Sonia Rolley – slate.fr
L’instance africaine continue à soutenir le dirigeant soudanais mais appelle l’Ivoirien à quitter le pouvoir. En fond, on assiste à l’affirmation d’une diplomatie africaine. Le président de la commission de l’Union africaine, Jean Ping, est depuis ce vendredi 17 décembre en visite à Abidjan pour relancer la médiation entre les deux présidents proclamés, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara.
Sur le continent africain aujourd’hui, deux questions créent un quasi-consensus. Il y a d’abord le cas d’Omar El Béchir. Le président soudanais est poursuivi pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale. Au sein de l’Union africaine, on dénonce régulièrement une justice à deux vitesses, une justice de blancs qui ne visent que des noirs. Et surtout on demande, au nom de la paix au Soudan, que la procédure soit suspendue ou mieux annulée. Cette position est aux antipodes de celle du reste de la communauté internationale. Même les Etats-Unis, qui n’ont pas ratifié le traité de Rome, appellent à l’arrestation d’Omar El Béchir. Le Darfour a ému l’Occident. Et si officieusement, bon nombre de diplomates occidentaux reconnaissent qu’en pratique l’arrestation d’Omar El Béchir est difficile à obtenir et pourrait avoir de terribles conséquences sur le pays, officiellement il faut soutenir la cour dans ses démarches. «On n’aurait jamais dû aller jusqu’à l’inculpation, commente un diplomate. Nous voilà maintenant dos au mur, avec aucune solution viable en vue et la justice internationale risque d’être dé crédibilisée.» Quoiqu’il en soit, dans les faits, Omar El Béchir a le soutien de ses pairs africains.
Et pourquoi pas Gbagbo? L’Union africaine a la réputation d’être conservatrice. Avant de soutenir le changement chez son voisin, on réfléchit à savoir si on aimerait que cela arrive chez soi. Ni le Libyen Mouammar Kadhafi, ni le Congolais Denis Sassou NGuesso, ni le Tchadien Idriss Déby, ni même le Burkinabè Blaise Compaoré, au pouvoir depuis plus de 20 ans, n’aimeraient que l’Union africaine ne mette un jour le nez dans ses affaires internes. Il faut donc rester prudent. Mais le cas de la Côte d’Ivoire et de Laurent Gbagbo dénote.
Une position inédite
L’opposant Alassane Ouattara est proclamé vainqueur le jeudi 2 décembre par la commission électorale indépendante (CEI). Son adversaire, le président sortant, Laurent Gbagbo l’a lui été le vendredi par le Conseil constitutionnel. Quelques heures plus tard, le conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine réuni à Addis Abeba appelle au respect de la volonté populaire et des résultats «tels que proclamés par la commission électorale indépendante» et met en garde contre «toute tentative de créer un fait accompli». Aucun nom n’est cité, mais c’est une reconnaissance de fait de la victoire d’Alassane Ouattara. Il faut dire que l’UA avait décidé de dépêcher sur place l’ancien président sud-africain Thabo Mbecki. Ce dernier a déjà été médiateur dans la crise ivoirienne par le passé. Et il avait été à l’époque accusé d’être trop proche de Laurent Gbagbo. Il repart sans parvenir à un accord. Dans l’entourage du président sortant, on espérait certainement une solution à la kenyane ou à la zimbabwéenne. C’est-à-dire que le président sortant reste tranquillement installé dans son fauteuil et l’opposant devienne son Premier ministre. Un choix soutenu à l’époque par l’Union africaine, mais pas cette fois…
«C’est du jamais vu un tel engagement de la communauté internationale. Il y avait des observateurs de tous les pays», explique un diplomate étranger. L’ONU avait même demandé la collaboration de toutes les ambassades présentes dans le pays, distribuant des gilets «Onuci» au plus grand nombre. Que tout le monde se sente concerné. L’investissement n’était pas uniquement humain. Reporté pendant plus de cinq ans, le processus électoral ivoirien était devenu l’un des plus chers au monde. Plus de 300 millions d’euros pour 6 millions de votants. Soit 50 euros par tête. Un prix qui inclut bien sûr le coût de la mission de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, l’Onuci. Et l’Onuci était l’une des pierres angulaires du scrutin, sécurisant les procès-verbaux, transportant les urnes et les bulletins. C’est l’Onuci également qui a été la première organisation à dire que le scrutin avait été globalement démocratique, suivi de près par l’Union européenne. Le représentant du secrétaire général de l’ONU Youn Jin Choi viendra même expliquer point par point pourquoi il juge que les résultats proclamés par la commission électorale indépendante sont crédibles. Plus timide dans ses commentaires, la mission d’observation de l’Union africaine n’a pas dit autre chose. «Tout s’est bien passé», avait reconnu son chef et ancien Premier ministre togolais, Joseph Kokou Koffigoh, même s’il déplorait les trois morts et les quelques incidents qui avaient émaillé le scrutin. Koffigoh sera l’un des seuls représentants de la communauté internationale à la cérémonie d’investiture de Laurent Gbagbo et pour cela, il sera désavoué par l’Union africaine.
