Les pays ouest-africains maintiennent la pression sur Laurent Gbagbo et envisagent un recours à la force pour le déloger
la-croix.com
Un mois et deux jours après le second tour de l’élection présidentielle ivoirienne, le vainqueur reconnu par la communauté internationale vit reclus dans un hôtel d’Abidjan, protégé par les militaires de l’ONU. Alassane Ouattara a nommé son gouvernement et son premier ministre, Guillaume Soro. Mais son rival, l’ancien président Laurent Gbagbo, qui ne veut pas sortir de son palais du Plateau, affirme toujours avoir gagné l’élection. L’affaire est embrouillée et prend en otage des millions de vies : celles des Ivoiriens, privés de travail et de ressources, barricadés chez eux, pour certains, dans la peur d’exactions ; celles des travailleurs étrangers, désignés à la vindicte populaire et menacés d’expulsions par la propagande diffusée sur la télévision publique.
Pour faire céder le président autoproclamé, la communauté internationale s’applique à manier la carotte et le bâton, entre menaces de sanctions et promesses d’amnisties en cas de départ volontaire de Laurent Gbagbo et de son entourage. « Gbagbo en a usé d’autres. On ne pourra le déloger que par la force », affirmait mercredi un électeur d’Alassane Ouattara, en référence aux huit années de négociations internationales qui ont conduit à l’élection présidentielle de novembre. « Un mois de gagné déjà ! Il reste encore quatre ans et onze mois au président Gbagbo avant la prochaine élection » notait, ironique, un de ses partisans.
« Les gens sont fatigués d’être complices d’une mascarade », résumait mercredi un religieux d’Abidjan. La remarque s’appliquait aux « jeunes patriotes » qui avaient renoncé la veille à manifester pour Laurent Gbagbo. Elle pourrait aussi concerner les ministres d’Alassane Ouattara, qui tentent de gouverner le pays depuis l’Hôtel du golf.
« Alassane Ouattara est maintenant le seul à pouvoir payer les factures »
Mohamed est fonctionnaire et vient de recevoir son salaire de décembre. Il avait des doutes sur la capacité de l’administration Gbagbo à régler ses factures, dès lors qu’Alassane Ouattara a reçu la signature de l’institut d’émission de la monnaie ouest-africaine (BCEAO). « Mon virement a bien été effectué sur mon compte par l’État via la BCEAO. Que se passera-t-il le mois prochain, je n’en sais rien. »
Joint par La Croix, le porte-parole du gouvernement Ouattara, Patrick Achi, explique : « Nous n’allions pas empêcher les gens d’être payés pour Noël. » Il dit par ailleurs comprendre le doute qui envahit certains des électeurs d’Alassane Ouattara : « Chaque fois que Gbagbo a eu affaire à la communauté internationale, il a réussi à s’en sortir. Cette fois, la situation est différente. Des élections ont eu lieu et nous les avons gagnées. Nous ne reculerons pas. Il ne s’en sortira pas. Mais il nous faut être patients. » Un observateur occidental résume : « Alassane Ouattara est maintenant le seul à pouvoir payer les factures. Mais il reste à définir les solutions pratiques pour qu’il le fasse… »
Depuis l’Hôtel du golf, le gouvernement Ouattara lance des appels à la mobilisation. Le 16 décembre, une marche pour la prise de la télévision publique s’est arrêtée à quelques centaines de mètres de l’hôtel, sous le feu des forces pro-Gbagbo. Une trentaine de personnes ont été tuées. Mohamed estime : « Quand on lance un mot d’ordre, il faut pouvoir affronter celui qui est en face. Ce n’était pas le cas. Ce jour-là, Ouattara a sans doute cédé à la tendance dure de ses partisans. Lui a toujours dit qu’il ne voulait pas s’installer au pouvoir dans un bain de sang. »
La grève générale est suivi de manière inégale
Cette semaine, l’appel du gouvernement Ouattara à la grève générale est suivi de manière inégale. « Le trafic routier est ralenti, car les transporteurs professionnels ne travaillent pas. Ce n’est pas forcément parce qu’ils font la grève. C’est souvent par crainte de voir leur outil de travail endommagé par des débordements qu’ils ont préféré laisser leurs camions ou leurs minibus au garage », remarque un entrepreneur d’Abidjan. De son côté, le ministre de la fonction publique d’Alassane Ouattara a menacé de sanctions, mardi, les fonctionnaires qui continueront de collaborer avec le régime d’en face.
Chacun des deux camps veut voir l’autre isolé : l’un le serait dans son hôtel, l’autre sur la scène internationale. Depuis vendredi dernier, ce sont les chefs d’État de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), sous la conduite du président nigérian Jonathan Goodluck, qui tentent de pousser Laurent Gbagbo au départ. Trois émissaires, les présidents du Sierra Leone, du Bénin et du Cap-Vert, étaient mardi à Abidjan. L’organisation ouest-africaine a brandi la menace de recourir à la « force légitime » pour faire accepter à Laurent Gbagbo qu’Alassane Ouattara est le président, « un statut non négociable ». Ils reviendront à Abidjan lundi prochain.
Négociations difficiles
Pour le camp Ouattara, la négociation ne peut porter que sur les conditions du départ de Laurent Gbagbo. Pour le camp d’en face, toute discussion est utile, surtout si elle dure. Comme gage de bonne volonté aux trois émissaires africains, le chef des « jeunes patriotes », Charles Blé Goudé, a « reporté » son meeting prévu mercredi, mais en précisant que « leur coup d’État électoral ne passera jamais ».
Pendant ce temps, dans les quartiers pro-Gbagbo comme Yopougon, on rapporte que « des jeunes patriotes s’entraînent physiquement chaque matin dans l’attente d’une mobilisation. »
« Les électeurs de Gbagbo brandissent la souveraineté nationale et l’ingérence extérieure, slogans martelés en boucle par la télévision publique, le seul média d’informations disponible, résume le religieux. La communauté internationale est accusée de négliger les atrocités commises dans le passé par les rebelles et qui rendent impossibles, à leurs yeux, l’arrivée d’Alassane au pouvoir. »
« Trêve des confiseurs »
Dans les quartiers pro-Ouattara, comme Abobo, on s’est maintenant organisé. Des vigiles font des rondes, avec sifflets et casseroles, s’ils repèrent des « jeunes patriotes » ou des miliciens étrangers. Les femmes et les enfants ont été envoyés dans leurs familles, à l’extérieur d’Abidjan, pour ceux qui en avaient les moyens.
Un expert militaire estime qu’Abidjan vit, en cette fin d’année, « une trêve des confiseurs ». « Tout semble s’effriter doucement, l’agressivité comme la mobilisation. » Pour l’observateur, « sans la menace d’une intervention rapide, on risque de s’enliser dans une situation intenable. Cela fait plusieurs semaines que l’activité économique tourne au ralenti. Les prix de la viande, du sucre, du riz ont doublé sur les marchés. »
Mercredi, les chefs d’état-major des pays de la Cedeao se sont réunis à Abuja, la capitale nigériane. Une possible « intervention rapide », pilotée depuis la Cedeao, ne rassure pas forcément grand monde à Abidjan.
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