La nuit va tomber, Laurent Koudou Gbagbo. Elle sera longue. Très longue, Laurent Koudou. Car c’est la nuit de ton rendez-vous avec ton destin, Laurent. T’es-tu arraché les paupières ? As-tu fait comme Sakouato, l’oiseau mythique de chez toi qui, chargé de prévenir le village des dangers, s’était arraché les paupières pour ne pas se laisser surprendre par le sommeil ? La nuit sera longue Koudou. Elle sera celle de ton destin. Et de celui de ton pays, la Côte d’Ivoire. Alors, pour entretenir cette nuit, comme dans ton village on entretient le feu lors des longues veillées funèbres en y ajoutant régulièrement des brindilles de bois, laisse-moi te raconter ta vie. Laisse-moi raconter ton parcours sur cette terre, comme on le fait au cours des longues veillées funèbres autour du feu. Car funèbre elle sera, cette veillée. Il y aura au moins un mort demain, Laurent, tu le sais. Toi ou ton pays auquel tu as lié ton destin il y a très longtemps déjà. Anticipons alors la veillée. Pardonne-moi mes oublis, Laurent Koudou Gbagbo, fils de Zézé Koudou Paul Gbagbo.
Koudou, tu es né le 31 mai à Mama, là-bas, en pays Bété, dans l’ouest de ce territoire alors colonie française et qui deviendra en 1960 la république de Côte d’Ivoire. Zézé Koudou Paul Gbagbo venait tout juste de rentrer de la seconde guerre mondiale. Tu es né très peu de temps après qu’il ait rencontré Marguerite, ta mère, ce qui a fait dire aux mauvaises langues qu’il ne serait pas ton véritable père. C’est Marguerite elle-même qui raconta lors des funérailles de Zézé Koudou Paul qu’avant lui, elle était mariée à un Malinké, ce peuple venu du nord de la Côte d’Ivoire et des pays voisins. Certains ont pu dire que ton véritable géniteur serait un étranger. Peu importe. Les grands hommes ont souvent des origines obscures. Ce qui est certain est que tu passas une enfance pauvre. Tu l’as plusieurs fois raconté à ton peuple, pour souligner ta réussite. Zézé Koudou Paul était un policier, père d’une nombreuse progéniture. Il semble qu’il négligea les deux enfants de Marguerite, à savoir toi et ta sœur Jeannette Koudou. Combien de fois n’as-tu pas raconté que ton exemple montrait que l’on pouvait naître pauvre et accéder à la plus haute marche de l’Etat ?
Tu eus beaucoup de chance, Laurent Koudou, fils de Zézé Koudou Paul. A l’époque de ton enfance, tous les enfants étaient scolarisés gratuitement par l’Etat. C’est ainsi que tu iras soutenir une thèse de doctorat d’histoire en France en 1979 avec une bourse de l’Etat. C’est dans ce pays que tu rencontreras ta première épouse, une Française, et que tu te convertis au socialisme. De retour dans ton pays, l’enseignant d’histoire que tu étais ne se montrera point docile devant le pouvoir de Félix Houphouët-Boigny. Le premier président de ton pays t’embastillera d’ailleurs à plusieurs reprises, pour t’apprendre à contester son parti unique. En 1982, tu t’exileras en France pour fuir sa colère. Et c’est là-bas que les camarades socialistes français te prendront en charge. Guy Labertit, qui était en charge des problèmes africains au sein du parti socialiste t’hébergera pendant qu’Henri Emmanuelli, qui était né le même jour que toi, verra en toi un frère jumeau. Simone Ehivet, ta camarade de lutte que tu avais épousée après ton divorce d’avec la Française, était elle, restée au pays.
La colère d’Houphouët-Boigny finit par passer et en 1988 tu rentras au pays pour créer ton parti, le Front Populaire Ivoirien (FPI). En 1990, tu pousseras l’audace jusqu’à te présenter contre le Vieux, comme on appelait le chef d’Etat ivoirien. Il avait dû s’ouvrir au multipartisme, car la crise économique avait jeté les jeunes de son pays dans les rues et ils avaient même poussé l’outrecuidance jusqu’à le traiter de voleur. Il nomma Alassane Ouattara Premier ministre, pour tenter de juguler la crise. Tu fus logiquement battu, car personne en Côte d’Ivoire n’imaginait Houphouët-Boigny perdre une élection présidentielle devant le nouvel arrivé que tu étais. Mais cela te donna le statut d’homme courageux, de leader de l’opposition naissante. Tu promettais le socialisme à ton peuple, et tu le faisais rêver. En 1992 Alassane Ouattara te jettera en prison, avec Simone et ton fils, à la suite d’une marche que tu avais organisée et qui avait dégénéré en destructions de biens publics et incendies de voitures.
Mais lorsque le 7 décembre 1993, Houphouët-Boigny mourut de sa belle mort après 33 ans de règne, ce fut Henri Konan Bédié, un homme de son clan qui lui succéda. Tu t’allias alors à Alassane Ouattara qui était traité d’étranger par Bédié et les siens, parce que son père était venu du Burkina Faso voisin que l’on appelait alors la Haute Volta. On inventa une loi sur mesure qui interdisait l’accès à la présidence aux personnes dont un des parents n’était pas Ivoirien de naissance. Ce fut le début de ce que l’on appela l’ivoirité et qui divisa le pays. En 1999 Bédié fut renversé par le général Guéï. Tu t’allias à ce dernier contre Ouattara. Tu expliquas plus tard qu’il n’y a pas d’alliance contre nature, dès lors qu’elle permet d’obtenir ce que l’on veut. Toi, tu voulais le pouvoir, et tu t’alliais à celui qui te permettait de t’en approcher. En 2000 Guéï fit éliminer par la Cour suprême tous les autres candidats, y compris Ouattara et Bédié, et tu te trouvas seul avec lui à l’élection présidentielle qui se passa dans la plus grande confusion. Guéï se déclara vainqueur. Tu fis descendre le peuple dans la rue et Guéï fut balayé. Te souviens-tu qu’à cette occasion tu reçus le plein soutien de tes camarades socialistes français ?
