( Les Afriques )
Comment le plan «B » de Laurent Gbagbo a –t-il été mis en branle avec le soutien du conseil constitutionnel et de l’armée ? Voici un rappel des faits utile à l’heure où des cris d’Orfraie de certains écrivains et intellectuels africains tentent de déplacer le débat du respect du vote des ivoiriens sur le terrain de l’ingérence.
Premier acte. A la veille du scrutin du deuxième tour, Laurent Gbagbo, instaure un couvre feu à la surprise générale. Aux yeux de ses adversaires, c’est un moyen pour le président sortant d’occuper militairement l’espace territorial au cas où les résultats ne lui seraient pas favorables. Tout au long de la campagne, le camp Gbagbo a joué sur les divisions, diffusant des films de guerre présentant Ouattara comme l’auteur de la déstabilisation du pays. Pendant ce temps, le candidat Ouattara qui bénéficiait du soutien de Henry Konan Bedié, de Mabri Toikeuse et, entre autres, de Gnamien Konan, a, comme durant le premier tour, axé son discours sur les voies et moyens de positionner la Côte d’Ivoire comme pays émergent.
Même avis des observateurs africains, européens et de la fondation Carter
Arrive le soir du 28 novembre. Le dernier bureau de vote vient de fermer. Aucun des deux candidats n’avait une visibilité sur l’issue du scrutin. Mais déjà, le camp présidentiel commençait à dénoncer le caractère anti-démocratique du vote dans les zones sous contrôle des forces nouvelles, notamment dans les 4 régions du Nord. C’est le deuxième acte. Le directeur de campagne du candidat Gbagbo, Dr Issa Malick Coulibaly, accompagné du porte-parole Affi Ngessan, avaient rencontré le soir même du scrutin le représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU, certificateur du scrutin, pour lui exprimer leur désir d’annuler le scrutin dans 4 départements du Nord. Ce dernier a pris bonne note et a déclaré le lendemain, lors de sa conférence de presse hebdomadaire, le caractère démocratique du déroulement du scrutin au vu des rapports présentés par les équipes de l’ONUCI qui avaient supervisé le scrutin et coordonné le transport du matériel électoral. L’ONUCI citera au cours de la même conférence les rapports des missions d’observation de l’Union Africaine, de la CEDEAO, de l’Union Européenne, de la Fondation Carter, de l’UEMOA qui n’ont relevé aucun incident majeur susceptible d’affecter la sincérité du scrutin. Ces conclusions étaient aussi appuyées par les rapports des préfets des régions du Nord qui indiquaient dans l’ensemble que les incidents dont on faisait allusion se seraient déroulés loin des bureaux de vote. A la fin du deuxième acte, le camp Gbagbo n’avait donc aucun argument fondé pour contester les résultats du Nord.
Quand Gbagbo convoque Soro
Le lundi 29 novembre, c’est la panique dans le camp Gbagbo qui apprend effaré que le camp Ouattara était crédité déjà de 60% des résultats dépouillés. Contre toute attente, les consignes de vote donnés par les alliés du PDCI, de l’UDPCI et du MFA ont bel et bien été respectés à 74%. A cet instant, le camp Gbagbo ne misait plus que sur l’annulation du scrutin dans les 4 départements du Nord. Personne dans l’entourage immédiat du président sortant n’osait lui dire que même avec une telle annulation, Ouattara serait en tête. Le mardi 30, Laurent Gbagbo s’était lui-même rendu compte de l’avance incompressible de son adversaire. Désormais, il fallait manœuvrer. C’est le troisième acte.
Alors, il convoque Guillaume Soro dans la soirée pour lui exprimer son intention d’obtenir l’annulation du scrutin dans les 4 départements en question. Ce dernier, guère impressionné, lui exprime son désaccord, le dissuadant sans succès d’attendre la proclamation des résultats provisoires par la commission électorale et de saisir ensuite le conseil constitutionnel avec un recours en annulation comme l’indique la loi. Laurent Gbagbo réagi vigoureusement et demande à Soro d’être de son côté. Celui-ci réplique : «j’ai pris un engagement devant le peuple ivoirien de respecter les résultats issus des urnes ». Le camp Gbago perçoit cette attitude comme un revirement. Pour le clan resserré autour du chef, l’ancien premier ministre avait basculé dans le camp de Ouattara. Il fallait mettre immédiatement le plan B en action. C’est le quatrième acte.
