Côte d’Ivoire: La France s’engage (Reportage Paris Match) «Si les troupes de Gbagbo pénètrent le Golf, ce sera une déclaration de guerre à la France»

Ambassadeur de France

Alors que Laurent Gbagbo refuse de quitter le pouvoir, nous avons accompagné notre ambassadeur dans le QG assiégé d’Alassane Ouattara.

De notre envoyé spécial en Côte d’Ivoire Patrick Forestier – Paris Match

La turbine du vieil hélicoptère MI-8 blanc de l’Onu démarre dans un bruit de ferraille. Aux commandes, un pilote ghanéen souriant. « Le vol durera dix minutes, assure-t-il. En cas de problème, suivez les instructions du mécanicien qui aura ouvert les portes. » Notre itinéraire passe au-dessus de la lagune d’Abidjan, peuplée de varans. Quant aux crocodiles, m’a-t-on dit, ils ne seraient pas méchants. Un détail qui a son importance en cas d’amerrissage.

L’ambassadeur de France, lui, n’en a cure. Il en a vu d’autres. Depuis le Tchad et l’opération Manta, je croise Jean-Marc Simon sur le continent africain depuis près de trente ans. Révolutions, coups d’Etat, émeutes, guerres, à Bangui, Libreville, N’Djamena, il a traversé des moments difficiles. Il était même consul général à Beyrouth sous les obus syriens qui bombardaient le réduit chrétien du général Aoun. Assis sur un strapontin, les oreilles couvertes par un casque antibruit, M. Simon mène aujourd’hui une nouvelle mission. La France soutenant le président Alassane Ouattara, et non pas son rival Laurent Gbagbo qui refuse de quitter son palais, l’ambassadeur est chargé de porter un message de la République française au nouveau chef de l’Etat, reclus dans un hôtel assiégé par les forces de sécurité ­ivoiriennes.

Le chef de l’Etat reclus avec ses ministres à l’hôtel du Golf

Voilà près d’un mois que la Côte d’Ivoire vit avec deux présidents, deux Premiers ministres et deux gouvernements. Sur le ­papier. Puisque, en fait, le gagnant de la présidentielle, reconnu par la communauté internationale, est enfermé avec ses ministres à l’hôtel du Golf. Presque tous les jours, Jean-Marc ­Simon rend visite à la « légalité », c’est-à-dire la « République du Golfe », comme l’appellent en se moquant les partisans de Gbagbo.

Le 16 décembre, les partisans de Ouattara marchent sur le siège de la télévision. Ils n’y arriveront jamais. Lourd bilan : une soixantaine de morts. Partis de l’hôtel du Golf, des manifestants tentent à leur tour une percée. Au carrefour de la résidence de Mme Houphouët-Boigny, des coups de feu éclatent entre les Forces nouvelles et l’armée. Le partisan d’Alassane Ouattara, qui marchait en tête est fauché par une balle. Depuis, l’accès de l’hôtel est coupé. La veille, l’ambassadeur français s’y est rendu avec sa voiture officielle, drapeau ­tricolore sur les ailes. « On pouvait passer. C’est calme », annoncent au retour les soldats de Ouattara aux gardes du corps français. Quand la limousine est au milieu du no man’s land, les rafales recommencent. L’ambassadeur se retrouve au milieu de la fusillade. Après cela, les gendarmes qui le protègent hésitent à l’exposer de nouveau.

Aussi, aujourd’hui, c’est dans un hélicoptère de l’Onu que Jean-Marc Simon ­rejoint le camp retranché. La majorité des 800 Casques bleus déployés autour de l’hôtel sont musulmans. Comme beaucoup de rebelles, selon l’appellation des sbires de l’autre camp. Tous commencent à manquer de nourriture et d’eau. Un convoi des Nations unies a été empêché, cet après-midi, de passer par un barrage. L’appareil se pose sur le gazon d’un ancien terrain de golf. Des blindés blancs de l’Onuci, les Nations unies en Côte d’Ivoire, pointent leurs canons vers la lagune au cas où des commandos de Gbagbo tenteraient un débarquement. Derrière des sacs de sable, des Casques bleus jordaniens se demandent ce qu’ils font dans cette galère.

Le chef de ­cabinet du candidat, Henri Konan Bédié, un ancien chef de l’Etat qui a permis la victoire de Ouattara en appelant à voter pour lui au second tour, attend notre arrivée. Le fonctionnaire, ­affable, affiche un visage fatigué. Plus loin, sous un kiosque autrefois ­réservé aux golfeurs, des soldats des Forces nouvelles, fidèles à ADO, le ­diminutif d’Alassane Ouattara, sont accroupis, en prière. De longues tentes en plastique blanc abritent les dortoirs des Casques bleus venus en renfort. Une autre est réservée au Conseil des ministres qui n’a, jusqu’ici, guère de prise sur l’administration. Soldats désœuvrés et ­militants inquiets sont appuyés contre les murs de l’hôtel archicomplet. L’immense hall, jadis rempli d’une foule de sympathisants, est quasi désert. Il est désormais interdit et dangereux de venir ici. Pour mieux s’organiser, les nouvelles ­autorités ont instauré un semblant de discipline, après l’euphorie de la victoire qui tourne en un bras de fer cauchemardesque. Dehors, le parking est plein de voitures qui appartiennent aux reclus de l’hôtel, pris au piège après le coup d’Etat constitutionnel du président sortant.

