Sylvain Rakotoarison Agoravox.fr
Côte d’Ivoire: gros comme un paquebot…
Depuis plus de deux semaines, la Côte d’Ivoire vit avec deux Présidents, dont un illégitime qui a refusé le verdict des urnes : Gbagbo. Une nouvelle crise politique qui a déjà sacrifié plusieurs dizaines de vies humaines.
Imaginez qu’il ait été un de vos voisins à la fin des années 1980, dans votre immeuble de la région parisienne. Lui, il a fait une maîtrise d’histoire à la Sorbonne et il a soutenu une thèse de doctorat en histoire. C’est un « balèze ». Et puis, il y a toujours du monde dans la cage d’escalier. Cela va et cela vient. Le téléphone est toujours décroché.
Ah oui, lui, il est toujours avec des costumes impeccables.
C’était un opposant contre un vieux dinosaure de la politique française. Oui, j’ai bien dit française, ancien Ministre d’État de De Gaulle : Félix Houphouët-Boigny, Président-fondateur de la Côte d’Ivoire. Le titre fait un peu business, mais c’était un peu ça à l’époque.
Lui ? C’est Laurent Gbagbo. Il a aujourd’hui 65 ans et il est un peu dans la situation inverse, maintenant.
Premières élections
Entre temps… Il est rentré au pays (comme on dit pour d’autres pays) le 18 septembre 1988. Le 28 octobre 1990, il s’est présenté à l’élection présidentielle contre le potentat sortant, Houphouët-Boigny, 85 ans dont trente de présidence (depuis le 7 août 1960). Gbagbo a fait quand même 18,3% des voix. C’était la première élection démocratique en Côte d’Ivoire, démocratique avec toutefois de nombreuses fraudes en faveur du pouvoir.
Le « Vieux » réélu, un Premier Ministre fut nommé (c’était nouveau) le 7 novembre 1990. Son nom ? Alassane Ouattara, presque 69 ans aujourd’hui. Ouattara fit arrêter Gbagbo le 18 février 1992 à la suite de manifestations d’étudiants. Il le relâcha six mois plus tard.
Ouattara démissionna de son poste deux jours après la mort, le 7 décembre 1993, de Houphouët-Boigny. Henri Konan Bédié, aujourd’hui 76 ans, devenu Président par intérim, fut élu soviétiquement (96,4%) à l’élection présidentielle régulière du 22 octobre 1995, une élection que Gbagbo et Ouattara, tous les deux alliés dans l’opposition, ont boycottée car ils ont été écartés du scrutin. Ouattara était alors directeur général adjoint du FMI (de mai 1994 à juillet 1999).
Coup d’État
La veille de Noël 1999, le général Robert Guéï renversa Bédié pour mettre à la tête du pays une junte militaire. Guéï avait participé à l’arrestation de Gbagbo en 1992 mais avait été limogé en octobre 1995 par Bédié.
À l’élection présidentielle du 22 octobre 2000, Ouattara a été encore écarté du scrutin, toujours pour une mauvaise raison (il était considéré comme étranger car d’origine burkinabaise, mais cela ne l’avait pas empêché de diriger pendant trois ans le gouvernement ivoirien). Bédié aussi a été écarté du scrutin, si bien que ne restaient en compétition que Guéï et Gbagbo qui fut élu avec 59,4%. Guéï contesta sa défaite pendant trois semaines de violences, jusqu’au 13 novembre 2000, après trois cents morts. Il fut retrouvé tué à Abidjan le 19 septembre 2002 lors d’une autre tentative de coup d’État (dans laquelle il n’aurait pas été impliqué).
Gbagbo Président
Gbagbo, l’éternel opposant, est enfin devenu le patron. Socialiste, et donc bénéficiant du soutien très actif des socialistes français (alors au pouvoir avec Jospin).
Démocrate ?
Hélas, non !
Pourri jusqu’à la moelle.
Le pays fut en proie à de nombreuses secousses, tiraillé entre le nord et le sud. Les violences donnèrent le prétexte à Gbagbo de reporter sans cesse le renouvellement de son mandat, qui devait avoir lieu en… octobre 2005.
Le 29 mars 2007, Gbagbo fit un accord avec les rebelles du nord et nomma leur chef au poste de Premier Ministre, Guillaume Soro, 38 ans aujourd’hui.
Une élection avec cinq ans de retard
Il a fallu attendre cinq ans pour qu’il acceptât d’organiser une nouvelle élection présidentielle. Imaginez Nicolas Sarkozy se disant qu’il préférerait s’accrocher au pouvoir en 2012 et qu’il reporterait l’élection présidentielle jusqu’en 2017.
Et encore, il a fallu la pression de tous les acteurs internationaux pour qu’il acceptât.
Concrètement, il a doublé la durée de son mandat. De façon totalement illégitime.
Le 31 octobre 2010 a eu lieu, enfin, le premier tour de l’élection présidentielle. Les trois compères étaient encore présents (Guéï étant mort) : Gbagbo (38,6%), Ouattara (32,3%) et Bédié (24,6%). Bédié et Ouattara étaient alliés et c’est donc naturellement que Bédié apporta son soutien à Ouattara pour le second tour.
Le second tour se déroula le 28 novembre 2010 à l’issue d’une campagne électorale presque exemplaire. De nombreux observateurs étrangers étaient présents pour apprécier la sincérité du scrutin.
