J’ai pris connaissance avec beaucoup d’amertume de la violence de la dernière foucade que mon ancien camarade , le professeur Malick N’diaye nous a servie sur la crise en Côte d’Ivoire. La sortie malheureuse de cet intellectuel avec qui j’ai partagé des secrets de jeunesse dans notre combat pour la défense des valeurs d’éthique, de justice , pour la démocratie et la transformation sociale m’a profondément déçu.
Afin de mieux cerner la situation en Côte d’Ivoire, un rappel de la génèse historique de la crise actuelle s’avère nécessaire dans ce débat. Laurent Gbagbo est arrivé au pouvoir à la suite d’un concours de circonstances exceptionnelles qui on émaillé l’ élection présidentielle du 22 Octobre 2000, marquée par l’exclusion d’Alassane Ouattara pour cause de non-ivoiritè et le rejet suspect de la candidature de Conan Bédié. Exclus du scrutin, le Rassemblement des Républicains de Ouattara (RDR) et le Parti Démocratique de la Côte d’Ivoire de Conan Bédié (PDCI) ont appelé au boycott de cette mascarade électorale. Et c’est sur la base de cette élection ayant connu un faible taux de participation de 37.4%, (comparée ? la participation record de plus de 80 % en 2010) , qu’il a été élu ,à moindre frais, face ? Robert Guéi.
Dès son arrivée au pouvoir, Gbagbo a subi une crise de légitimité politique sans précédent qui s’est exacerbée en 2002 à la suite d’une tentative de putsch avortée grâce à l’intervention des militaires français qui ont ainsi empêché la marche des forces nouvelles sur Abidjan. Ne parvenant à gouverner que sur la moitié du pays , il s’est confiné dans un repli sectaire et ethno nationaliste pour entretenir un système clientéliste et ainsi consolider son périmètre de pouvoir. Depuis 2005, la fin de son premier mandat, Laurent Gbagbo a utilisé toutes les ruses, et tactiques finaudes pour six fois reporter la tenue de l’élection présidentielle. En toute illégalité et illégitimité, il s’est accroché au pouvoir se payant ainsi un deuxième quinquennat sans se représenter devant le suffrage universel. Aujourd’hui , comme hier, le problème de la Cote d’ivoire c’est assurément Laurent Gbagbo.
En dix ans, il n’a jamais pu construire une majorité présidentielle fortement enracinée dans le pays , pour lui permettre de rassembler les ivoiriens pour une entreprise de reconstruction nationale .
En vrai orfèvre de la pratique des clivages ethniques et régionalistes pour régner, et contempteur de l’unité nationale à la faveur d’intérêts de chapelle, il représente aujourd’hui un danger réel pour l’unité de la Côte d’ivoire et une menace sérieuse pour la stabilité géopolitique de la sous région.
La récente sortie du socialiste français Jack Lang, ancien ministre de la culture et « ami » déclaré de Gbagbo, qui a fait campagne à ses cotes à Abidjan, et de Manuel Walls, député socialiste, unanimement l’invitant ? reconnaitre la victoire d’Alassane Ouattara ,témoigne de la gêne que constitue un soutien à Gbagbo qui par son acharnement à violer le verdict populaire est devenu un boulet pour ses « amis » socialistes, voire un personnage infréquentable. Et je dois reconnaitre ici que j’ai aussi été choqué par la légèreté d’un ancien camarade, Jean Christophe Cambadelis,, aujourd’hui membre du Bureau national du parti socialiste français, avec qui nous avons partagé des moments épiques dans le combat pour la construction d’un projet de transformation sociale, qui a son tour a fait le déplacement ? Abidjan pour appuyer la campagne de Gbagbo . Ironie du sort, c’est ce Gbagbo là, personnage sulfureux ,apôtre de l’ivoirité et fossoyeur de l’expression démocratique qui nous est présenté comme un panafricaniste, résistant anti-impérialiste et sauveur de la Côte d’ivoire.
Conforté dans sa dérive autoritaire par une coterie de flagorneurs à sa solde, jouissant de ce clientélisme ;qui symbolise les rapports incestueux entre l’argent et le pouvoir ,il est parvenu ? déstabiliser les fondamentaux d’une économie ivoirienne poussive , et par ce fait , assécher le trésor public. Et c’est parce que ce système là a été rejeté par l’écrasante majorité du peuple ivoirien , que la bande à Gbagbo s’échine ? prendre en otage le pays tout entier. Tout y passe, la haine récuite, ,la xénophobie aveugle, la violence physique des escadrons de la mort, les tactiques d’intimidation pour empêcher le vote dans des bastions du « candidat de l’étranger » , la menace et la provocation physique de ses partisans dans la Commission Electorale Indépendante, les tueries et enlèvements qui nous rappellent les heures sombres de la dictature Pinochet en Chili,. Depuis le 28 Novembre dernier le carnage aurait fait plusieurs morts , ce qui naturellement a emmené la Cour Pénale Internationale (CPI) a surveiller comme du lait sur le feu la crise ivoirienne.