Le rôle moteur de la Cédéao
Le président du Nigéria, Goodluck Jonathan, sera l’un des premiers dirigeants africains à reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara. Le mardi suivant la proclamation des résultats, la Cédéao, la communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest qu’il préside, se réunit en urgence à Abuja le mardi 7 décembre. Les émissaires de Laurent Gbagbo envoyés la veille dans toute la sous-région n’y auront rien fait. Après quatre heures de réunion, son verdict est sans appel: Laurent Gbagbo doit «respecter les résultats proclamés par la Commission électorale indépendante, la CEI, tels que certifiés par l’Onuci et rendre sans délai le pouvoir».
La moitié seulement des présidents ouest-africains avait fait le déplacement. Youn Jin Choi est là aussi pour expliquer une fois encore pourquoi les résultats de la CEI sont crédibles. «Goodluck Jonathan a pesé de tout son poids dans cette décision, mais il n’a pas eu de mal à convaincre, explique un diplomate africain. Le Ghanéen John Atta-Mills et le Sénégalais Abdoulaye Wade étaient tout aussi intransigeants.» Au-delà de l’argument du caractère irréfutable des résultats, certains observateurs occidentaux évoquent des raisons ethniques. «La plupart des pays membres de la Cédéao sont plus proches d’un point de vue tribale qu’un Alassane Ouattara que d’un Laurent Gbagbo.» «Cela n’a rien de tribal, dément le diplomate africain. Le Nigéria s’est toujours montré plus à cheval sur les principes quand il s’agit de politique étrangère. John Atta Mills est un opposant qui est arrivé au pouvoir. Et Abdoulaye Wade n’a jamais caché son intérêt politique pour Alassane Ouattara. Il l’avait même rencontré ouvertement entre les deux tours.» La Cédéao suspend la Côte d’Ivoire de ses institutions.
L’Union africaine lui emboite le pas. Son président en exercice, le chef de l’État du Malawi Bingu wa Mutharika, reconnaît même ouvertement la victoire d’Alassane Ouattara. Et bon dernier, après cinq jours de tergiversations et une opposition de principe de la Russie, les membres du conseil de sécurité des Nations unies se mettent enfin d’accord sur une déclaration. Fait notable, ils se réfugient eux aussi derrière la décision de la Cédéao. «A la lumière de la reconnaissance par la Cédéao de M. Alassane Dramane Ouattara comme président élu de la Côte d’Ivoire et comme le représentant de la voix librement exprimée du peuple ivoirien telle que proclamée par la Commission électorale indépendante, les membres du Conseil de sécurité appellent toutes les parties prenantes à respecter le résultat de l’élection», précise la déclaration du 8 décembre.
Jean Ping n’est pas venu seul en Côte d’Ivoire ce vendredi. Le président de la commission de l’Union africaine est accompagné du Ghanéen James Viktor Gbeho, son homologue à la Cédéao. Un parapluie supplémentaire. Les deux hommes ont pour mission de faire entendre raison à Laurent Gbagbo. Ce dernier refuse depuis plusieurs jours de parler avec Nicolas Sarkozy ou même Barack Obama. Seul contre tous. «Depuis plusieurs mois, que ce soit dans les crises malgache, guinéenne ou ivoirienne, l’Afrique veut montrer qu’elle est capable de se prendre en main, explique encore le diplomate africain. L’Union africaine monte au créneau, car ce qui fait l’unanimité chez les chefs d’Etat africains aujourd’hui, c’est qu’il ne faut plus laisser l’Occident nous dicter notre conduite.» «L’attitude de l’Union africaine est parfaitement cohérente. Ils soutiennent Omar El Béchir car premièrement, ils ne veulent pas qu’une cour de justice internationale « occidentale » se mêle de leurs affaires et deuxièmement, son inculpation ne donne aucune garantie d’un retour à la stabilité, précise un diplomate occidental. Ce qui fait peur aux chefs d’Etat africains, comme aux autres d’ailleurs, c’est l’instabilité. Et l’obstination de Laurent Gbagbo risque de faire replonger la Côte d’Ivoire dans le chaos et prolonger la mise sous tutelle du pays par la communauté internationale.» Et la Cédéao a insisté vendredi, en écho aux pressions internationales en demandant à Laurent Gbagbo de transférer «immédiatement» le pouvoir au «président élu» Alassane Ouattara.
Reste à savoir quelle sera l’attitude de l’autre organisation ouest-africaine, l’Union économique et monétaire ouest-africaine, majoritairement francophone. La réunion des ministres des Finances de l’Uemoa a été repoussée à deux reprises déjà. Moins en pointe politiquement que sa rivale, la Cédéao, elle a une carte importante à jouer. Car c’est elle et sa banque centrale, la BCEAO, qui tiennent les cordons de la bourse. Les huit pays membres, dont la Côte d’Ivoire, sont tous liés par la même monnaie, le Franc CFA. Celui que l’Uemao choisira de reconnaître aura l’argent. Et pour se maintenir au pouvoir, rien de tel que de pouvoir payer les fonctionnaires et les militaires. Les salaires sont censés être versés au plus tard la semaine prochaine en Côte d’Ivoire.
Sonia Rolley
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