Par Fabrice Aubert Interview – Dans quels cas et sous quelles conditions les pays africains peuvent-ils intervenir militairement pour déloger Laurent Gbagbo du pouvoir tout en restant dans la légalité ? Les réponses de TF1 News avec Olivier Corten, professeur de droit international.
TF1 News : La Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) menace d’intervenir militairement en Côte d’Ivoire pour déloger Laurent Gbagbo du pouvoir en cas d’absence de solution pacifique. Dans quelle mesure en-a-t-elle la possibilité juridique selon le droit international ?
Olivier Corten : Pour qu’une organisation intervienne militairement dans l’un de ses pays membres, il faut que ses statuts lui permettent. C’est le cas de la Cédéao. Il faut ensuite qu’elle obtienne l’accord du gouvernement en place, comme l’a fait par exemple la Cédéao en 1990 au Liberia (ndlr : l’Ecomog, la force armée militaire de la Cédéao, fut chargée de l’opération). Dans cette configuration, si ce gouvernement est stable, il n’y a évidemment aucun problème juridique ou politique, ni aucun problème pour savoir si la situation correspond bien aux conditions d’intervention inscrites dans les statuts. En revanche, c’est beaucoup plus compliqué quand l’action se dirige contre un gouvernement en place, lorsqu’il y a controverse sur le gouvernement légitime ou quand les conditions même de l’intervention sont sujettes à interprétation.
TF1 News : Ce qui est le cas en grande partie aujourd’hui en Côte d’Ivoire.
O.C. : Tout à fait. Aujourd’hui, le seul gouvernement légal et officiel, puisque reconnu par la communauté internationale, est celui d’Alassane Ouattara. En théorie, on peut donc considérer qu’il suffit seulement de son accord pour permettre à la Cédéao d’intervenir militairement. Mais dans la pratique, en cas de confusion comme celle-ci puisque c’est Laurent Gbagbo qui détient encore les pouvoirs, on parle de « manque d’effectivité » du gouvernement. Son feu vert ne suffit pas. Il faut alors passer par l’Onu.
On peut ainsi rapprocher la situation ivoirienne de celle de St-Domingue en 1965, où deux gouvernements étaient également en concurrence. Les Etats-Unis y étaient intervenus à la demande du gouvernement reconnu internationalement, mais sans le feu vert des Nations Unies. Ils avaient alors été sévèrement critiqués. La problématique est identique quel que soit l’intervenant extérieur, pays ou organisation comme la Cédéao. La Somalie, avec l’intervention américaine de 1992, est un autre exemple plus récent de la nécessité de passer par l’Onu en cas de « manque d’effectivité ». Le gouvernement somalien en place ne contrôlait en effet pas grand-chose face aux rebelles. Même si l’opération était « défensive », il avait fallu obtenir l’aval de l’Onu.
Si l’intervention a lieu dans un but offensif, comme déloger Laurent Gbagbo du pouvoir à Abidjan, ce passage par une résolution du Conseil de sécurité est évidemment encore plus nécessaire. Si le résultat est positif, ce qui probable, alors la Cédéao pourrait intervenir sous l’égide de l’Onu dans le respect du droit international.
TF1 News : Si l’Onu décide d’intervenir elle-même, faudrait-il également une nouvelle résolution ?
O.C. : A priori, non. En 2004, l’Onuci (ndlr : l’Opération des nations unies en Côte d’Ivoire) a obtenu dans son mandat de recourir à la force si besoin. Tout serait alors question d’interprétation entre la situation sur place et les termes précis inscrits dans son mandat justifiant ce recours à la force. C’est d’ailleurs aussi le cas pour les forces françaises de la Force Licorne. Leur mandat, parallèle, a été obtenu des Nations unies, principalement pour soutenir l’Onuci (ndlr : ces deux mandats, qui expiraient le 31 décembre, ont été renouvelés à l’unanimité par le Conseil de sécurité).
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