Par Pierre Haski sur Rue89.com
Désavoué par la communauté internationale, le président sortant ivoirien trouve de curieux appuis en France. A droite, très à droite.
A l’opposé du large consensus qui accable Laurent Gbagbo et sa tentative de se maintenir au pouvoir en Côte d’Ivoire, on peut entendre quelques voix « blanches » qui le défendent, et contestent les tentatives de le déloger par la force. Et c’est à droite, très à droite, qu’on les trouve désormais, une fois surmontée la valse-hésitation du PS.
Dans cette -modeste- mobilisation, il faut faire une place d’honneur à Jean-François Probst, un ancien collaborateur de Jacques Chirac à Matignon et au RPR des grandes années, de la mairie de Paris version Tiberi, vieux routier de la Françafrique (et accessoirement blogueur sur Bakchich).
Ses propos véhéments contre Nicolas Sarkozy et le « complot » contre Gbagbo font le tour du Web et alimentent les efforts du président sortant ivoirien pour sortir de son isolement.
Jean-François Probst n’y va pas par quatre chemins : Alassane Ouattara, le rival de Gbagbo, est manipulé par la CIA, et Nicolas Sarkozy, par son incompétence, fait le jeu des Américains. Et il le dit de la manière la plus crue et directe possible :
« Il est évident que depuis longtemps la CIA téléguide avec quelques longues cornes, et assez facilement semble-t-il, le couple Alassane et Dominique Ouattara…
Les rebelles du nord sont manipulés de l’extérieur, et pas seulement par l’islam avec Al Qaeda, des islamistes du nord de l’Afrique qui voudraient bien pousser jusqu’au Sud.
Tout cela est un imbroglio dans lequel les Etats-Unis nagent comme d’habitude à contre-courant. […] Tout le monde fait la danse du ventre autour de la Côte d’Ivoire, mais les Etats-Unis, avec leurs manières lourdingues et “obamesques”, un peu comme Bush le faisait en Irak, arrivent à entraîner derrière eux des petits satellites ou des vassaux.
Malheureusement pour mon beau pays de France, que le général de Gaulle avait fait sortir du commandement intégré de l’Otan, le président Sarkozy a réintégré l’Otan. »
Il a quelques amabilités pour l’actuel président de la République :
« Le président Sarkozy est à la traîne des Etats-Unis et la France est un wagon de queue de la grosse locomotive américaine. […]
Nicolas Sarkozy pourra de façon grossière et indécente s’agiter, vociférer, s’ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire, mais il n’aura que des réponses cinglantes des Ivoiriens qui lui répondront que la Côte d’Ivoire n’est pas une sous-préfecture française.
Donc, de grâce, que les Américains, que la France de monsieur Sarkozy, que l’Europe de messieurs Baroso et Van Rompuy, se calment et s’abstiennent de commentaires vasouilleux et menaçants. […]
Ce garçon a trop tété le biberon de Charles Pasqua et il est le roi de la rodomontade. La politique étrangère, cela nécessite du calme, de la hauteur de vue et de la discussion. […]
Ne négligeons pas le fait que 60% des Ivoiriens ont moins de 20 ans. Ne négligeons pas que, comme les gaullistes de la Résistance, ils ont envie de s’opposer aux colonisateurs et au totalitarisme…
Seulement, les Chinois ont une diplomatie un peu plus intelligente que la nôtre… Actuellement, ce n’est pas difficile, parce que des crétins gèrent notre approche française de l’Afrique. »
Jean-François Probst n’a pas tenu ces propos incendiaires n’importe où, mais sur une modeste radio basée à La Baule, Kernews 91.5 FM, animée par Yannick Urrien, un ancien de l’UNI et de Radio Courtoisie, dont les amis sont l’aile dure de l’UMP, avec Thierry Mariani, Philippe de Villiers, Jacques Myard, Didier Julia…
Nostalgiques d’un gaullisme mythique
Depuis, ses propos sont relayés par des gens qu’on imaginerait à l’opposé de ce réseau de vieux nationalistes et souverainistes, nostalgiques d’un gaullisme mythique et de sa face cachée africaine, l’ère Foccart, et qui se seraient farouchement opposés à eux il y a quelques années.
