, d’une apparence légale par « sa » Cour constitutionnelle. Et le président de la Cour constitutionnelle, tout à la dévotion de son patron, se substitue au peuple, ou plus exactement usurpe la Souveraineté populaire.

Pour obtenir la quantité de suffrages qui pourrait lui permettre d’inverser la volonté populaire librement exprimée dans les urnes, il annule d’abord les scrutins de quatre régions favorables à M. OUATTARA, ensuite cinq. Mais le compte n’y est toujours pas. Finalement, il réalise qu’il lui faut encore plus. Décidé à être agréable à son patron à tout prix, il taille dans le vif. Pas moins de sept régions gagnées par M. OUATTARA seront rayées d’un trait de plume ou d’un clic d’ordinateur. La Souveraineté du peuple est provisoirement confisquée. Le candidat GBAGBO est satisfait. Il peut se prévaloir d’une décision « constitutionnelle ». De fait, il s’autoproclame président, contre toute vraisemblance électorale sortie des urnes.

Pour lui donc, le tour est joué. L’affaire est dans le sac. Le stratagème qui a fonctionné contre le naïf général GUEÏ en 2000, lui paraît toujours d’actualité. D’où selon moi, ses gesticulations désespérées d’arrière garde, explicables par une série de naïvetés incroyables.

Première naïveté : assis sur un confortable matelas de francs CFA issus de l’exportation de cacao et de diverses sources, il achète quelques notabilités locales ici et là. Surtout, le fameux communicant sondeur français au mémorable ROLEX et ses jeunes associés, lui font croire que toute la Côte d’Ivoire est à ses pieds, qu’il serait réélu dès le premier tour, que ses concurrents sont insignifiants.

Ne disait-il pas lui-même qu’il n’a pas d’adversaire et qu’en face, il n’y aurait que du vide ?

Sûr de son bon droit, il part en campagne électorale sur fond de mépris absolu pour les « insignifiants » Alassane Dramane OUATTARA et Henri Konan BEDIE. Dépourvu de bilan à présenter à son pays, il trouve une excuse Totale, Définitive et Universelle : la rébellion. Les Forces Nouvelles seraient responsables de tout. La crise politique consécutive à sa captation du pouvoir, l’aurait empêché de faire la moindre réalisation au bénéfice des populations démunies pendant ses deux quinquennats. Naturellement, la faute en incombe à M. Guillaume SORO qu’il diabolisera et qu’il nommera pourtant Premier Ministre. Lui n’est responsable de rien, il est d’une innocence semblable aux anges (s’ils existent). La dégradation des conditions de vie de ses compatriotes ?- la faute à ses concurrents. Le délabrement de la CÔTE d’IVOIRE depuis dix ans ?- La faute aux mêmes. L’insécurité généralisée ?- Toujours les mêmes. Lui n’est jamais concerné. En quelque sorte, l’innocence d’un nouveau-né.

La deuxième naïveté tient au fait que, M. Laurent GBAGBO a peut être cru que les Ivoiriens, tous les Ivoiriens encaisseraient ses argumentations farfelues du genre « c’est la faute à BEDIE, ou alors à Guillaume SORO, si ce n’est Alassane OUATTARA… », ou encore « la France veut recoloniser la CÔTE d’IVOIRE, je suis le seul rempart. Les autres sont vendus…. ». Et il se laisse piégé par certains de ses « bons amis blancs », MM. Roland DUMAS, Guy LABERTIT et le sulfureux Jacques VERGES, qui lui font croire qu’il y aurait un complot ourdi contre lui par la C.E.D.E.A.O.(Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest), l’Union africaine…

Du reste pour l’ancien ministre français des affaires étrangères et président du conseil constitutionnel et son groupe, les organisations africaines ne peuvent être que des mouvements fantoches aux mains des occidentaux. Ils ne le disent pas explicitement de cette façon. Ils le suggèrent fortement. C’est l’une des façons les plus efficaces pour faire passer un message. Ancien ministre des affaires étrangères, M. DUMAS n’ignore pas cette subtilité toute diplomatique. Les Noirs Africains n’auraient donc aucune volonté. Ils ne seraient mus que par des maîtres blancs occidentaux. Etrange amitié !