Légitimité des urnes versus manœuvres procédurières
Le 2 décembre 2010, Ouattara a été déclaré vainqueur avec 54,1% par la Commission électorale indépendante. Mais celle-ci n’a pu faire sa déclaration dans le délai de trois jours comme prévu au préalable, car des hommes de Gbagbo l’en ont empêché physiquement, prenant violemment la feuille des résultats complets devant les caméras de télévision (j’ai vu la scène et j’en reste encore muet).
Du coup, l’accord préalable redonnait au Conseil constitutionnel (tout dévoué à la cause de Gbagbo) toutes ses responsabilités pour déclarer l’élu, ce qu’il fit le lendemain en déclarant Gbagbo vainqueur avec 51,5% (un score justifié par l’annulation de certains bureaux de vote dans le nord très défavorables au Président sortant).
Le 4 décembre 2010, la Côte d’Ivoire a deux Présidents qui prêtent serment.
L’un élu démocratiquement, Ouattara, reconnu par la plus grande partie de la communauté internationale, notamment par les États-Unis, la France, la Russie, l’ONU, l’Union Africaine et l’Union européenne (seuls quelques socialistes français ont continué à soutenir Gbagbo, comme Jack Lang ou François Loncle), et l’autre qui se croit légaliste constitutionnellement mais qui ne souhaite en fait que s’accrocher au pouvoir et à ses avantages vénaux, Gbagbo.
Le Premier Ministre Guillaume Soro a reconnu Ouattara, lui a donné sa démission et a été reconduit dans ses fonctions (un peu comme la reconduction de François Fillon le 14 novembre 2010). Il a formé son nouveau gouvernement le 6 décembre 2010, en prenant personnellement le portefeuille des forces armées.
Depuis deux semaines, l’inquiétude est vraiment au plus haut, en Côte d’Ivoire.
Le hic, c’est que Gbagbo contrôle l’armée. La garde républicaine le soutient encore. Il a fait tirer sur des manifestants pro-Ouattara le 16 décembre 2010, faisant une trentaine de morts. Sur les trois derniers jours, plus d’une cinquantaine de morts pour s’accrocher au pouvoir, selon Navi Pillay, la haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, dans un communiqué le 19 décembre 2010. Et sans doute bien plus. Rappelons que Guéï est parti au bout de trois cents morts il y a dix ans.
Quand il était arrivé au pouvoir, Gbagbo disait cyniquement et presque fièrement : « Mille morts à droite, mille morts à gauche, moi, j’avance ».
Fort habilement, hélas, la Chine fait quelques yeux doux à la Côte d’Ivoire de Gbagbo. Histoire de récupérer les miettes de l’affaire. Le « nationalisme » ivoirien de Gbagbo a bon dos : il serait plutôt teinté de nationalisme sino-ivoirien.
Ouattara, qui est originaire du nord, dispose également de troupes armées. L’ombre d’une nouvelle guerre civile meurtrière plane sur cette mi-décembre 2010. Le Premier Ministre du Kenya, Raila Odinga, est prêt au recours à la force militaire pour aider Ouattara. Les pays africains sont les plus fermes partisans de Ouattara car veulent respecter la démocratie face à Gbagbo.
« Ultimatum »
Ce 17 décembre 2010, vers midi, Nicolas Sarkozy vient de lancer un « ultimatum » à Gbagbo depuis Bruxelles : s’il ne quitte pas le pouvoir avant la fin de la semaine (celle du 13 au 19 décembre 2010), eh bien… on lui confisquera tous ses avoirs en France.
Enfin, le mot « ultimatum » n’a été utilisé que par les journalistes, car quand j’ai entendu « ultimatum », je croyais que la France allait se lancer dans une guerre contre l’armée ivoirienne. Non, ici, ce n’est qu’une affaire de gros sous.
Le 18 décembre 2010, s’éloignant d’un cran supplémentaire d’une perspective de résolution pacifique de la crise, le camp Gbagbo a fait savoir son exigence de retrait des troupes des Nations Unies et des troupes françaises de Côte d’Ivoire. Sur RFI le 19 décembre 2010, Michèle Alliot-Marie a menacé d’une réplique de légitime défense en cas d’attaque contre les forces françaises.
Depuis quelques jours, Gbagbo serait en train de récupérer ses avoirs et définit son prochain point de chute. Et depuis jeudi, il se terre dans un village loin d’Abidjan. Beaucoup d’argent et d’objets précieux quittent la Côte d’Ivoire. Les partisans de Gbagbo ont peur et émigrent par milliers à l’étrangers.
Cet homme, qui s’est distingué par une opposition contre Houphouët-Boigny, a montré qu’il valait encore moins que ce dernier. Car si Houphouët-Boigny était un incontestable autocrate, il avait porté au moins une vision de la Côte d’Ivoire en la menant à la prospérité économique. C’était même le miracle ivoirien cité régulièrement comme un exemple dans les années 1980.
Il faut partir !
Monsieur Gbagbo, vous êtes un « tricheur » et un « dictateur », comme le dit Guillaume Soro.
Vous êtes la cause des dizaines de morts des derniers jours et sans doute d’autres dans les prochains jours.
C’est honteux ! Quittez immédiatement le pouvoir ! Préservez la vie de vos compatriotes !
Il est temps de prendre vos cliques et vos claques et de laisser enfin la démocratie et la paix s’installer.
…Et estimez-vous heureux si on ne vous arrête pas pour juger vos meurtres.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 décembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
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