«Si les troupes de l’armée ivoirienne pénètrent, ce sera une déclaration de guerre à la France»

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Reuters par DR Charles Ble Goude (R) talks with pro-Gbagbo's western militia chief Maho Glofiehi

Le 16 décembre, les forces de sécurité ont tiré sur la foule. Des éléments de l’unité d’élite de la gendarmerie, formée par le GIGN, ont réussi à s’infiltrer jusqu’à l’hôtel à travers les bois. Juste avant que l’assaut soit donné, les commandos français des opérations spéciales, présents dans l’hôtel, ont prévenu l’état-major de ­Licorne, la force française basée à Port-Bouët, de l’autre côté de la ­lagune. Grâce à un coup de téléphone du général qui la commande au chef d’état-­major de l’armée ivoirienne, le pire a été évité. « Si vos troupes pénètrent dans l’hôtel, ce sera une déclaration de guerre à la France », aurait lancé l’officier français au général ivoirien. Des troupes tricolores sont en effet placées sous mandat de l’Onu, en soutien aux Casques bleus qui ont pour mission de protéger Alassane Ouattara.

A l’entrée du couloir « présidentiel », deux Casques bleus montent la garde, à côté des soldats des Forces nouvelles en treillis camouflage. Une chambre fait office de salon. C’est là qu’Henri Konan Bédié reçoit l’ambassadeur de France. Un petit poste de télévision diffuse France 24, probablement grâce à l’antenne satellitaire de l’hôtel. Ailleurs, elle est ­interdite, comme Radio France ­Internationale et toutes les autres ­télés et radios françaises, coupables aux yeux du régime de Gbagbo de ­divulguer de « fausses informations ». « C’est ­incroyable de nous retenir ici. On a affaire à une vraie dictature », peste un fonctionnaire du gouvernement en exil intérieur. « La nuit, poursuit l’Ivoirien, ils nous disent : “On va vous bombarder au mortier à 4 heures du matin.” Ils veulent nous faire craquer mais ils n’y arriveront pas. »

Alors que la chaleur et l’humidité règnent dehors, l’air est plutôt frais à l’intérieur du bâtiment. « Heureusement, me souffle un autre reclus, la climatisation centrale fonctionne. » Jusqu’à présent, le « gouvernement » a réussi à sécuriser l’électricité. Alassane Ouattara reçoit en boubou traditionnel bleu clair. Il refuse toute photo, probablement humiliante dans la situation où il se trouve. Ex-Premier ministre, ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international, le chef de l’Etat souhaiterait se montrer là où il estime être sa place : dans le palais présidentiel, toujours occupé par son rival. « Cette situation est inadmissible », me dit Guillaume Soro, son Premier ministre qui, avant les élections, était celui de Gbagbo.

Une situation qui risque de ­durer encore longtemps. Comme il le fait depuis dix ans, Laurent Gbagbo souffle le chaud et le froid en pratiquant une stratégie d’évitement qui désarçonne ses adversaires. Les troupes de l’Onu et l’hôtel du Golf sont aujourd’hui sa priorité. Après quarante-huit heures d’hésitation, il semble vouloir éviter l’affrontement direct avec les Casques bleus, qui risquerait d’entraîner une riposte frontale de la communauté internationale, en premier lieu des troupes françaises. « Cette fois-ci, elles ne s’arrêteront pas aux grilles de la présidence, estime un diplomate. Contrairement à 2004, elles ne ­seront pas prises de court. Escadron blindé, forces spéciales et gendarmes mobiles sont prêts pour l’action. »

«On ne se laissera plus piller comme en 2004»

Ce sont des patriotes, des jeunes désœuvrés, souvent payés pour manifester, qui risquent de s’opposer aux Casques bleus. « Comment empêcher 5 000 personnes désarmées de pénétrer dans l’hôtel, ou comment le ravitailler s’ils se couchent sur la route en travers des blindés de l’Onu ? » ­demande un expatrié, resté malgré la menace qui pèse sur les Français. Une bonne partie est rentrée pour les fêtes de Noël et, en pleine récolte du cacao, certains ne peuvent pas s’absenter trop longtemps. D’autres ont choisi de protéger leur entreprise. « On ne se laissera plus piller comme en 2004 », me dit un Français de la Zone 4.

Acheter une arme n’est pas difficile à Abidjan. Il faut environ 700 euros pour une kalachnikov et une boîte de cartouches. Le chiffre d’affaires des sociétés de gardiennage a explosé. Après quinze ans de Légion, Frédéric Lafont est à la tête de la plus importante compagnie de sécurité privée du pays. Ce protestant atypique, fils de médecin, a bâti en quelques années un petit empire en Afrique, qui comprend une compagnie d’aviation, des hôtels, des bars et des restaurants, près d’une trentaine de sociétés. Pendant les émeutes de 2004, avec son colt, il a fait huit prisonniers qui avaient franchi son mur d’enceinte. « J’avais seulement 17 cartouches, dont la moitié était périmée », dit-il en souriant. Aujourd’hui, c’est avec un Glock, un automatique dernier cri, qu’il va chercher ses clients en difficulté.

En une semaine, lui et ses hommes ont évacué vers l’aéroport une soixantaine d’expatriés, pris au piège chez eux par une foule en colère. La télévision ne distille-t-elle pas, tous les jours, l’idée que la France est la source de tous les maux de la Côte d’Ivoire ? Plus grave encore est le ­discours haineux que les médias pro-Gbagbo, c’est-à-dire presque tous, déversent sur les partisans de Ouattara. Des cadavres de ses partisans sont retrouvés le matin dans les quartiers. On parle désormais à Abidjan d’escadrons de la mort, et le spectre du Rwanda commence à ­effrayer la population.

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