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La Côte d’Ivoire est en passe de figurer dans le fameux livre des Records Guinness pour avoir atteint le taux de participation le plus élevé au monde, à des élections présidentielles. En effet, le 31 Octobre 2010, plus de 80% de la population votante, se sont rendus aux urnes, dans le calme, pour accomplir son devoir de citoyen au premier tour de l’élection présidentielle.
Malgré ce satisfecit, l’on ne peut vraiment dire, quand on vit en Côte d’Ivoire, que la tenue de ces élections était le désir prioritaire de la population. En Afrique, d’une manière générale, les populations rechignent à aller à des « Elections Démocratiques » foncièrement opposées à leur vision du monde. Je suis un sexagénaire, alphabétisé, bien sûr. Les gens de la génération de mon père, dont l’africanité est indiscutable, ressentaient l’acte de vote comme un acte honteux de soumission à la loi du colonisateur. Au bon vieux temps, ce sont les enfants qui étaient chargés d’accomplir ce jeu ridicule d’aller dans l’isoloir et déposer dans l’urne un papier qui n’a pour eux aucun sens.
Nous savons aussi que les périodes électorales font parti des moments les plus redoutés en Afrique, à cause des risques réels de violence et de sacrifices humains. On dit souvent que celui qui est mort pour des élections « est mort pour rien »…
La plus grande attente des populations africaines n’est pas la tenue des élections mais la résolution de leur problème. Deux choses complètement différentes.
D’entrée de jeu, il est important de préciser, avec la plus grande fermeté, que ces élections sont principalement le désir de la diplomatie internationale.
A une cérémonie de rencontre du corps diplomatique au palais présidentiel, nous nous souvenons encore de l’insistance à la limite de la politesse d’un ambassadeur étranger : « Monsieur le Président, à quand les élections ? La date précise ? »
» La communauté internationale », estimant que la tenue des élections est la seule voie vers la normalisation des relations avec la Côte d’Ivoire, a pratiquement imposé et financé ces élections par l’achat des équipements, des urnes et des isoloirs (don du Japon).
Le peuple ivoirien, en se rendant massivement dans le calme aux urnes, a montré au monde qu’il est aussi capable de jouer cette comédie. Le peuple a bien joué son rôle au premier comme au second tour des élections.
Tous les acteurs, les institutions et les pays impliqués dans l’organisation : Les partis politiques, la presse, l’ONUCI, la Commission électorale indépendante (CEI), le Facilitateur, la communauté internationale, l’Union européenne, le Japon, les Etats Unis, la France, le Burkina Faso, les communautés religieuses, les chefs traditionnels, la société civile, etc. Tous se sont activés de façon remarquable pour la réussite de l’opération.
De mon avis d’observateur, les Présidentielles ivoiriennes font parti des élections les mieux organisées au monde. Le bouquet a été le face-à-face télévisé entre les deux finalistes. Magnifique ! Rien à envier à ce qui se passe en Europe et aux Etats Unis qui sont les pères de la Démocratie. Tout a été mis en œuvre pour aboutir au « happy end » que nous attendions tous : l’annonce des résultats. Coup de théâtre. Les deux institutions habilitées à nous délivrer les résultats, la CEI (Commission électorale indépendante) et le Conseil constitutionnel annoncent, chacun de son côté, des chiffres et un président différent.
Nous voici plongés dans une situation inattendue et complètement loufoque : une nation divisée-unie, pour deux présidents démocratiquement élus.
Ouattara Alassane a le soutien de la communauté internationale, mais il n’est pas élu en vertu de la souveraineté des Etats et de la Constitution de Côte d’Ivoire, disent ses adversaires.
Gbagbo Laurent est un « dictateur qui s’accroche au pouvoir, il doit partir », disent les autres.
La Côte d’Ivoire est sous haute tension. Le bras de fer, engagé par les deux camps, risque de transformer la petite comédie en tragédie.
Les menaces et les sanctions ne feront qu’empirer la situation. Plutôt que de prendre parti et de condamner un des acteurs, nous ferions mieux d’observer et de réfléchir.
« Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à sa chaussure alors que c’est son pied qui est le coupable… » Cet extrait de la pièce de théâtre, En Attendant Godot de Samuel Beckett, s’applique bien à nous.
Le coupable dans cette affaire n’est ni Gbagbo Laurent ni Ouattara Alassane, mais la « Démocratie » elle-même.
Car c’est en utilisant judicieusement les leviers qu’offre la « Démocratie », que Gbagbo Laurent se maintient au pouvoir. Ouattara Alassane se réclame de la même démocratie.
Demander à Gbagbo Laurent de partir sans être capable de lui expliquer en vertu de quelles règles, c’est grave. Cela signifierait que le monde est sans règles, que tout est permis, dans ce cas pourquoi partir ? Et partir pour où ? Cette interrogation que symbolise Gbagbo Laurent, beaucoup de personnes en Cote d’Ivoire, en Afrique et dans le monde la partagent. Si elle n’est pas étouffée dans l’œuf, elle pourrait aider la Côte d’Ivoire et le monde entier à retrouver les chemins de la vraie démocratie.
La « Démocratie » à l’occidentale est une fausse démocratie, appliquée à la lettre, elle conduit immanquablement dans une impasse. Pour l’instant, écrivons gentiment qu’elle a fait son temps. Elle est aujourd’hui anachronique. Je développerai cette thèse dans un prochain article intitulé : « Autopsie de la Démocratie Occidentale »
C’est donc de la « Démocratie occidentale » qu’il faut sortir. Pas seulement Gbagbo Laurent, mais nous tous. Nous y avons intérêt si nous voulons bâtir un monde de paix et d’amour.
Abidjan
par Yrom
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