Par Robert Lee Obassandjo | agoravox.fr
Dans une première partie ont été analysés les éléments structurants des ambitions inavouées des intervenants extérieurs de la crise ivoirienne. Le président Obama s’est dit depuis « préoccupé par la stabilité » en Afrique de l’Ouest alors qu’au même moment des rumeurs de bruit de bottes agitent la Lagune d’Abidjan : un corps expéditionnaire monterait en puissance à partir Nigéria voisin. « Toujours parler paix, toujours agir guerre », disait Napoléon.
Nous sommes bien là au cœur d’une guerre qui se prépare. Les anciens avaient coutume de dire : « res, non verba ». Les stratocrates modernes leur répondent : « verba et res », appliquant en cela un des principes fondamentaux de la stratégie, à savoir que « action que multiplie communication égale constante », autrement dit : « ne pas dire ce que l’on fait et dire ce que l’on ne fait pas ». Pendant que la propagande prépare, distrait et formate les esprits, l’action occulte se charge de mettre en œuvre les stratégies cachées.
A titre d’exemple, quand la presse occidentale commence à invoquer avec insistance de nombreuses victimes d’exactions, de charnier, d’épurations ethniques voire de génocide, et alors que toute l’histoire récente démontre qu’elle l’a toujours tu ou nié quand c’était effectivement le cas, il faut commencer à se méfier sérieusement : la manipulation est en cours.
Dans tous ces cas-là, il y a aussi un « méchant » qui est très méchant et coupable de toutes les turpitudes. Et à chaque fois il y a heureusement le camp des « gentils » qui se doit d’intervenir, les occidentaux, même par la guerre s’il le faut. Mais personne ne semble remarquer combien le méchant est faible en regard de la force des gentils, et personne n’observe non plus sur quel tas de richesse il se trouve qu’il est assis. Personne n’observe enfin que toute guerre n’est finalement qu’un transfert accéléré de pouvoir et de richesse. Observer tout cela serait en effet très inconvenant et les kapos médiatiques de la pensée conforme sont là pour y mettre bon ordre.
Après ce bref préambule, il convient maintenant de décrypter en quoi la situation ivoirienne s’oriente vers une guerre. La question est désormais, si on en croit les médias qui nous serviront ici de fil directeur, de savoir comment bouter le Gbagbo hors du pouvoir. Au compteur de la source ONU, il en serait à 173 victimes et quelques 19 000 réfugiés tout en notant qu’il n’y a rien sur les propres exactions de l’ONUCI, les milliers de viols comptabilisés depuis des années et les trafics en tous genres de la rébellion et des forces nouvelles de Soro et de Ouattara.
Il revient donc à la « communauté internationale » de se charger de cette éviction et, pour ce faire, elle dispose quatre armes :
• la condamnation, l’isolement et l’ostracisation par l’arme diplomatique et politique (c’est ainsi par exemple que les « ouattaristes » ont pu s’emparer de l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris, aidés en cela par un fort contingent d’éléments de « la grande maison » comme disent les Français qui sont des experts en petitesse) ;
• l’étranglement par assèchement des moyens de subsistance de l’Etat ivoirien via l’arme économique et financière ;
• l’imposition du candidat élu par l’intervention directe d’une force militaire et sécuritaire ;
• l’instauration d’un climat d’insécurité physique et psychologique, associée à la restriction aux denrées alimentaires et aux services de première nécessité au moyen de l’arme de la subversion qui vise à couper la population du pouvoir.
Chacune de ces armes présente des avantages supposés et des inconvénients bien réels mais qui ne se vérifient qu’à l’usage. A ce jour, c’est l’inefficacité objective de l’action menée de la communauté internationale qui prédomine.
Pourquoi un résultat si faible ? C’est bien involontairement que les médias en dévoilent la raison quand ils déclarent benoitement que « presque toute la communauté internationale réclame le départ de Laurent Gbagbo ». Or, justement, tout est dans le « presque ». Ce qui amène naturellement à devoir s’interroger sur la réalité cette « communauté internationale » au nom de laquelle évincer le récalcitrant serait une obligation si ardente obligation. Serait-ce un phantasme ?
En reprenant la terminologie récemment définie par Hubert Védrines, il y a dans cette communauté internationale des nations « mondialisatrices » et des nations « mondialisées », ce qui est une autre façon de présenter la théorie de Fernand Braudel sur la structuration internationale en « centres » et en « périphéries ».
Dans la question qui nous préoccupe, ce sont les nations mondialisatrices qui sont à la manœuvre, et plus exactement :
• « la » nation mondialisatrice et ses nations vassales, leur but étant de tordre le bras plus ou moins amicalement aux autres nations pour faire croire à une « communauté »,
On distingue plusieurs catégories parmi ces autres nations dites mondialisées :
• les nations vassales qui adore leur bourreau, la nation mondialisatrice, au point de s’en faire l’allié indéfectible (on se souviendra de Tony Blair un temps surnommé le caniche de Bush : rôle qui a échu depuis à un autre dirigeant européen) ;
• les nations qui n’ont d’autre choix que de subir cette tutelle mondialisatrice ou qui s’en accommodent pour diverses raisons ;
• les nations qui n’ont d’autre choix que de subir cette tutelle mondialisatrice mais qui ne s’en accommoderont jamais et attendent le moment opportun pour choisir leur camp ;
• les nations à fort potentiel qui considèrent les Etats-Unis comme leur ennemi stratégique majeur mais qu’elles ne veulent affronter que de manière indirecte voire imperceptible pour les plus habiles, en attendant mieux.
