Interview Christian Bouquet, Université de Bordeaux – Par Marie Simon – lexpress.fr
Jusqu’où la crise peut-elle aller en Côte d’Ivoire, où « Gbagbo s’accroche »? L’analyse de Christian Bouquet, spécialiste de la géographie politique ivoirienne et professeur à l’Université de Bordeaux.
Le Conseil de sécurité de l’ONU soutient – finalement – Alassane Ouattara, dans le bras de fer engagé avec Laurent Gbagbo. Cette décision peut-elle débloquer la situation ou au contraire souder le camp pro-Gbagbo qui rejette toute « ingérence » internationale?
Cette décision a le mérite de lever toute ambiguïté. Après la déclaration du secrétaire général Ban Ki-moon, la prise de position de nombreuses institutions internationales et de nombreux Etats, le Conseil de sécurité est le dernier verrou qui saute pour que l’élection de Ouattara soit incontestable. Mais cela ne devrait pas pour autant aggraver le climat anti-étranger que Gbagbo alimente depuis la campagne électorale, non.
Pourquoi la Russie a-t-elle résisté plusieurs jours avant de se joindre aux autres membres du Conseil de sécurité?
Sans doute pas pour des raisons ivoiriennes… Elle ne serait pas la première à voter pour des motifs qui n’ont rien à voir avec le dossier sur lequel les pays sont appelés à se prononcer!
Pendant ce temps, la Côte d’Ivoire s’enlise dans une situation politique schizophrène…
Je suis abasourdi par ce cas de figure qui sera sans doute un jour enseigné en cours de sciences politiques. D’un côté, Gbagbo va s’accrocher, peut-être jusqu’à la mort. Quant à Ouattara, il est trop fort pour négocier: soutenu comme il l’est par la communauté internationale, il n’en tirerait aucun bénéfice. Mais si la communauté internationale ne va pas au-delà des paroles, le temps risque de cristalliser cette situation.
Vous êtes donc en désaccord avec la position de Michèle Alliot-Marie qui a déclaré sur France Inter qu’il serait « inopportun » d’aller jusqu’à imposer des sanctions à la Côte d’Ivoire, afin de favoriser une « transition en douceur »?
La ministre des Affaires étrangères est visiblement mal entourée et je ne vois pas où elle veut en venir, elle qui, au nom du RPR en l’an 2000, demandait que l’élection remportée par Gbagbo soit refaite… Quant aux sanctions, il va bien falloir en prendre et Ouattara est en train d’actionner ses soutiens afin que le robinet financier soit coupé.
La position française risque-t-elle d’être influencée par le fait que de nombreux groupes français possèdent des filiales en Côte d’Ivoire (lire l’encadré)?
Vous savez, les grands groupes redoutent surtout l’incertitude et les troubles qui pourraient en découler. Pour faire des affaires, ils seront amis avec le président, quel qu’il soit!
Quel déclic pourrait permettre de débloquer la situation?
Je ne vois pas vraiment de solution… Peut-être une menace militaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pourrait-elle entraîner des divisions au sein de l’armée, amenant les légalistes à soutenir Ouattara.
Mais la seule issue pacifique serait sans doute que la population ivoirienne se ressaisisse et rejette Gbagbo, devenu illégitime. En 2000, quand il avait rejeté la candidature de Ouattara, cette fois aux élections législatives, au motif qu’il n’était pas Ivoirien, des départements du nord favorables à Ouattara avaient chassé l’administration sudiste. Cela pourrait se reproduire et fissurer le camp Gbagbo.
L’ambiance de désinformation et d’intimidation reste cependant pesante. Les médias relaient une pensée unique digne de la Corée du Nord et leur bourrent la tête. La Radio et la Télévision ivoirienne (RTI) ou le journal Notre Voix par exemple relaient une propagande pro-Gbagbo éhontée et décrivent la Côte d’Ivoire en ignorant royalement les réalités. C’est une dérive dangereuse.
Y a-t-il un risque de scission entre le Nord pro-Ouattara et le Sud pro-Gbagbo?
Jusque là, Ouattara et son Premier ministre, Guillaume Soro, tiennent leurs troupes, mais jusqu’à quand… D’ailleurs, la zone qui lui est favorable dépasse désormais la ligne dessinée lors des élections de 2002: il a également reporté une enclave de trois départements autour de San Pedro (voir la carte ici). Il faut se garder d’agiter cette hypothèse mais non, une scission n’est pas exclue.
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