On pourrait même parler d’une certaine forme de racisme des « amis blancs » de M. GBAGBO à son endroit. Racisme raffiné, diplomatique, amical, racisme de gens cultivés, mais racisme quand même. Dans une élection libre et transparente, M. OUATTARA, candidat de l’opposition devance de 8 points M. GBAGBO, le président sortant.

L’ancien ministre français des affaires étrangères, de surcroît ancien président du conseil constitutionnel de son pays, suggère aussitôt à son « ami » d’exiger le recomptage des voix. Dans une sorte d’étrange puérilité, M. GBAGBO s’empare de cet argument, sans s’apercevoir que son étrange avocat l’infantilise plus qu’il ne le défend.

Alors président du conseil constitutionnel de son pays, M. Roland DUMAS aurait-il accepté la demande de recomptage formulée par un candidat distancé de 8 points ?

A mon avis, il n’est pas certain qu’une pareille requête en France, fasse l’objet de la moindre attention de la part de qui que ce soit, y compris de M. DUMAS. Mais les Noirs Africains sont de grands enfants. On peut leur faire avaler n’importe quoi. Les temps sont durs en France. Et l’Afrique Noire est désormais le seul endroit de la planète, où certaines anciennes vieilles « gloires » de la gauche française, peuvent monnayer le prestige que leur a conféré leurs fonctions passées. Nous sommes dans ce cas de figure avec M. DUMAS.

blank

Mais pour cela, est-il indispensable d’infantiliser l’homme Noir Africain comme le font certains des « amis blancs » de M. GBAGBO ?

Je dois avouer à d’éventuels lecteurs, que c’est la perception de ce Racisme « raffiné » de gens cultivés qui me fait intervenir dans ce débat. Car, il ne s’agit plus de la seule CÔTE D’IVOIRE, mais de l’ensemble de l’Afrique Noire. La françafrique n’est plus là où on la croit. Elle a changé de camp. Et la Droite républicaine humaniste, tétanisée par l’habileté de discours de la gauche « obscure » version DUMAS, a peur d’être accusée de « néocolonialisme » ou de françafricanisme qu’elle n’est plus depuis belle lurette. Elle murmure de façon presque inaudible, ce qu’elle sait de vrai sur les pratiques peu avouables de M.GBAGBO et de son équipe.

En vérité, la réalité est plus prosaïque. M. GBAGBO, bunkérisé au palais présidentiel, entouré de courtisans prédateurs, ne pouvait sentir, ni percevoir les mutations profondes qu’a connue son pays ces dix dernières années. Et ce sont ces mutations qui, selon moi, expliquent l’indiscutable et large victoire de M. Alassane Dramane OUATTARA à la présidentielle. Pour aller plus vite, j’en citerai deux :

1°. De toute l’Afrique occidentale, à mon avis, c’est le peuple ivoirien qui a connu une mutation qualitative d’une ampleur et d’une rapidité jamais égalées en Afrique subsaharienne. Une classe moyenne éduquée, dynamique et entreprenant, une classe politique d’une grande qualité, une élite intellectuelle bien formée, des ouvriers qualifiés en grand nombre, des paysans en voie de devenir des entrepreneurs agricoles.

Un tel système social ou sociologique ne supporte ni l’immobilisme, ni le repli identitaire comme M. GBAGBO et ses amis semblent le prôner insidieusement. Bien au contraire, c’est d’ouverture au grand large dont il a besoin. Le démographe sérieux qui s’appliquerait à étudier la structure démographique des populations de la CÔTE d’IVOIRE ces vingt ou vingt-cinq dernières années, s’apercevrait sans grande surprise, qu’entre 40 et 50% des citoyens du pays ont au moins un parent né ailleurs. Et voilà l’ouverture globale dans laquelle les ivoiriens puisent leur dynamisme et leur étonnante inventivité. Même la « rébellion », y est une rébellion modernisatrice.

