CÔTE D’IVOIRE: La mission impossible des Nations Unies ?

ABIDJAN, 27 décembre 2010 (IRIN) – Pendant la tourmente postélectorale en Côte d’Ivoire, avec deux camps politiques revendiquant le pouvoir, et la crainte généralisée d’une reprise de la guerre, l’opération des Nations Unies dans le pays se trouve sous les projecteurs, et dernièrement – littéralement – dans la ligne de tir.

Depuis qu’une mission des Nations Unies est arrivée dans le pays en 2004, les Nations Unies ont observé et soutenu les efforts de paix alors que plusieurs accords sont restés lettre morte; avant l’élection présidentielle du 28 novembre un certain nombre de taches restaient inaccomplies, comme le désarmement et le déploiement de l’administration civile dans le nord, sous contrôle des rebelles.

Et maintenant l’appui ferme du Conseil de sécurité des Nations Unies à Alassane Ouattara, comme vainqueur de l’élection, a déclenché une réplique féroce des supporters de Laurent Gbagbo, président en exercice et rival de M. Ouattara.

Les hostilités vis-à-vis des Nations Unies se sont intensifiées alors que la pression internationale demandant à M. Gbagbo de partir augmentait. Lors d’une intervention le 18 décembre à la télévision nationale (toujours sous contrôle de l’administration de M. Gbagbo), une porte-parole de M. Gbagbo a annoncé que les Nations Unies, travaillant avec l’armée française, avaient « fait preuve d’ingérence grave dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire », et que les deux forces devaient quitter immédiatement le pays.

M. Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies, a rejeté cet appel, soulignant que « L’ONUCI remplira son mandat et continuera à surveiller et à enregistrer toutes les violations des droits de l’homme, les incitations à la haine et à la violence, ou les attaques contre les Casques bleus ». Le 20 décembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a prolongé l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) de six mois. Le Secrétaire général à dénoncé un incident récent au cours duquel des hommes revêtus d’uniformes militaires ont tiré sur des forces des Nations Unies ; l’armée ivoirienne soutient officiellement M. Gbagbo.

Bien que le désaccord actuel entre Laurent Gbagbo et les Nations Unies soit nettement plus remarquable que dans le passé, le dédain affiché de M. Gbagbo et de ses partisans envers l’opération des Nations Unies n’est pas nouveau ; il a plusieurs fois accusé l’organisme d’empiéter sur la souveraineté ivoirienne et il a réclamé depuis plusieurs années le départ de responsables de haut niveau des Nations Unies.

Au sujet des accusations de partialité des Nations Unies portées par le camp Gbagbo lors de la dispute concernant les élections actuelles, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire, Y J Choi, a récemment déclaré au cours d’une conférence de presse qu’ « une partie pense à tort que l’ONUCI refuse délibérément de l’aider avec sa force militaire. L’autre camp dit également à tort que l’ONUCI aide secrètement le camp opposé sur le plan militaire».

Pourquoi y a-t-il une mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire ?

Le tout premier coup d’état en Côte d’Ivoire en décembre 1999 et la violence qui a marqué les élections en octobre 2000 ont soulevé des inquiétudes au sein de la communauté internationale au sujet de ce bastion de prospérité et de stabilité dans la région. Un coup d’état manqué en septembre 2002 et l’insurrection qui a suivi s’est rapidement transformé en crise régionale. Mais les Nations Unies ont gardé un profil assez bas, jouant un rôle moins important alors que la France et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont mené les initiatives à la fois diplomatiques et militaires.

Après la signature d’un accord de paix connu comme l’accord de Linas-Marcoussis, le Conseil de sécurité des Nations Unies a nommé en février 2003 le premier Envoyé spécial des Nations Unies en Côte d’Ivoire, le poste revenant au Béninois Albert Tévoédjrè, politicien chevronné et universitaire.

En mai 2003, le Conseil de sécurité des Nations Unies est allé plus loin, établissant la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire (MINUCI), initialement pour six mois, avec pour mandat de « faciliter la mise en œuvre par les parties ivoiriennes de l’Accord de Linas-Marcoussis’aider », De contribuer à la planification du désarmement et de surveiller les violations des droits de l’homme.

