Côte d’Ivoire – Intellectuels et Naufrage de l’intelligence

Lu sur Rue89.fr

Un appel d’intellectuels contre les « va-t-en guerre »

Alors que s’achevait mardi la mission de trois chefs d’Etat africains à Abidjan, prélude à une possible intervention militaire africaine contre Laurent Gbagbo, un appel à éviter une action armée a été lancé par plusieurs dizaines d’intellectuels et artistes européens et africains. Dans la liste, se trouvent des amis fidèles de Laurent Gbagbo, comme l’ex-« Monsieur Afrique » du PS Guy Labertit, ou l’ex-député suisse Jean Ziegler, mais aussi des écrivains comme Calixthe Beyala, cinéastes comme Med Hondo, ou l’ancien Secrétaire Général d’Amnesty International, le Sénégalais Pierre Sané.

Nous reproduisons cet appel, une pièce de plus dans le dossier complexe de la tragédie post-électorale ivoirienne.

« Profondément convaincus qu’une intervention militaire en Côte d’Ivoire serait de nature à aggraver une situation qui est suffisamment tragique, et plongera à coup sûr le pays et la sous- région dans la tourmente, les signataires de la présente lettre ouverte en appellent aux opinions publiques de toutes les nations et aux gouvernements de tous les pays épris de démocratie, de paix et de liberté, afin d’enrayer la menace de guerre qui plane sur ce pays.

Dans le cas hypothétique où en dépit du bon sens et après une dizaine d’années de crise armée et de partition, la menace d’intervention armée serait mise à exécution -peu importe par une force impérialiste étrangère classique ou par une coalition africaine- celle-ci ne serait guère que le premier acte d’un enchaînement de violences, de carnages et de massacres appelé à bouleverser l’Afrique de l’Ouest toute entière. C’est la raison pour laquelle nous, intellectuels africains et occidentaux, sommes fondés de dire “ Non ! ” à toutes les logiques médiatiques, militaires et politiques qui conduiront à coup sûr une nouvelle fois à un désastre en Afrique .

Cinquante ans après les Indépendances, faut- il ajouter un nouveau corps expéditionnaire aux 1000 hommes de la force Licorne française, et aux 9OOO de l’ONUCI ? On n’ose imaginer une intervention française directe, comme en 2004, qui mettrait en danger les 15000 ressortissants français de Côte d’Ivoire : les gouvernants actuels, à Paris, en seront tenus personnellement responsables !

A-t-on besoin de “ nouveaux tirailleurs ” ouest africains, quant on sait que la plupart de ces pays sont- comme les instances internationales- qu’il s’agisse de l’ONU ou des organisations africaines – perméables aux manipulations de Paris, de Washington ou de quelque puissance extérieure ? Quant les désastreuses interventions de l’ECOMOG, bras armé de la CEDEAO, se sont traduites au Libéria et en Sierra Leone par des massacres de civils et des pillages en tout genre, sans parler de l’expérience tragique des Casques bleus de l’ONU au Congo de Patrice Lumumba en 1960 ? On en connaît hélas la suite !

L’histoire de l’Afrique de l’Ouest et de la Côte d’Ivoire montre qu’une telle intervention à Abidjan se traduirait par une résistance civile et des actions sanglantes devant une armée d’occupation ; puis certainement des massacres urbains entre ivoiriens et étrangers, qui gagnerait l’ensemble du territoire dans des combats fratricides : l’horreur du Rwanda devrait elle recommencer sous nos yeux par l’irresponsabilité illimitée des marchands de canons et des impérialismes d’un autre âge ? Pour nous, c’est clair : ni l’intervention militaire ni la guerre civile et les bains de sang prévisibles ne constituent des fatalités en Côte d’Ivoire ou ailleurs.

Une autre issue est possible, en effet, pour les démocrates qui mesurent de manière lucide et responsable les enjeux de principes de Liberté, de démocratie et d’éthique dont se charge la crise ivoirienne, et les rares intellectuels qui n’ont pas peur de prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leur propre conscience d’abord, ensuite vis-à-vis des autres. Il est donc question, ici et maintenant, d’aller à contre- courant du lynchage médiatique de la Côte d’Ivoire et des appels au meurtre des va-t-en guerre et des boutefeux, et s’engager résolument pour la Paix et non pour la Guerre !

