Savions-nous où nous mènerait l’ivoirité? Ce concept nauséabond dont nous subissons aujourd’hui les effets pervers. La Côte d’Ivoire, coupée en deux depuis près de dix ans et profondément divisée, est la risée du monde entier.
Les responsabilités sont ivoiriennes.
Celle des concepteurs de ce poison ivoiritaire. Ces mêmes qui parcourent, en ce moment-même, toutes les rédactions occidentales pour livrer aux chiens l’honneur de leur pays.
La politique de la roublardise, qui a consisté à résister aux balles meurtrières de la soldatesque licornienne mais en concédant dans des conditions peu transparentes des contrats juteux aux Bouygues, Bolloré, Total et consorts… cette politique-là a atteint aujourd’hui toutes ses limites.
Résultat, nous voyons en Côte d’Ivoire une nouvelle race d’hommes politiques qui érige la violence politique et la lutte armée en mode d’expression démocratique.
Notre pays marche sur la tête depuis 1993. L’intérêt national qui prévalait au temps d’Houphouët est un lointain souvenir. La fierté d’appartenir à ce grand pays, la volonté de le défendre mordicus contre vents et marées se perdent jour après jour. La Côte d’Ivoire est au bord du gouffre, elle souffre années après années des affres de l’ivoirité.
Qu’il est aisé pour telle puissance étrangère de jouer Ouattara contre Gbagbo, quand en 1999 on jouait Ouattara contre Bédié. Il y aura toujours des Ivoiriens pour appeler des Etrangers à faire la guerre à d’autres Ivoiriens. Triste réalité.
Les enjeux, on le sait, sont colossaux. La découverte de l’Or Noir dans notre sous-sol, et ces chiffres publiés par les experts (African Energy notamment) d’une production autour de 90000 barils/jour produits à partir des seuls champs Espoir, Lion et Baobas, attirent le regard de nouveaux prédateurs. La malédiction de l’Or Noir, qui a engendré autour de nous beaucoup de pauvreté, de cor ruption, d’instabilité politique et son lot de guerres civiles, s’invite désormais en Côte d’Ivoire. Et le sang des Ivoiriens n’éloignera pas ces vautours qui tournoient déjà autour du Titanic Ivoire, prêt à chavirer.
Nouvelle guerre froide? Nouvelle guerre économique? Concurrence Etats-Unis vs Chine? L’Afrique est aujourd’hui au centre de multiples enjeux et intérêts qui la dépassent.
Et comme en Irak en 2003 (avec Blair et Bush), il est question, sept ans plus tard, pour Sarkozy, l’atlantiste et Obama d’importer et d’imposer en Côte d’Ivoire leur modèle de démocratie.
Propagande des médias, menaces, sanctions, ultimatum, conseil de guerre à l’Elysée, CPI, découverte de charniers, volonté d’affamer les pauvres Ivoiriens pour les pousser à la révolte…et peut-être bientôt des armes de destructions massives découvertes sous le palais présidentiel d’Abidjan.
Tous les prétextes sont bons pour s’ingérer dans les affaires ivoiriennes. Mais la Russie et la Chine, qui ne veulent pas être privés de dessert, s’opposent au niveau du Conseil de sécurité. Alors il faut contourner l’Onu. Ainsi Henri de Raincourt, ministre français de la coopération, peut – après avoir pris le soin de demander à ses concitoyens de quitter le pays- affirmer qu’il revient aux pays africains de décider d’un recours à la force en Côte d’Ivoire. Ca tombe bien la Cedeao se réunit ce vendredi. Et Sarkozy de s’entretenir, au moment où ses lignes sont écrites, avec le Président nigérian. Le sort de la Côte d’Ivoire est-il déjà scellé?
La diplomatie ne rime pas avec l’agitation. Elle nécessite au contraire du tact, de l’habileté et de la compétence. Nous en sommes loin, très loin. Et pourtant, le risque de déflagration n’a jamais été aussi important. Quel cynisme!
« S’il y a des mœurs et des coutumes à respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu’il faut démêler et utiliser à notre profit, en opposant les unes autres, en nous appuyant sur les uns pour mieux vaincre les autres » affirmait le maréchal Lyautey, le plus célèbre colonisateur français. Cruelle actualité.
Doit-on se résigner, sans mots dire, à aller à l’échafaud?
« La paix n’est pas un vain mot, c’est un comportement », nous répétait sans cesse Houphouët, le père de notre Nation. Nous n’avons pas épuisé toutes les voies du dialogue. L’un ou l’autre des deux présidents peut encore se désister. Des législatives peuvent les départager. Un nouveau vote peut être une solution. Un partage du pouvoir est toujours possible etc.
Rien de tout cela ne vaut la vie d’un seul Ivoirien.
Mr Gbagbo, Mr Ouattara, vous avez le sort de votre peuple entre les mains. Thomas Sankara vous regarde. Ruben Um Nyobe vous observe. Et Patrice Lumumba vous scrute dans les yeux. La Côte d’Ivoire, l’Afrique digne vous en conjure. Aucun d’entre vous ne peut gouverner sur un cimetière. Asseyez-vous et discutez. Réconciliez-vous et réconciliez nous. Redorez le blason de notre si beau pays. Ne laissez pas mourir votre peuple.
Anicet Djéhoury
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