Un coup de force prémédité
Le coup de force opéré par Gbagbo a commencé à prendre corps dès l’annonce des tendances internes obtenues par les deux camps en compétition et connues par le corps diplomatique et les différentes institutions internationales à Abidjan. Il fallait vite éventrer cette tendance forte en faveur de Ouattara et tuer dans l’œuf une éventuelle proclamation du verdict des urnes par la commission Electorale Indépendante en faisant de l’obstruction jusqu’à l’expiration du délai de 72 heures pour publier les résultats. Le but recherché était d’instrumentaliser le Conseil Constitutionnel présidé par un personnage proche de Gbagbo, militant du FPI et choisi par le même Gbagbo pour passer en force et opérer un coup de Jarnac contre la souveraineté du vote populaire. Le côté farcesque de la promptitude avec la quelle a été communiquée la décision partisane du Président du Conseil Constitutionnel invalidant la victoire de Ouattara., et l’affabulation grotesque de la prestation de serment de Gbagbo constituent autant d’indices révélateurs de sa défaite.
En réalité, Laurent Gbagbo n’a jamais voulu organiser cette élection présidentielle parce qu’il n’a jamais voulu faire face à un candidat à l’allure charismatique d’un Alassane Ouattara. En dix ans de règne, il n’a jamais su habiter la fonction présidentielle, visiblement surdimensionnée par rapport sa personnalité. Et c’est sous la contrainte de la communauté internationale et de la situation intenable qui a prévalu pendant ces dix dernières années qu’il a finalement accepté l’organisation de ces élections.
Derrière le discours pseudo radical, dénonciateur d’un complot impérialiste contre la Côte d’Ivoire se profile les contours d’une prostitution intellectuelle qui s’apparente fort bien au mercenariat des milices armées entretenues par le clan Gbagbo.
Qui peut soutenir honnêtement , la thèse d’un Gbagbo incarnant la résistance anti-impérialiste pour défendre la souveraineté de la Cote D’ivoire face à un complot étranger ? Le même Gbagbo ne doit sa survie qu’a l’intervention de l’armée militaire française depuis 2002 , qui s’est opposée à la marche des Forces Nouvelles sur Abidjan.
Comment un intellectuel qui se veut sérieux, peut il présider « un comite pan- africaniste des amis de Laurent Gbagbo », le même Gbagbo qui véhicule la thèse sordide de l’ivoirité et du candidat de l’étranger dans cette belle Côte D’ivoire qui symbolise à merveille un métissage culturel, et multi ethnique issu des effluves d’une longue tradition de communautés d’ immigrés originaires de l’Afrique de l’Ouest et au delà de celle ci ? Aucune rupture mémorielle ne doit nous emmener à piétiner nos valeurs d’éthique et de justice sociale, et comme disait Daniel Ben Saïd, « Il faut lutter au moins pour s’épargner la honte de ne pas avoir essayé ».
C’est aussi ici le cas de dénoncer la posture ahurissante d’une partie de la direction du Parti Socialiste sénégalais. La confiscation du pouvoir par Gbagbo est la négation avérée des règles les plus élémentaires du respect de l’état de droit et de la démocratie. Sans nul doute, des voix plus sages vont s’élever contre cette fourberie qui rentre encore dans le jeu incestueux entre l’argent et le pouvoir politique.
Finalement, j’invite mon ancien camarade Malick, à se retremper dans une relecture hermeneutique d’un ouvrage mémorable , « Leur Morale et La Notre » de l’autre , qui fut une de nos références théoriques dans notre combat pour l a démocratie et la transformation sociale.
Un intellectuel organiquement engagé dans la défense du droit des peuples a élire librement leurs dirigeants ne peut pas théoriser et soutenir le coup de force de Laurent Gbagbo.
La communauté internationale, et l’Union Africaine doivent aller jusqu’au bout pour exiger le maintien de ’état de droit et l’installation effective d’Alassane Ouattara , comme président démocratiquement élu par l’écrasante majorité des ivoiriens.
Ce coup de force est une honte pour l’Afrique. Laurent Gbagbo a été battu à plate couture (fair and square) , par Alassane Ouattara. Il doit accepter sa défaite et assurer une transition politique pacifique avec le président élu pour jeter les bases d’une reconstruction nationale de la Côte d’Ivoire. Tout refus obstiné d’ accepter le verdict sorti des urnes risque de connaitre le même sort que Charles Taylor.
Professor Moustapha Diouf
The University of Vermont, USA
Seneweb.com
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