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Un des signataires Théophile Kouamouo (Journaliste)

Dès lors, aucune initiative ne devrait être négligée ni dénigrée, encore moins suspectée. C’est la raison pour laquelle nous appuyons inconditionnellement tous les pas pratiques en direction du dialogue et de l’apaisement en Côte d’Ivoire. Depuis les propositions et les formules des médiateurs extérieurs pour des négociations directes et/ou indirectes entre les principaux protagonistes, jusqu’aux interventions des artistes et des écrivains, des poètes et des musiciens, des Eglises et mouvements religieux ; des autorités traditionnelles et coutumières, des Organisations des droits de l’homme et de la société civile, etc., sans oublier les actions des parlementaires et sénateurs, des syndicalistes et des associations civiles et professionnelles des villes et des campagnes, de l’industrie et du
commerce, des cadres, de professeurs d’Université, des avocats et professions libérales, pour ne citer que ceux-là. Toutes ces formes de pacification doivent être essayées et encouragées !

Intellectuels et artistes, hommes de culture et de science d’Afrique, d’Occident et du Monde, mobilisons-nous pour inventer une solution pacifique à la crise post-électorale en Côte d’Ivoire, refusons les prétextes aux ingérences et interventions extérieures ! »

Un collectif d’intellectuels et citoyens engagés d’Afrique, d’Occident et du monde.

PREMIERS SIGNATAIRES :

MICHEL GALY (Politologue, Paris), Pierre SANE (ancien Secrétaire Général d’Amnesty International, ancien Sous-Directeur Général de l’UNESCO), Prof. J. LO BIANCO, President, Australian Academy of the Humanities, The University of Melbourne, Australie ; CALIXTHE BEYALA (écrivain, Paris), Med HONDO, Cinéaste, Nouakchott ; JEAN ZIEGLER (Sociologue, Suisse), THEOPHILE KOUAMOUO (PHOTO-journaliste, Abidjan), Prof. MALICK NDIAYE, (Sociologue, Université Cheikh Anta Diop de Dakar) ; DENIS PRYEN (éditeur, Directeur Général L’Harmattan, Paris), ALBERT
BOURGI (Professeur de Droit, Paris), TIENDREBEOGO NORBERT MICHEL (député, Burkina Faso), GUY LABERTIT(ancien délégué Afrique du PS, Vitry), LILIANE BRIDJI(journaliste, Abidjan), FRANCOISE CAUJOLLE (philosophe, Toulouse), Christian M. ZOHOCON ( président des « amis de Présence Africaine », Grenoble), DIDIER MAGNIN (Grenoble) ,Amath DANSOKHO, Journaliste, Dakar ; Professeur Abeje BERHANU (University of Addis-Ababa, Ethiopie ) ; Paris ; Me HAMZA PATRICIA (Avocate, Abidjan) ; PAULINH DJITE ( chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques, Sydney, Australie) ; Prof Laure Clémence CAPO-CHICHI( Université d’Abomey-Calavi, Cotonou) ; Dr. SAMUEL HAKIZIMANA (Rwanda ) ; CHARLES S. AKIBODE( historien, Praia, Cap-Vert) ; Prof ESSE AMOUZOU (Togo) ; YVES LODONOU( Journaliste, Togo) ; Prof BENOIT AWAZU MBAMBI KUNGUA (Cameroun ) ; Me SYLVAIN D. TAPI (avocat, Bruxelles) ; M. MILANDOU GERARD (président UFR, Congo Brazzaville ) ; JEAN-PIERRE KESANDE (AIPE LUMUMBA, R D Congo) ; François MANGA-AKOA, (Analyste politique, Cameroun), Me ZOKOU SERI (avocat, Bruxelles), Prof. DJIBY DIAKHATE, Sociologue, Dakar, VICTOR ACHY, Directeur d’Abidjan-sur-Seine, Paris.

Titre de la Rédaction: J-ci.net

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