Les rebelles des « Forces Nouvelles » (FN) et le gouvernement Gbagbo avaient apparemment bien accueilli la présence des Nations Unies, M. Gbagbo écrivant une lettre au Secrétaire général en novembre 2003 demandant une mission complète de maintien de la paix. La Résolution 1528 de mars 2004 a créé l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (l’ONUCI), dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, en demandant plus de 6 240 membres du personnel. L’autorité sur la MINUCI et la CEDEAO fut transférée à l’ONUCI.

Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la Côte d’Ivoire

Quel est le mandat de l’ONUCI ?

Alors que les résolutions soulignaient invariablement que c’était aux parties ivoiriennes de mettre en œuvre les accords de paix, l’ONUCI s’est vue confier par le Conseil de sécurité les missions suivantes, entre autres :

– Observer et surveiller les accords de cessez-le-feu et les mouvements des groupes armés ;
– Contribuer au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des anciens combattants ;
– Assurer que l’identification et l’inscription des électeurs se déroulent dans des conditions de sécurité ;
– Aider à la réforme du secteur de la sécurité ;
– Protéger le personnel des Nations Unies, les institutions et les civils;
– Surveiller l’embargo sur les armes ;
– Soutenir l’assistance humanitaire ;
– Fournir une assistance aux droits de l’homme.

Après la signature de l’accord de paix de Ouagadougou, négocié par le président Burkinabé Blaise Compaoré en mars 2007, les Nations Unies se sont impliquées dans les efforts pour unifier le pays, soutenant le déploiement des fonctionnaires dans le nord contrôlé par les rebelles.

Quelle est la taille actuelle de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire ?

En novembre 2010, la présence de l’ONUCI se montait à 9 105 membres du personnel en uniforme, incluant 7 576 Casques bleus, 193 observateurs militaires et 1 336 policiers. En plus de cela, la mission comprenait 383 salariés civils internationaux, 783 salariés locaux, et 267 bénévoles des Nations Unies.

L’ONUCI comprend des services spéciaux pour les droits de l’homme, les affaires juridiques et politiques, le désarmement, la protection des femmes et des enfants. La mission possède également sa propre station de radio, ONUCI-FM, qui a un nombre important d’auditeurs tant à Abidjan que dans le pays.

Avec les violences postélectorales, l’ONUCI et d’autres agences des Nations Unies ont récemment évacué des centaines de salariés non-essentiels.

Est-ce que les Casques bleus des Nations Unies en Côte d’Ivoire sont autorisés à utiliser la force ?

Créée sous le Chapitre VII des la Charte des Nations Unies, l’ONUCI- si elle juge que les autres mesures comme les sanctions économiques ou l’interruption des communications sont inadéquates pour arrêter les agressions/maintenir la paix – peut entreprendre « au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’elle juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies ».

Que représente la présence militaire française en Côte d’Ivoire ?

Un accord mutuel de défense signé en 1961 par la Côte d’Ivoire et la France permet le maintien d’une présence militaire française, avec le 43e Bataillon d’infanterie de marine stationné à Port-Bouët, dans la banlieue sud d’Abidjan. La crise de septembre 2002 a entraîné un engagement plus marqué de la France, avec le déploiement de la force Licorne, qui a aidé à mettre fin à une percée rebelle dans le sud. Mais en novembre 2004, les forces armées ivoiriennes ont lancé une offensive dans le nord, tuant neuf soldats français lors d’un raid aérien sur une base militaire française. Les représailles rapides de la France, détruisant des avions militaires ivoiriens, ont déclenché une vague de protestations anti-françaises à Abidjan et dans d’autres endroits, et une série d’épreuves de force entre les soldats français et les manifestants, au cours desquelles plus de 50 civils ont été tués.

La force Licorne a actuellement 900 hommes prêts au combat, elle est mandatée pour opérer en soutien de l’ONUCI, tout en ayant aussi le droit de protéger les ressortissants français et d’autres citoyens.