C’est dans ces deux dernières catégories que se recrute le « presque » évoqué précédemment. Si on précise que s’y retrouve forcément d’une manière ou d’une autre les nations qui constituent le BRIC, le rapport de force effectif – « res » – (démographique et potentiel économique) est l’inverse du rapport de force apparent que recouvre la formulation médiatique de « communauté internationale » – « verba » : les nations mondialisatrices ou assimilées sont donc potentiellement en posture de faiblesse.
La tutelle mondialisatrice, imbue de nouvel ordre mondial, exerce sa tutelle au travers d’un ensemble d’organisations mondiales, régionales et sous-régionales qu’elle domine. Leur position dans la crise consiste à relayer unaniment le discours dominant pro outtariste, avec pour conséquence prévisible d’entacher durablement leur crédibilité.
Inéluctablement, certaines nations seront obligées de faire jouer leurs propres intérêts dans la crise ivoirienne mais à leur manière. Et pour ce qui concerne la dernière des catégories mentionnée plus haut, leurs intérêts divergent forcément de ceux des Etats-Unis … et de ceux de la France qui s’est beaucoup (trop) exposée dans cette affaire.
Par conséquent, il faut s’attendre à un blocage subtil et progressif de l’emploi des armes politique et diplomatique mais également économique et financière mises en œuvre contre Gbagbo. Ainsi, aucune mesure coercitive ne pourra être prise au Conseil de Sécurité de même que la zone du franc CFA pourrait bien échapper à la France qui n’est plus vraiment en position de d’y imposer ses vues.
Ce blocage sera alors de nature à pousser à l’emploi de la force par une option militaire et sécuritaire les tenants de l’imposition du président légitimement reconnu, autrement dit à la guerre.
Pourquoi ? Il y a trois raisons principales à cela :
• les enjeux sont colossaux dans ce nouveau bras de fer est-ouest / nord-sud ;
• les dirigeants du coté occidental, force est de le reconnaître, ne sont pas à la hauteur de ces enjeux, comme c’est souvent le cas dans l’Histoire, ce qui les amènera à commettre de graves erreurs d’appréciation ;
• le retard stratégique des Etats Unis d’Amérique est patent.
L’importance de ce dernier point mérite un développement particulier. Toute l’histoire de la stratégie montre que ce ne sont pas les crises qui, en soi, sont dangereuses mais plutôt l’inaptitude des élites en place à savoir les traiter. Le schéma de pensée, celui de l’intervention qui sera adoptée, sera calqué sur celui mis au point à la disparition de l’URSS, un contexte particulier où les Etats-Unis, aveuglés par leur puissance, ont très justement été qualifiés « d’hyperpuissance ». Celle-ci n’est plus qu’un souvenir car le contexte est en train de s’inverser :
• l’image de l’américain libérateur et le « mythe de la bonne guerre » ont disparu pour laisser place à une haine qui a provoqué pour la première fois une attaque sur le sol américain lui-même ;
• la cavalcade militaire US entamée sous Bush père dans les années 1990 pour un nouvel ordre mondial tourne à l’échec patent (Irak, Afghanistan) ;
• les États-Unis n’ont pas su anticiper la vitesse de la montée en puissance des pays émergents dont la Chine, un adversaire pour la première fois de leur histoire à leur taille ;
• comme toutes les idéologies mortifères (communisme, nazisme), l’ultra libéralisme US possède en lui-même le germe de sa propre destruction sous la forme de crises économiques basées uniquement sur une cupidité immaîtrisable.
Le contexte a donc considérablement évolué. Pas les esprits.
C’est donc avec les idées et les concepts d’un passé proche mais désormais révolu qu’on aborde un conflit nouveau et d’envergure. Pire, ces idées et ces concepts vont se heurter à des stratégies parfaitement asymétriques et indécelables par les approches classiques : tout est prêt insidieusement pour un schéma à l’afghane.
Appliqué au cas ivoirien, quel sera donc le schéma d’intervention par la force ? Deux conditions doivent être réunies au préalable :
• trouver des force supplétives :
o pas question pour les US de s’investir directement – le souvenir incompréhensible de Mogadiscio est encore présent, pas question non plus pour la force française d’intervenir directement compte tenu de son passé et de son passif, inutile de compter sur l’ONUCI dont la valeur militaire est quasi nul, impensable enfin d’envisager de faire intervenir l’OTAN : trop « blanc » ;
o cette force sera africaine mais nécessairement encadrée et fortement soutenue par les occidentaux.
• créer les conditions nécessaires à une « incontestable » intervention, autrement dit instrumentaliser, prétexter ou créer un drame humanitaire, ce qui nécessite :
o d’une part l’emploi de la quatrième arme de l’action déstabilisatrice par la subversion et l’action clandestine ;
o d’autre part l’activation sur place de « services spécialisés » certainement déjà à pied d’œuvre, et la collaboration active des rebelles FN et des seigneurs de la guerre qui les encadrent, autrement dit les forces prétendument « démocratiques » du pays, ses pseudo-libérateurs.
Bien sûr, certains hurleront à la théorie du complot alors que des précédents existent. Comment expliquent-ils par exemple ce qui s’est passé au RWANDA et ailleurs.
Dans une troisième et dernière partie, nous tenterons de décrypter le chaos qui s’annonce, sachant que ce type de situation pourrait convenir à certains comme le cas somalien tendrait à le montrer.
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