En effet, contrairement à l’interprétation malveillante et tribaliste qu’on a voulu lui coller, la crise née du mouvement des Forces Nouvelles, fut-elle douloureuse, est bien une crise visant à réaliser la jonction entre Etat et Nation, c’est-à-dire la création d’un Etat-nation. Guillaume SORO et ses amis demandaient juste raison que l’Etat ivoirien reconnaisse tous ses enfants, sans exclusive. Leur mouvement a accéléré la prise de conscience chez les ivoiriens qu’un Etat a à intégrer tous ses enfants, et non pas à fabriquer des citoyens de seconde zone. Malgré les difficultés, ils sont en train d’y parvenir, parce que le niveau général d’éducation de la population y est nettement plus élevé qu’ailleurs dans la sous-région. Ce qui n’est pas par exemple le cas en Guinée (Conakry) mon pays natal.

Toutes ces transformations majeures passées inaperçues ou ignorées par le camp de M.GBAGBO, ont une répercussion politique au plan électoral : le corps électoral éduqué est réfractaire aux envolées lyriques nationalitaires de tribun populiste, mais perméable au discours rationnel d’économiste politiquement éclairé. C’est exactement le cas de M. Alassane Dramane OUATTARA. En l’élisant avec une confortable avance, la réalité politique intérieure ivoirienne a rejoint la réalité sociologique du pays. Son camp paraît avoir bien saisi le sens de l’évolution en cours.

Le projet économique et social développé pendant sa campagne semble bien correspondre à l’attente de l’immense majorité des Ivoiriens. D’où son succès électoral indiscutable. Le pays a besoin d’investissement, d’emplois pour sa jeunesse. Les entrepreneurs ont besoin d’interlocuteurs sérieux avec lequel ils parlent le même langage, mais chacun à sa place.

La classe moyenne entrepreneuriale de la CÔTE d’IVOIRE, selon moi, est désormais l’une des rares en Afrique Noire, à être capable de faire jeu égal avec les entrepreneurs de leur niveau, hors continent. Mais elle est handicapée par l’absence d’un Etat et d’une classe dirigeante en mesure de comprendre les enjeux économiques et sociaux qui se jouent dans son pays. Il me semble que M. Alassane OUATTARA et ses amis sont perçus, à juste titre, comme les seuls capables de lever ce handicap. C’est un deuxième élément qui explique son succès électoral.

2°. M. OUATTARA s’est habilement défait de son côté technocrate occidental froid, sans tomber dans le populisme démagogique. Du coup, sa crédibilité d’homme d’Etat apparait à ses compatriotes comme allant de soi, tandis que M. GBAGBO en effrayait plus d’un. Il a su créer sans ostentation, une proximité entre lui et son électorat. Ce qui incontestablement l’a rendu plus sympathique aux yeux de l‘électorat de son pays.

Le débat télévisé qu’il a eu avec son concurrent, M. GBAGBO, a parfaitement illustré cet aspect de sa personnalité. En effet, les téléspectateurs ivoiriens et d’ailleurs, ont vu ce jour-là un OUATTARA fraternel, sincère, proche, bienveillant et compétent. Par ailleurs, l’accord passé avec M. BEDIE et tous les autres enfants spirituels de Félix HOUPHOUET BOIGNY s’est effectivement traduit sur le terrain électoral par un report massif des voix plus important que ne l’imaginait M. GBAGBO. Il perdait ainsi toutes ses illusions quant à l’espoir d’être reconduit pour un troisième mandat. Il faut dire qu’objectivement, les citoyens ivoiriens n’avaient pas beaucoup de raisons de reconduire celui qui a méthodiquement abîmé leur pays dix années durant.

Les gesticulations dérisoires de M.GBAGBO, encouragé en cela par certains de ses faux amis socialistes français créeraient un dangereux précédent en Afrique Noire, s’il n’est pas rapidement mis fin à ces manœuvres dilatoires de dernière minute. Dans certaines circonstances, l’action vigoureuse peut être préférée à une négociation inefficace. Nous sommes dans ce cas.

Mamadou Billo SY SAVANE, (France)
Mon contact : mamadoulinsan@wanadoo.fr
Pour www.nlsguinee.com

http://www.nlsguinee.com/articles/article7859.html

Commentaires Facebook

Les commentaires sont fermés.