La paix en Côte d’Ivoire doit passer par le droit électoral local (Le Monde)

Débat télévisé Ouattara-Gbagbo avant le 2e tour

LEMONDE.FR – Edgard Kiganga Siroko, avocat

La passion et l’aveuglement conduisent souvent à émettre des points de vue aussi inexacts que subjectifs sur l’appréciation et la résolution de difficultés d’ordre politique. La situation politique qui prévaut en Côte d’Ivoire à la suite de l’élection présidentielle du 28 octobre 2010, n’échappe pas à ce constat.

Au lieu de se lancer dans des imprécations, anathèmes, ultimatum, voire des exécutions sommaires, il convient de se rappeler que l’actuel défi de la préservation de la paix en Côte d’Ivoire, et finalement de la sécurité internationale dans toute la région, est posé par un simple contentieux électoral. En somme, tout ce qu’il y a de plus banal, tant la plupart des consultations électorales ont leurs lots de contestations, même dans les Etats les plus expérimentés.

Chacun conserve en mémoire l’élection présidentielle aux Etats-Unis d’Amérique du Nord du 7 novembre 2000, par le spectacle donné, au monde médusé, par le pays le plus moderne, qui a mis plus d’un mois pour tenter de recompter les voix des candidats George W. Bush et Albert A. Gore Jr. Les opérations de recomptage tournèrent à une bataille juridique autour de la validité du vote et de la fiabilité des machines à voter utilisées. La Cour suprême des Etats-Unis jugea le recomptage ordonné par la Cour suprême de Floride anticonstitutionnel et retint l’impossibilité d’effectuer un recomptage dans les délais constitutionnels.

En Côte d’Ivoire, proposer des solutions acceptables par les parties, commande de partir des instruments juridiques internes et, au premier rang, le droit électoral local. C’est l’ordonnance du 14 avril 2008 portant ajustement du code électoral pour les élections générales de sortie de crise qui régit précisément l’élection dont le résultat est contesté.

Monsieur Laurent Gbagbo, alors président en exercice, l’a signée et lui a ainsi donné plein effet dans l’ordonnancement juridique de l’Etat Ivoirien. Dans un contexte d’évocation, part certains, de « recolonisation de l’Afrique par l’ONU », il convient d’insister sur le fait que ce texte est entré en vigueur en Côte d’Ivoire au visa précisément de la résolution 1765 (2007) du Conseil de sécurité des Nations-Unies du 16 juillet 2007. Le point 6 de ladite résolution donne compétence au représentant spécial du secrétaire général des Nations-unies en Côte d’Ivoire pour certifier que tous les stades du processus électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielle et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, « conformément aux normes internationales ».
A notre sens, l’ONU a eu dans son histoire, plusieurs agissements troubles, notamment en 1960 au Congo, ex-Léopoldville, en déclarant, à rebours des faits, que la sécession katangaise était une affaire intérieure et qu’elle n’interviendrait pas dans un conflit intérieur.

En Côte d’Ivoire, le Conseil de sécurité a tenu malheureusement à faire superviser par l’ONU l’élection présidentielle dans un Etat divisé de fait en deux, avec des forces armées des deux côtés, sans que le désarment des « rebelles » n’ait été effectif ; dans ces conditions, le gouvernement sortant aurait dû ne pas les accepter en l’état, au risque d’aller au clash. En effet, sa position actuelle paraît moins bien tenable, car elle donne le sentiment qu’il renie sa signature quant à la tenue de ces élections sous la houlette des Nations unies dans les conditions initialement acceptées. Les difficultés actuelles étaient à notre sens déjà en germe dans l’entêtement du Conseil de sécurité des Nations unies.

Il est surprenant que les autorités de Côte d’Ivoire, certaines très férues d’histoire, aient introduit de telles dispositions directement dans leur droit interne, pour aujourd’hui disqualifier la « communauté internationale » et sans avoir défini ce qu’ étaient les « normes internationales » en matière d’élections ouvertes, libres, justes et transparentes, dont au demeurant l’application scrupuleuse n’a jamais été exigée ailleurs en Afrique, notamment au Togo, Tunisie, Gabon, Congo, Cameroun, Afrique du Sud au temps de l’apartheid, etc., ni dans d’autres parties du monde, en Chine, Russie, Iran, etc.

