MÉMOIRE – Noël X.Ebony poète ivoirien mort à Dakar

Littérature

Le Soyinka de l’Afrique francophone

Mort prématurément en 1986 dans un accident de voiture à Dakar, le poète ivoirien Noël X.Ebony a profondément marqué la conscience littéraire africaine. Célèbre journaliste en Côte d’Ivoire, il est l’auteur d’un unique recueil de poèmes réédité ces jours-ci chez L’Harmattan.

Il chante l’amour, la quête identitaire et surtout ‘l’élargissement de l’homme en devenir. (…) je suis noir je suis blanc je suis jaune/ transparent/ je suis/ celui qui est né au carrefour des siècles/ celui qui a reçu l’histoire en plein cœur/ celui qui se désaltère à la source mosaïque/ qui gémit des secousses de la planète/ qui s’est fiancé au méridien de greenwich/ je suis/ le prince d’une vestale/ violée à coups de baïonnette/ le funambule en équilibre sur le mince fil des identités/ sous vos soleils tyrans/ entre le baobab et le gratte-ciel/ je suis mille… ’]’.

Ainsi parle Noël X. Ebony (NXE), ce poète ivoirien disparu trop tôt et dont les éditions L’Harmattan rééditent Déjà vu, le recueil de poèmes qui l’avait fait connaître en 1983.

‘Noël, il brillait comme un diamant’

‘Lorsque j’ai rencontré Noël, il brillait comme un diamant. Sa poésie était nouvelle et originale (…), en rupture avec la vieille négritude, et me semblait ouvrir sur le monde, sur l’humanité, à la manière d’un Whitman ou d’un T. S. Eliot’, se souvient l’Américaine Nidra Poller, la première à avoir publié ses poèmes dans sa ‘toute petite’ maison d’édition Ouskokata. La réception de son recueil fut à la hauteur de l’enthousiasme que le poète suscita chez l’éditrice.

Pour Lilyan Kesteloot, Noël Ebony était ‘Le Soyinka de l’Afrique francophone’. Quant à Jacques Rancourt, dans Notre Librairie, il se disait ‘enthousiasmé. J’avais le sentiment de lire un frère. Qui me parle de lui mais qui me parle à moi aussi’.

Puis, tout est allé très vite. Le poète, qui était aussi journaliste à Fraternité-Matin, fut arrêté et malmené par les sbires de Félix Houphouët-Boigny pour avoir osé critiquer sa politique d’accueil des dictateurs déchus – en l’occurrence Bokassa. Il dut s’exiler à Dakar où il mourut en juillet 1986 d’un accident de voiture dans des circonstances non encore élucidées.

Une légende du journalisme ivoirien

La Côte d’Ivoire perdait avec Ebony plus qu’un poète : une voix prometteuse d’aubes nouvelles qui annonçait l’entrée en scène d’une génération postcoloniale d’auteurs africains. Ceux-ci se définissaient moins par rapport à leur passé qu’à leur devenir : ‘A nous la parole/ à nous la croisade/ nous/ tempêtes anonymes/ évadées des poubelles de l’histoire/ chargées de tous les rires/ de toutes les lumières/ nous réclamons/ l’écho de notre voix… ’]

Né Noël Essy Kouamé à Tanokoffikro, NXE était d’abord journaliste de métier. Il a collaboré à Fraternité Matin, avant de diriger les mensuels Demain l’Afrique et Africa International. Ses écrits, perspicaces et critiques, ont fait de lui une légende du journalisme ivoirien, au point que le principal prix de journalisme attribué par l’Union nationale des journalistes s’appelle ’prix Ebony’.

Poète et romancier, NXE ne renie pas l’héritage de la poésie de la négritude, mais proclame la priorité du vécu de sa génération qui a forgé sa sensibilité [‘J’ai consacré beaucoup plus de temps à écouter le jazz qu’à lire Birago Diop’]. Auteur aussi de contes pour enfants et d’un roman inédit Les Masques, il a été formé par le jazz, le rock, les bandes dessinées, et bien sûr par ses lectures littéraires, qui vont de Proust à Gabriel Garcia Marquez en passant par Ayi Kwei Armah, Kourouma, Dostoïevski.

Palissades de langage contre les chaos du monde réel

La poésie de NXE se situe au carrefour de l’oralité africaine et de la modernité occidentale. Ses vers sont scandés par ses interrogations, ses audaces et ses espoirs, sur des thèmes aussi classiques que l’amour [‘la passion avait des odeurs d’absinthe’], l’exil [‘qui sait le pays d’où je viens / ce pays de la stupeur / aux bornes de chair rouge’], la quête identitaire [‘qui-es-tu / esclave des passions non programmées / qui-es-tu / individu fictif / intitule-toi… ’], mais aussi l’histoire coloniale, le temps présent et l’ivresse du monde qui vient (‘j’ai vécu mille vies en une / et la vérité n’a pas toujours les vertus d’ivresse’).

Ces thématiques énoncées dans une prose poétique et expérimentale font d’Ebony un poète précurseur de modernité. Poète épique, romantique, poète de l’ici, du maintenant et de l’ailleurs, Ebony est surtout un poète éthique, voire même prophétique qui n’a cessé de proclamer l’intégrité de l’imaginaire où les lecteurs peuvent se réfugier afin d’échapper à ‘la froide fatalité / alimentaire/ économique / assénée par les politicards xala-politisés’.

Ses poèmes sont autant de palissades de langage qu’il n’a cessé d’élever contre les chaos du monde réel qui a fini par engloutir le poète. Mais, comme le rappellent les vers ultimes du recueil Déjà vu, ces chaos n’ont su étouffer ni sa voix ni ses paroles qui continuent à résonner, comme prévient le poète en guise de conclusion, dans les ténèbres de ‘cette afrique (qui) n’est pas afrique pas afrique est miroirs mirage rage (quelque part)’.

Déjà vu, suivi de Chutes et Quelque part, par Noël X. Ebony. Editions L’Harmattan. 317 pages. 29 euros.

Tirthankar CHANDA
Walf Fadjri

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