Par Vincent Hugeux – lexpress.fr
Si la tension monte à Abidjan, le président élu s’efforce avant tout d’asphyxier le clan Gbagbo. Entre enlisement et affrontement, sa marge de manoeuvre est étroite.
Laurent Gbagbo, le mauvais perdant, et Alassane Dramane Ouattara (ADO), l’élu sans palais, connaissent-ils les règles de l’awalé? Des graines, une planchette de bois creusée de douze cases et divisée en deux territoires, le Nord et le Sud: très prisé sur le continent noir, ce jeu de stratégie requiert un mélange de patience et d’audace.
Hanté par le spectre du bain de sang et fort d’un soutien international unanime, instances africaines comprises, Ouattara s’en tenait en début de semaine à la ligne du grignotage et de l’asphyxie. Reclus dans son QG, un palace abidjanais, il s’échine à assécher le marigot de son « frère » Gbagbo. Trésor public, fisc, douanes, ports, comité de gestion du cacao, médias d’Etat, ambassades: le vainqueur place ses hommes aux commandes de la fonction publique. Quadrillage virtuel, à ce stade, puisque les hauts fonctionnaires fidèles au putschiste électoral Laurent Gbagbo s’accrochent eux aussi à leur fauteuil.
L’épilogue de cette guérilla d’usure se joue sur deux fronts: les finances et l’armée. Il s’agit d’obtenir de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qu’elle renonce à honorer la signature de l’équipe sortante au profit de celle du gouvernement que dirige Guillaume Soro. Certes, la maîtrise, toute en opacité, des pactoles cacaoyer et portuaire a permis au clan Gbagbo de se constituer au fil des ans un solide trésor de guerre. « Mais pas à la hauteur des besoins, nuance un initié. Les salaires de novembre n’ont pas été payés intégralement. » S’il a acheté, galons et prébendes à l’appui, l’allégeance des hauts gradés des Forces armées nationales (Fanci), le sortant n’est nullement assuré de celle de la troupe. Une poignée d’officiers auraient, de plus, informé Ouattara de leur ralliement.
« Quelques jours pour convaincre Gbagbo »
Dans l’entourage de celui-ci, l’impatience grandit. Guillaume Soro, qui fut le chef politique de l’insurrection nordiste, redoute un enlisement propice à la tactique du bunker adoptée par un Gbagbo dont il devint, en 2007, le Premier ministre. D’où la tentation de lancer les anciens rebelles des Forces nouvelles à l’assaut de la primature, voire de la capitale, Yamoussoukro, tout en misant sur les défections dans les rangs des Fanci. Va-tout hasardeux: l’issue des combats paraît incertaine et Ouattara ternirait ainsi, en Afrique comme ailleurs, son aura légaliste. Reste à prouver que l’élu des urnes pourra déloger sans recours aux armes le président coucou.
A Paris comme au siège de l’ONU, on veut le croire. « Il reste quelques jours pour convaincre Gbagbo de s’effacer, confie un expert français. Par les pressions et les sanctions. Mais aussi en lui offrant des garanties de tranquillité s’il fait le bon choix. » Quinze jours après le second tour, l’énigme perdure: peut-on, au jeu de l’awalé, vaincre un tricheur à la régulière?
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