Quel rôle ont joué les Nations Unies lors des élections ?

Les Nations Unies ont systématiquement fait pression pour des élections libres et justes, dans des rapports d’avancement successifs notant les retards des inscriptions sur les listes électorales et dans d’autres mesures préparatoires clés.

En avril 2006, le Secrétaire général des Nations Unies, à l’époque, Kofi Annan a nommé le suisse Gérard Stoudmann Haut Représentant des Nations Unies pour les élections, remplaçant le diplomate portugais Antonio Monteiro. Mais après des protestations émises par le président Laurent Gbagbo, le Conseil de sécurité des Nations Unies a supprimé le poste, disant que le Représentant spécial du Secrétaire général en Côte d’Ivoire « certifiera que tous les stades du processus électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielle et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément aux normes internationales, et prie le Secrétaire général de prendre toutes les dispositions nécessaires afin que le Représentant spécial dispose d’une cellule d’appui lui fournissant toute l’assistance requise pour pouvoir s’acquitter de cette mission ».

La Division Electorale de l’ONUCI a été mandatée pour travailler étroitement avec les autorités électorales reconnues et les organisations internationales jusqu’à l’annonce des résultats. La Division a 16 bureaux électoraux régionaux à travers le pays, mandatés pour donner des conseils et une assistance technique aux 430 commissions électorales locales.

Quelles sanctions ont imposé les Nations Unies ?

Depuis le début du conflit ivoirien en septembre 2002, les Nations Unies s’intéressent activement à la surveillance du trafic d’armes et du recrutement de mercenaires. Plus tard, les Nations Unies ont imposé un embargo sur les exportations de diamants provenant de la Côte d’Ivoire et un embargo militaire. Après l’offensive déjouée du gouvernement en novembre 2004, le Conseil de sécurité des Nations Unies a également demandé des sanctions, le gel de comptes bancaires et des interdictions de voyager, pour des individus « qui constituent une menace pour la paix et pour le processus de réconciliation nationale ». Un Groupe d’experts a été formé sous les auspices des Nations Unies pour surveiller la mise en œuvre des sanctions, mais son travail a été rendu difficile tant par les rebelles que par le gouvernement Gbagbo.

Pourquoi les Nations Unies sont-elles brouillées avec M. Gbagbo ?

Alors que la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL) est arrivée dans le cadre d’un conflit achevé et d’un besoin urgent de reconstruction à tous les niveaux, l’ONUCI est arrivée en Côte d’Ivoire avec un pays divisé et un processus de paix peu convaincant en marche. En tant que locomotive économique régionale, avec de solides institutions étatiques, il ne pouvait pas y avoir une reddition de souveraineté similaire à celle qui s’est produite au Liberia, particulièrement avec un gouvernement convaincu d’être attaqué par des puissances étrangères (le Burkina Faso et la France). Des hauts responsables de l’ONUCI se sont plaints depuis le début d’un manque de coopération du gouvernement, et Laurent Gbagbo a fait peu d’effort pour cacher sa défiance vis-à-vis de Pierre Schori, alors Représentant spécial des Nations Unies, et d’autres personnes, dont il pensait qu’elles assumaient des rôles au-delà de leurs fonctions.

Les Nations Unies ont ouvertement critiqué l’offensive du gouvernement en novembre 2004, et se sont aussi inquiétées des excès des médias d’Etat et de l’utilisation d’une propagande incendiaire. Quelque soient les critiques exprimées par les Nations Unies sur la conduite des rebelles, elles étaient éclipsées par les critiques dirigées vers les personnes loyales à M. Gbagbo.

Le gouvernement a montré peu d’intérêt pour combattre la désinformation ou mettre fin aux manifestations dans les rues. Lorsque le Groupe de travail international (GTI), dont les Nations Unies sont un membre clé, a été accusé de vouloir suspendre le Parlement en janvier 2006, les biens et le personnel des Nations Unies ont été attaqués lors d’une vague de protestations à Abidjan et dans d’autres endroits dans le pays.

mm/cs/np – sk/amz

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