Notre correspondant dans la capitale ivoirienne a accompagné une patrouille de l’Onuci (Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire), menacée dans sa mission au quotidien
A la veille de Noël, une patrouille de l’Onuci effectue sa tournée quotidienne dans Adjamé, un quartier populaire d’Abidjan à majorité pro-Ouattara. Après seulement quelques minutes, les huit casques bleus qui composent la patrouille sont pris à partie, à plusieurs reprises, par des supporteurs de Laurent Gbagbo. Quelques insultes et provocations fusent. « On ne vous a pas déjà dit de partir du pays ? » lance un homme, croisé au volant de sa voiture. Un garçon d’une vingtaine d’années crie, furieux : « C’est la guerre ou la paix que voulez en Côte d’Ivoire ? »
Depuis que Laurent Gbagbo a exigé, il y a une semaine, le départ de l’ONU du territoire ivoirien – demande aussitôt refusée par le Conseil de sécurité – les 9000 membres de la force onusienne présents en Côte d’Ivoire sont devenus la cible directe de la surenchère nationaliste, menée par le camp du président sortant.
Une campagne négative, relayée chaque jour par la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI), la télévision d’État acquise à Laurent Gbagbo. Ce dernier accuse l’ONU, qui a certifié et reconnu la victoire d’Alassane Ouattara, de prendre parti dans le conflit qui l’oppose à son rival.
Une animosité croissante, qui risque parfois de mal tourner
Il lui reproche notamment d’avoir dépêché quelque 800 casques bleus pour sécuriser l’hôtel du Golf, établissement confortable d’Abidjan, où Ouattara s’est vu forcer d’installer son administration et son gouvernement parallèle.
« Les insultes et les menaces sont devenues quotidiennes », raconte Amadou Bachirou, porte-parole de la branche militaire de l’Onuci, et qui suit, ce jour-là, la patrouille. « Quelques personnes nous applaudissent, notamment les femmes, souvent plus expressives. Mais même dans les quartiers pro-Ouattara, les gens ont peur de montrer qu’ils nous soutiennent. Ils craignent des représailles. »
Une animosité croissante, qui risque parfois de mal tourner. Alors que la patrouille est à l’arrêt dans une rue étroite, bloquée par un embouteillage, une poignée de jeunes hommes attrapent une table en bois qu’ils déposent devant le pick-up des casques bleus. La négociation ne donne rien. Une petite assemblée de supporteurs pro-Gbagbo se forme rapidement et empêche les troupes de l’ONU d’avancer. Des jeunes filles se joignent à eux et entonnent l’Abidjannaise, l’hymne national ivoirien. Craignant toute confrontation, la patrouille préfère rebrousser chemin, sous les applaudissements des supporteurs du président sortant.
«On nous dit juste : “Vous ne pouvez pas y aller”»
La scène n’est pas isolée. Les casques bleus font aussi face à de nombreux barrages installés par les forces de sécurité proches de Laurent Gbagbo. Des barrages de fortune, faits le plus souvent de tables et de morceaux de bois, mais gardés par plusieurs hommes armés.
« La descente sur le terrain s’avère de plus en plus difficile, dans la mesure où le personnel de l’Onuci fait l’objet de blocage de toutes sortes en ce qui concerne notre liberté de mouvement », expliquait récemment Simon Munzu, directeur de la division des droits de l’homme de l’Onuci.
« À chaque fois, c’est la même chose : on ne nous donne aucune raison. On nous dit juste : “Vous ne pouvez pas y aller”, c’est tout, rapporte-t-il. Les barrages sont tenus par les “Forces de sécurité et de défense” (FDS, proches de Gbagbo), accompagnées d’hommes armés encagoulés, et parfois de civils, dont des enfants, qui seront considérés comme des dommages collatéraux si on essaie de forcer pour passer. Alors, on fait demi-tour. »
De jeunes gens armés aux domiciles des personnels des Nations unies
Les FDS ont bloqué pendant quelques jours l’accès à l’hôtel du Golf, empêchant l’ONU d’effectuer tout ravitaillement en produits alimentaires ou en médicaments aux membres du camp d’Alassane Ouattara, contraints d’y vivre jour et nuit. En fin de semaine dernière, ces barrages ont été allégés.
Mais pour l’ONU, les tentatives de harcèlement sont devenues le quotidien. Des stations-service refusent de ravitailler ses voitures et ses hélicoptères en essence. Ses patrouilles de police sont régulièrement suivies par des hommes armés et non identifiés. Dans la nuit du 17 au 18 décembre, six hommes habillés en tenue militaire ont tiré sur la façade du quartier général de l’ONU à Abidjan, obligeant la sentinelle à riposter. Personne n’a été blessé.
Pour le personnel onusien, les intimidations se poursuivent après le service. Young-Jin Choi a accusé directement le camp de Gbagbo d’envoyer « de jeunes gens armés aux domiciles des personnels des Nations unies pour frapper à leur porte et demander la date de leur départ, ou pour y effectuer des fouilles sous prétexte de chercher des armes. »
«Les vendeuses refusent souvent de nous vendre à manger»
Un harcèlement auquel participe, contrainte ou forcée, la population. « Dans nos quartiers, tout le monde sait que l’on travaille à l’ONU, confie Amadou Bachirou. Même quand on est en tenue civile, les vendeuses au marché refusent souvent de nous vendre à manger. Et quand elles acceptent, elles sont victimes de lynchages ou voient leurs boutiques saccagées. »
Dans ces conditions, les Nations unies se disent de plus en plus incapables d’accomplir leur mandat de maintien de la paix en Côte d’Ivoire : à savoir protéger les civils et enquêter sur les multiples exactions qu’on lui rapporte.
« On reçoit chaque jour de nombreux coups de fils : des personnes dénoncent des crimes, des enlèvements. Mais souvent, on ne peut pas accéder à ces zones », déplore Amadou Bachirou. Ainsi, l’ONU est aujourd’hui dans l’incapacité de vérifier les rumeurs persistantes faisant état de l’existence de deux charniers, l’un dans la banlieue d’Abidjan, l’autre près de Daloa, dans l’ouest du pays.
Le camp Gbagbo dément toute implication dans les violences et les meurtres
Les Nations unies ont avancé le chiffre d’au moins 173 morts depuis le début de la crise post-électorale, sans compter les nombreux cas de torture ou de disparitions forcées. La plupart des victimes seraient des supporteurs d’Alassane Ouattara.
Pour Simon Munzu, « il s’agit des cas que nous avons pu vérifier (…). Il y a lieu de penser (qu’ils) ne représentent qu’une partie de la réalité. » Le camp Gbagbo, lui, dément toute implication dans les violences et les meurtres.
Olivier MONNIER, à Abidjan
la-croix.com
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