À l’extérieur du pays dans le cadre de mes activités professionnelles, c’est vers l’Internet que je me suis tourné pour étancher ma soif d’information sur la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire. Je m’apprêtais à me déconnecter de la toile après une brève revue de presse qui m’a permis de me rendre compte que M. Laurent Gbagbo, le supposé fils des élections, continue sans vergogne de s’arcbouter au pouvoir alors que près de 60% des ivoiriens lui ont refusé leur suffrage, quand je suis tombé sur une capsule vidéo de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI).
Bien que conscient de la redescente dans les bassesses de l’exacerbation du tribalisme de cette chaîne de télévision et de radio que la population ivoirienne est obligée de supporter après la suppression des chaînes étrangères par le sieur Franck Anderson Kouassi, un autre obligé de M. Laurent Gbagbo, qui ne manque pas de zèle quand il s’agit d’aider le régime de la refondation dans ses forfaitures, je décide quand même de visionner l’élément vidéo. J’ai été motivé en cela par le titre de cette capsule : « Le professeur Malick N’Diaye invité au JT de 20h ». Au vu de ce titre, j’ai instinctivement pensé qu’un professeur, venu d’un pays frère (le Sénégal), donc neutre, devrait certainement faire une lecture sereine de la situation sociopolitique afin de nous proposer des solutions susceptibles de nous sortir de cette situation inédite en Afrique : deux présidents, deux premiers ministres et deux gouvernements. J’étais effectivement à mille lieux d’imaginer que la campagne de propagande et d’endoctrinement entreprise par la RTI et les hérésies de la LMP avaient autant franchi les frontières de notre pays. Dans cette capsule vidéo, Ahoua Ehoura, la présentatrice, donnait l’occasion au professeur Malick N’Diaye de l’Université Cheickh Anta Diop du Sénégal de se prononcer sur la situation post électorale en Côte d’Ivoire. Dès la prise de parole de notre cher professeur, de surcroît secrétaire exécutif d’une certaine coordination d’intellectuels africains, j’ai tout de suite compris que « notre éminence » ne ferait pas mieux dans ses analyses que le commun des mortels ivoiriens revenant d’un meeting tenu à la Sorbonne du Plateau ou dans les « parlements et agoras » à la solde du FPI.
Tout professeur des universités qu’il est, M. Malick N’Diaye fait une piètre analyse des rebellions en Afrique. Sans poser de diagnostic et donc sans s’intéresser aux causes de ce phénomène, il s’attaque à ses conséquences : celle de tracer « une ligne de déconstruction de toute l’Afrique de l’Ouest depuis le cap Skirring sénégalais jusqu’au Golf du Biafra… ». Il poursuit ses divagations en brocardant M. Choi, le représentant du secrétaire général des Nations Unies, qualifié de « simple fonctionnaire non élu », qui se permet de porter sa préférence sur les résultats prononcés par le président de la CEI au détriment de ceux donnés par le Conseil Constitutionnel et qui font de M. Laurent Gbagbo un ancien président. Mais le professeur ne dit rien des raisons de la présence du représentant du secrétaire général de l’ONU sur le sol ivoirien et les fonctions à lui attribuer, fonctions du reste acceptées par tous les acteurs significatifs de la vie politique ivoirienne, y compris M. Laurent Gbagbo. C’est le lieu de rappeler au professeur N’Diaye que la mission de M. Choi dans ce pays était de certifier le processus électoral qui comprenait toutes les actions liées à l’enrôlement des populations jusqu’à la proclamation des résultats définitifs par le Conseil Constitutionnel après ceux provisoires annoncés par la CEI. C’est donc naturellement que celui-ci, soucieux de mener sa mission jusqu’au bout, s’est prononcé sur le caractère fallacieux des décisions de M. Yao N’Dré, président du Conseil Constitutionnel. Où est donc l’ingérence dans les affaires ivoiriennes dont les partisans de Laurent Gbagbo accusent M. Choi ? Accusation d’ailleurs reprise de façon maladroite par notre