Mais il est vrai que le chef d’Etat sortant avait déjà été maintenu de fait à ce poste par une première résolution n° 1633 (2005) du Conseil de sécurité des Nations unies du 12 octobre 2005, à l’expiration de son mandat le 30 octobre 2005, pour une période n’excédant pas douze mois, du fait de l’impossibilité d’organiser les élections à la date prévue ; puis par une deuxième résolution n°1721 du 1er novembre 2006, présentée, comme par hasard par la France, et fixant une nouvelle période transitoire n’excédant pas douze mois. L’argument de néocolonialisme brandi par le camp Gbagbo perd donc quelque peu de sa pertinence.

L’ANNONCE CONTROVERSÉE DES RÉSULTATS

Un premier constat s’impose cependant : aucune disposition d’aucune sorte n’autorisait le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire à certifier les résultats provisoires ou partiels annoncés par la Commission électorale indépendante, qui plus est au quartier général d’un des candidats. Cette faute du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, commise dans le contexte très tendu, pourtant connu, est incompréhensible, car elle valide, d’une part, le grief de partialité formulé par un des protagonistes et, d’autre part, abaisse l’autorité de l’ONU qui était pourtant l’élément stabilisateur.

Le risque est grand que, pour la transparence nécessaire des futures élections dans des pays où l’alternance réelle par les urnes est une mascarade, de fait dans la majorité des Etats africains, les observateurs de l’ONU soient stigmatisés.

Il convient maintenant de se reporter à l’article 25 de l’ordonnance du 14 avril 2008 portant ajustement du code électoral pour les élections générales de sortie de crise, et noter que tout candidat portant réclamation sur la régularité du scrutin ou le dépouillement devait saisir le président du Conseil constitutionnel dans les trois jours suivant la clôture du scrutin. Après le deuxième tour le 28 novembre 2010, le délai de réclamation expirait le 1er décembre 2010, mais tous les protagonistes n’ont pas porté réclamation avant cette date. Il a fallu l’annonce controversée des résultats, le 2 décembre 2010, par la Commission électorale indépendante, pour que le Conseil constitutionnel, saisi uniquement par le président sortant, constate des irrégularités et annule les élections dans sept départements du nord du pays et le proclame président élu.

Que prévoit sur ce point le droit électoral de Côte d’Ivoire ? L’article 27 de l’ordonnance du 14 avril 2008 expose que le Conseil constitutionnel a compétence pour proclamer les résultats définitifs, après examen des éventuelles réclamations. Cependant l’article 28 du même texte précise que dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités de nature à entacher la validité du scrutin et à affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection.

Il est évident que l’annulation du vote dans sept départements du nord du pays (environ 30 % de la population) sur les 59 que compte la côte d’Ivoire, et qui sont réputés voter en majorité pour le candidat Alassane Ouattara, dans un contexte où Monsieur Konan Bédié, originaire du pays Baoulé (groupe Akan, environ 30 % de la population), a appelé à voter pour Monsieur Ouattara, est de nature à affecter le résultat de l’ensemble.

Autre constat : la résolution des ces difficultés a été très précisément organisée sur le plan local, ensuite le candidat Ouattara aurait dû régulièrement porter réclamation, et enfin, le Conseil constitutionnel aurait dû annuler l’élection, et non proclamer la victoire électorale d’un des candidats.

Est-on sûr que dans le contentieux électoral entre M.M Bush et Gore en novembre 2000, la Cour suprême des Etats-Unis, en faisant droit aux requêtes des avocats d’un des candidats sur « l’impossibilité » de recompter les voix, au risque de voir déclarer vainqueur de l’élection, le candidat recueillant le moins de voix, a vraiment dit le droit ? Or cette décision a été acceptée par la « communauté internationale ».

Ainsi en Côte d’Ivoire, pour « revenir » politiquement sur la proclamation du résultat de l’élection présidentielle par le Conseil constitutionnel, il est plus utile que tous les protagonistes du dossier acceptent de discuter et de résoudre par les lois internes, les irrégularités des opérations de vote alléguées ici et là, que d’appeler à recourir à des interventions armées, qui plus est par le biais d’Etats, notamment africains, dont la nature autocratique des régimes politiques est avérée.

Edgard Kiganga Siroko, avocat

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