Le peuple vit en toi le Séplou, cet oiseau annonciateur des bonnes nouvelles de la mythologie de chez toi.
Mais Laurent Koudou, pourquoi fus-tu finalement le Kouglizia, cet autre oiseau mythique qui n’annonce que la mort ? Le jour de ton investiture on dénombra une soixantaine de cadavres dans un charnier. Et les dix ans de ton règne furent marqués du sceau du sang. Déjà en 2001, lorsque tu refusas à Ouattara le droit d’être candidat aux élections législatives, tu fis tirer sur ses partisans qui criaient leur colère. Des femmes furent violées à l’école de police où elles étaient détenues. Et Simone, ta Jézabel, déclara « mais qu’est-ce qu’elles avaient à aller manifester dans les rues ? » Ah Simone ! C’est elle qui te convertit au christianisme évangélique, et qui fut accusée d’être la personne qui actionna les escadrons de la mort qui tuèrent des dizaines de tes concitoyens, lorsqu’une rébellion éclata en 2002 dans le nord de ton pays. On dit d’elle que c’est elle qui porte la culotte dans ton foyer et qui t’impose la ligne dure de ton régime. Cela ne t’empêcha pas d’épouser une seconde femme, la belle Nady, selon les coutumes de ton pays qui autorisent la polygamie. En 2004, tu fis à nouveau tirer sur une foule de manifestants et l’Onu compta plus de 120 morts. La même année tu bombardas le nord de ton pays et lança tes jeunes contre les troupes françaises qui ouvrirent le feu. Tu fis ouvrir toi-même le feu à nouveau lorsque les femmes descendirent dans les rues en 2008 pour crier leur faim et leur misère. Il y eut deux morts. Laurent Koudou Gbagbo, peut-on compter les morts qui ont jalonné ton règne ? Te fallait-il absolument du sang pour étancher ta soif du pouvoir ? Laurent Koudou Gbagbo, Kouglizia ! Pourquoi tous ces morts depuis que tu contestes les résultats de l’élection ? Combien sont-ils, tous ceux que tes miliciens et mercenaires libériens ont arrachés à la vie. Les organisations internationales parlent en centaines. Elles parlent aussi de charniers. Comme en 2000. Pourquoi as-tu jeté ce voile de terreur sur ton pays, Laurent Koudou Gbagbo ?
La nuit sera longue Koudou ! T’es-tu arraché les paupières pour ne pas te laisser surprendre par tes ennemis qui approchent ? Cette nuit sera celle de ton rendez-vous avec ton destin. Cette nuit se jouera ton destin et celui de ton peuple. Pendant dix ans, tu t’es vautré dans les jouissances infâmes, la corruption, les crimes, la roublardise. Tu as réussi à reporter l’élection présidentielle à six reprises. Elle aurait dû se tenir en 2005. Tu as piétiné tous les accords que tu as signés. Peu t’importait ta parole donnée. La seule chose qui comptait pour toi était de conserver ton pouvoir à tout prix. Tu avais écrit à la page 18 de ta pièce théâtrale « Soudjata, lion du Manding » (éditions CEDA, 1979) : « je suis au pouvoir et j’y reste. » Tu l’as répété dans une interview, quelques jours avant l’élection présidentielle à laquelle la communauté internationale t’a contraint à la fin de 2010. Tu as perdu cette élection. Mais le pouvoir, tu y es et tu y restes. Simone et ses pasteurs ne te répètent-ils pas à longueur de journée et de nuit que ton pouvoir te vient de Dieu et que seul Lui, peut te l’enlever ? Qu’est le peuple, pour le combattant que tu es ? « Mon pouvoir, je l’ai arraché morceau par morceau » avais-tu dit une fois. Il faudra donc te l’arracher par la force. Elle approche, cette heure où tu devras défendre ce pouvoir, Laurent Koudou. Entends-tu les ennemis approcher ? Ils sont nombreux Koudou. Mais je te connais, tu n’as jamais eu peur. Ne t’appelle-t-on pas le Woudy, ce qui signifie le garçon, car chez toi seuls les hommes courageux, les guerriers intrépides ont le droit d’être qualifiés de garçon, tous les autres n’étant que des filles ?
Laurent Koudou Gbagbo, le Woody de Mama ! Ton destin se jouera cette nuit et la veillée sera longue. Iras-tu jusqu’à sacrifier ton peuple pour satisfaire ton égo ? Pourquoi, Laurent Koudou, pour se dernier rendez-vous, ne redeviendrais-tu pas le Séplou que l’on attendait ? Pourquoi ne sortirais-tu pas devant ton peuple pour lui apporter la bonne nouvelle de ton acceptation de sa volonté ? Il te sera alors beaucoup pardonné, Laurent Koudou, si tu réussissais cette transformation. Et tu entrerais dans l’histoire de ton pays ainsi que dans le panthéon des grands guerriers Bété. Le grand guerrier chez toi n’est-il pas celui qui évite les grands malheurs et apporte la paix à son peuple ?
Venance Konan
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