La crise post-électorale qui a donné naissance à un bicéphalisme au sommet de l’Etat (Laurent Gbagbo d’un côté et Alassane Ouattara de l’autre) crée de sérieux blocages dans la gestion de l’administration publique et affecte le secteur privé. Dans cette interview, parue dans «Jeune Afrique» du 5 décembre 2010, Jean-Louis Billon, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, explique que le mois de décembre sera très difficile pour l’appareil productif.
M. le président, deux présidents, deux gouvernements. Selon la presse, le président élu Alassane Ouattara a écrit au gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest pour mettre les décisions sur les comptes de l’Etat de Côte d’Ivoire sous les ordres du Premier ministre Guillaume Soro. Cette situation va entraîner inévitablement des blocages. Le patronat menace aussi de ne plus verser les impôts et les taxes de recouvert au profit de l’Etat. Comment cela va-t-il se passer?
Justement, cette situation est inédite pour nous. On ne sait pas comment cela va se passer. Dans l’incertitude, on pourrait se retrouver à ne pas exécuter nos obligations fiscales parce que nous ne savons pas comment les exécuter. Les acteurs économiques gèrent, aujourd’hui, leurs affaires au quotidien pour assurer leurs productions, leurs ventes, les salaires de leurs employés. Parce que c’est ce qui nous importe aujourd’hui. Surtout que nous avons déjà du mal à travailler vu que nous avons un couvre-feu et que beaucoup de nos employés, à l’image de l’ensemble de la population ivoirienne, sont inquiets, arrivent en retard au travail et retournent beaucoup plus tôt à la maison. Donc déjà, nous perdons beaucoup en productions et en chiffres d’affaires.
A propos du couvre-feu, on se rappelle que pendant une semaine, les frontières ivoiriennes étaient toutes fermées. Est-ce que vous avez chiffré le coût que cela induit pour les entreprises ?
On ne peut pas, aujourd’hui, vous chiffrer les dégâts pour l’ensemble de l’économie. Mais d’ores et déjà, on sait qu’il y a eu une augmentation de certaines denrées et de certains produits de l’ordre de 30% que vous constatez sur le marché. Que ce soit le sac de riz, le sac de charbon et les denrées périssables, les légumes, la viande, tous ont fortement augmenté. Ensuite, à partir du moment où les frontières étaient fermées et que le couvre-feu restreignait la possibilité de rotation logistique des transports, vous avez des marchés qui sont encore fermés aujourd’hui, malgré l’allègement du couvre-feu des produits manquent sur le marché.
En tant que membre influent du patronat ivoirien et avec votre statut de président de la Chambre d’Industrie et de Commerce de Côte d’Ivoire, avez-vous réfléchi à des propositions de solution pour sortir de cette crise ?
Vous savez, nous nous sommes souvent exprimés depuis le début de cette crise. Malheureusement, même si nous avons été entendus, nous avons été très peu écoutés des acteurs politiques. Si bien qu’on arrive à avoir des décisions au détriment des populations ivoiriennes. L’exemple de la fermeture des frontières et des horaires du couvre-feu qui a été fait au détriment de l’économie ivoirienne, des populations ivoiriennes et même des forces de l’ordre. Tout cela fragilise fortement la cohésion totale. Aujourd’hui, si nous n’exportons pas, nous n’importons pas, nous ne produisons pas, nous ne vendons pas, nous ne transportons pas, l’économie s’arrête aujourd’hui. Aujourd’hui, l’économie est fortement au ralenti. Et, il y a des risques réels que le mois de décembre soit difficile financièrement pour tous. Parce que les entreprises et les contribuables ne pourront pas respecter l’ensemble de leurs obligations fiscales.
Y compris les salaires des employés. Est-ce que vous pouvez rassurer les travailleurs…
Je veux vous dire que quand on parle de salaires en Côte d’Ivoire, cela m’a toujours amusé. Parce que vous avez des ministres qui disent qu’ils n’ont pas de problème pour faire des salaires. Ils s’expriment concernant les salaires de la fonction publique. Mais, depuis le début de la crise ivoirienne, des dizaines de milliers d’employés du secteur privé ont leurs salaires qui ne sont pas faits. Et cela, c’est une réalité. Des entreprises ne pourront pas faire des salaires, des employés seront en chômage technique. Et, c’est le cas aujourd’hui. Et beaucoup d’entreprises appellent parce qu’elles sont en train de réfléchir à comment faire pour mettre leurs employés au chômage technique. Je ne peux rassurer les employés pour dire qu’ils seront payés. Non, au contraire, il faut dire, attention, beaucoup d’entre vous ne seront pas payés. Et il faut faire comprendre à l’Etat, aux fonctionnaires que s’ils peuvent être payés, c’est que les entreprises peuvent travailler. Et si ces entreprises ne peuvent pas travailler, eh bien, nous courons un risque essentiel.
(Source : Jeune Afrique)
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