Panafricanistes, ennemis jurés de la Françafrique, les défenseurs de Laurent Gbagbo, et il y en a, se sont jetés sur les déclarations de Jean-François Probst. Un e-mail me les a recommandées comme celles d’un « barbouze françafricain devenu sympathique »…
Dans la même veine, on retrouve les accusations de fraude contre le camp Ouattara lancées par un autre « conseiller » de plusieurs chefs d’Etats africains au profil atypique : l’avocat Marcel Ceccaldi, un proche de Jean-Marie Le Pen dont il fut le conseil juridique (complaisamment repris par Le Post sans préciser qui est cet « avocat international »…).
Pour Antoine Glaser, ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent et auteur de plusieurs ouvrages sur la Françafrique, ces hommes sont issus de milieux « souverainistes » et « lepénistes », de droite et d’extrême droite, guidés par un fort sentiment anti-américain et qui rejettent Ouattara, un ancien haut-fonctionnaire du FMI, pour cette raison.
« Ils essaient d’exister »
L’écho de leur parole étonne Antoine Glaser, car ces hommes appartiennent à une génération finissante, « déconnectée des centres de décision à Paris », mais qui continuent à faire illusion sur le continent. « Ils laissent croire qu’ils ont de l’influence, ils essaient d’exister », estime l’auteur (avec Stephen Smith) de « Comment la France a perdu l’Afrique », une chronique de la perte d’influence de l’ancienne puissance coloniale sur le continent noir.
Pour autant, le propos de ces « conseillers » n’est pas si éloigné de ce que pensent de nombreux Français de Côte d’Ivoire, pour qui l’ère Gbagbo n’a pas été si mauvaise, à commencer par les grands groupes comme Bolloré, Bouygues, Vinci, et même Total qui vient de remporter, contre le russe Lukoil, l’attribution très politique d’un permis d’exploitation pétrolière off-shore. Pour Antoine Glaser :
« Si les Français de Côte d’Ivoire avaient pu voter, ils auraient soutenu Gbagbo. »
Ces quelques avocats de Laurent Gbagbo ne pèsent pas lourd aujourd’hui, sur la scène française. En revanche, ils ont plus d’écho dans la tentative du président ivoirien sortant de créer un courant d’opinion africain favorable pour contrer le rouleau compresseur étatique qui est en train de se mobiliser contre lui.
Vendredi, les Etats d’Afrique de l’Ouest réunis au sein de la Cédéao, pourraient décider de l’envoi d’une force militaire africaine pour déloger Gbagbo, et celle-ci serait appuyée par Paris et Washington.
« Un complot international »
De passage à Paris, Alain Toussaint, un conseiller de Gbagbo, a rendu visite jeudi à Rue89, pour dénoncer un « complot » visant à installer Alassane Ouattara, l’homme du FMI et donc des Américains, au pouvoir à Abidjan, et tenter de convaincre que les quelque 173 morts dénombrés par l’ONU entre le 16 et le 21 décembre, n’étaient pas l’œuvre du pouvoir en place.
Procès verbaux truqués en provenance du nord de la Côte d’Ivoire à l’appui, il essaye également de plaider la victoire de son candidat, le président sortant.
Pour se faire entendre, les défenseurs de Laurent Gbagbo ont toutefois besoin de relais et de défenseurs. Leur cause n’est assurément pas aidée par le fait que les seuls à s’engager en leur faveur aujourd’hui, sont des vieux chevaux de retour de la droite et de l’extrême droite.
Photo et illustration : Laurent Gbagbo lors de sa prestation de serment, au palais présidentiel à Abidjan, le 4 décembre 2010 (Thierry Gouegnon/Reuters) ; Marcel Ceccaldi (capture d’écran de Canal 3) ; Jean-François Probst (capture d’écran de son billet d’humeur sur Bakchich TV).
Les commentaires sont fermés.