professeur. Il n’en fallait pas plus pour que le Pr. N’Diaye qui s’est senti obligé de s’inviter dans la crise ivoirienne selon les termes de la présentatrice du jour, demande l’éviction du représentant de M. Ban Ki-moon de la Côte d’Ivoire, comme l’a fait Alcide Djédjé, ex-conseiller diplomatique de l’ancien président ivoirien depuis les dernières élections présidentielles. L’invité d’Ahoua Ehoura ne s’est même pas rendu compte que M. Djédjé ne parle plus de bouter M. Choi hors de la Côte d’Ivoire depuis que la communauté internationale a menacé les autorités illégales et illégitimes de sanctions. N’est-ce pas cela être plus royaliste que le roi ? J’ai été stupéfait de voir comment M. N’Diaye reprenait à la perfection tous les arguments développés par M. Affi N’Guessan et sa clique que je ne peux m’empêcher de penser qu’il a dû suivre un briefing au palais présidentiel, momentanément occupé par M. Laurent Gbagbo, avant son passage à la RTI. C’est presque les larmes aux yeux que notre frère venu du Sénégal évoque la mort de Boga Doudou, son ami. Mais il occultera la mort du général Robert Guéi ainsi que celle de nombreuses victimes innocentes tombées sous les balles et coups de gourdins assassins de la garde prétorienne de M. Laurent Gbagbo depuis que celui-ci a accédé à la magistrature suprême de la Côte d’Ivoire en 2000. Notre grand professeur fait également fi de ce qu’aucune disposition des textes régissant les élections en Côte d’Ivoire ne donne la possibilité au Conseil Constitutionnel de changer les résultats du scrutin au profit d’un quelconque des candidats par l’annulation des votes de toute une région. M. N’Diaye, pour votre gouverne, le rôle du Conseil Constitutionnel ivoirien est de valider les résultats que lui aura présenté la CEI qui organise les élections. S’il ne peut les valider, parce qu’ayant constaté des irrégularités et des manquements, il ne peut que prononcer l’annulation de tout le scrutin et la reprise des élections.
Par ailleurs, il n’existe pas de « République du Golf Hôtel », monsieur le professeur. Il existe un Hôtel du Golf qui se trouve être le lieu le plus sécurisé de la capitale abidjanaise où des miliciens et quelques soldats encore fidèles à l’ancien président Gbagbo assassinent en toute impunité les partisans de l’ex opposition une fois la nuit tombée sous le couvre feu. Se trouvent actuellement à l’Hôtel du Golf outre Alassane Ouattara, le président élu par le peuple ivoirien, des personnes anonymes qui ont abandonné leur famille pour se mettre à l’abri de la mort.
Des amis sénégalais à qui j’ai envoyé cette vidéo et parmi lesquels on compte d’anciens étudiants de celui qui fait aujourd’hui la honte de l’intelligentsia africaine, n’ont pas manqué de qualifier sa prestation de bouffonnerie et de sortie malheureuse. À juste titre d’ailleurs ! Dans une analyse des faits qui manque manifestement de rigueur intellectuelle et scientifique, le sieur N’Diaye étale tout son parti pris au profit du camp de celui qui refuse de se plier à la volonté du peuple ivoirien, alors qu’on était en droit d’attendre d’un professeur un peu plus de lucidité et d’élévation devant la lecture étriquée et tronquée de notre constitution par les partisans de l’ex majorité présidentielle. Son discours très émotif sur le rôle des puissances occidentales dans les crises en Afrique pour un professeur de son rang finit de convaincre que le malheur de l’Afrique ne vient que de ses élites, incapables de poser un diagnostic froid, lucide et sérieux des problèmes et maux qui l’assaillent, étape incontournable pour envisager des solutions durables. S’il faut reconnaître avec Herbert Simon qu’en tant qu’être humain nous avons une rationalité limitée, force est de constater que celle du professeur Malick N’Diaye est si limitée que je ne peux m’empêcher de me demander s’il ne faut pas désespérer de nos intellectuels.
Jacques D. Dadié
Psychologue-Consultant
dadjacques@yahoo.com
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