Le plan B : empêcher la CEI de prononcer les résultats
Ce plan B est simple : empêcher la commission électorale de proclamer les résultats par tous les moyens jusqu’à l’expiration du délai légal. L’on se rappelle l’image de Damana Picasse, représentant de Gbagbo à la CEI, arrachant les procès verbaux à Bamba Yacouba, porte-parole de la CEI devant les caméras du monde entier. Quelques heures auparavant, la télévision nationale (RTI) qui réalisait un direct depuis le siège de la CEI venait de recevoir l’ordre de démonter son dispositif ; certains journalistes des médias internationaux étaient invités de quitter manu militari le siège de la CEI. D’autres recevaient des appels téléphoniques les invitant à se rendre à la RTI où le président Laurent Gbagbo devrait faire une déclaration. L’on n’était pas loin d’un coup de force électoral.
Cette confusion a perduré jusqu’au mercredi, date butoir de la proclamation des résultats par la CEI. A cet instant, l’ensemble des missions diplomatiques se rendirent à la CEI pour soutenir la commission et l’inviter à proclamer les résultats. Alassane Ouattara monte au créneau et appelle le président de la CEI à procéder immédiatement à la proclamation des résultats. Les ivoiriens patientent devant leur poste téléviseur pour attendre en vain la proclamation des résultats du second tour. L’apparition du président de la CEI aux environs de 23 heures demandant aux ivoiriens de lui donner encore un peu de temps et de rester patient viendra ajouter une dose supplémentaire d’adrénaline sur les rives de la perle des lagunes.
Et Yao Ndre entre en scène
Entre alors en scène Yao Ndré. C’est le cinquième acte. Le président du conseil constitutionnel ivoirien sort de sa réserve, convoque la presse et déclare la commission électorale hors jeu depuis la fin des 72 heures légales, délai qui lui était imparti pour prononcer les résultats provisoires. La confusion était totale. Le président de la CEI, Youssouf Bakayoko, qui venait d’échapper à une séquestration des éléments de la garde républicaine qui avait renforcé son dispositif de sécurité dans l’enceinte de la CEI est allé s’entretenir avec le premier ministre Guillaume Soro sous haute escorte des casques bleus à l’hôtel du Golf. C’est dans cet établissement hôtelier que le camp Ouattara a trouvé refuge pour échapper aux attaques des partisans de Gbagbo qui pendant le second tour avaient à deux reprises attaqué la maison du PDCI, lieu de rassemblement du RHDP.
Le président de la CEI, à la suite de la déclaration de Yao Ndre, procédera à son tour à la proclamation des résultats qui donnaient Ouattara vainqueur avec 54% contre 46% pour Laurent Gbagbo. La RTI ne diffuse pas l’information relayée par les chaines étrangères. Des scènes de liesse étaient visibles chez les partisans du RHDP. Le président du conseil constitutionnel, Yao Ndre, reviendra à la charge pour déclarer nul les résultats proclamés par la CEI.
24 heures pour éplucher 20 000 procès verbaux
Le lendemain alors qu’il dispose de 7 jours pour traiter les résultats, Yao Ndre avait, en moins de 24 heurs, épluché les 20 000 procès verbaux. Le président du conseil constitutionnel va au-delà de la contestation du camp Gbagbo qui réclamait l’annulation du vote dans 4 départements. Ayant constaté que même avec l’annulation de ce vote, Ouattara restait vainqueur, Yao Ndré procédera abusivement à l’annulation du scrutin dans 7 départements. Il procédera laconiquement à l’investiture de Laurent Gbagbo, en violant la volonté du dépositaire ivoirien qui s’est librement prononcé en faveur de Ouattara. Pourquoi le conseil constitutionnel qui a procédé à de telles annulations n’a pas invalidé le vote ? Pourquoi n’a-t-il pas attendu la certification des procès verbaux par l’ONUCI ? Pour valider la thèse de l’irrégularité du vote au Nord, un soi –disant groupe d’observateurs internationaux (en réalité de parfaits novices recrutés dans les milieux des étrangers résidents en Côte d’Ivoire depuis des années) présentent un rapport de la situation dicté par leurs sponsors. Ces manœuvres sont dénoncées par l’un des leaders de la galaxie patriotique, Touré Al Mustapha, membre de la direction de campagne du candidat Gbagbo dans le Nord qui a fait défection il y a quelques jours.
Malgré un isolement progressif au sein de l’ONU, de l’Union Africaine, de la CEDEAO et de l’UEMOA, Laurent Gbagbo continue de défier le monde, jouant sur le temps, et se posant en champion de la souveraineté africaine. L’on aurait tant voulu que cette souveraineté ne soit pas exprimée contre le vote et la volonté du peuple ivoirien. S’il a inspiré et prévu les 5 actes de la crise électorale ivoirienne, il n’est pas sûr que Gbagbo sera l’auteur du 6e acte.
Par Rodrigue Fénelon MASSALA, Abidjan
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