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Démocratie en Afrique, influences internationales, puissance française: ce qui se joue à Abidjan dépasse le sort d’un peuple et d’un pays.
« Tes fils, chère Côte d’Ivoire, Fiers artisans de ta grandeur, Tous rassemblés pour ta gloire (…), Te bâtiront dans le bonheur… » Les paroles des hymnes nationaux font souvent tinter aux oreilles le grotesque et le désuet. Mais c’est le grincement navrant de l’amertume qui sert d’écho aujourd’hui à celles de L’Abidjanaise.
Ni la guerre civile ni la sécession n’étaient à exclure le 29 novembre en Côte d’Ivoire, et les tambours du massacre ne demandaient qu’à tonner dans ce pays qui pourrait devenir une « Corée africaine », à la géographie inversée: le Sud, avec Laurent Gbagbo, au ban des nations; le Nord, derrière Alassane Ouattara, inclus dans la communauté internationale. Adieu alors à la promesse de l’ultime couplet de L’Abidjanaise: forger « la patrie de la vraie fraternité ».
La paix civile entre Ivoiriens doit être, bien sûr, le premier objectif pour un continent qui a clos le XXe siècle sur le drame rwandais. Mais ce qui se joue en ce moment à Abidjan prend d’autres dimensions.
Quel avenir pour la démocratie?
L’enjeu est, d’abord, le devenir de la démocratie en Afrique. Ces dernières années, on a vu des régressions martiales et dynastiques, mais aussi des élections sans fraude massive ni violence meurtrière, et l’apparition d’une poignée de régimes stables et sereins: lentement, une aurore politique se lève sur l’Afrique. Fragile. Tremblante. Miraculeuse. Mais réelle.
Insensible aux amnisties négociées par les tyrans en fuite, comme aux asiles dorés offerts par des pays complaisants, la justice internationale est pour beaucoup dans cette évolution: le temps approche où il faudra être un dirigeant légitime et exemplaire pour être sûr de couler des jours tranquilles après les années de pouvoir. « S’enrichir puis s’en aller », » piller puis partir », ne pourront plus être les vade-mecum du dictateur. Gbagbo le comprendra-t-il? Il y a du fer sous l’ivoire.
Mainmise étrangère
L’Occident proclame ses principes en essayant de n’être pas le dindon de la farce
Ensuite, c’est l’équilibre des influences qui vacille aujourd’hui. Derrière Gbagbo et la force du statu quo, on aperçoit, comme lors de son simulacre de prestation de serment, ces blancs aux lunettes noires qui font de si bonnes affaires grâce à lui. On devine aussi les nations dont le silence est un soutien: la Russie, qui excipe du principe de non-ingérence alors qu’elle fait mugir ses blindés dès qu’un sourcil bouge dans le Caucase; la Chine, surtout, qui jaunit depuis des années le continent noir et distribue d’autant mieux ses contrats que l’on piétine les bulletins de vote.
Au côté d’Ouattara et de sa légitimité, l’Occident proclame ses principes en essayant de n’être pas le dindon de la farce. Si droit et vertu ne suffisent pas, il lui faudra choisir entre le cynisme – négocier ses intérêts en sous-main avec Gbagbo – la force – envoyer ses soldats chasser l’imposteur – ou l’abandon – laisser le terrain au chaos et aux nouvelles puissances. Il y a de l’or sous l’ivoire.
La France prise entre deux feux
C’est pourquoi le rôle de la France, demain, en Afrique, est aussi au coeur de la quadrature ivoirienne. Laisser faire, c’est dire à tout le continent que la France n’a plus aucune ambition sur son sol. Intervenir, c’est risquer le désaveu international et, pire, la défaite! Entre les deux, toute diplomatie ne peut qu’être illisible, tissée de patience et embrouillée de subtilités, et fâcher chaque camp. Il y a du plomb dans l’ivoire.
Il y a cinquante ans, une des décisions de la jeune administration indépendante fut grammaticale: abandonner le trait d’union, appliqué par la France, entre « Côte » et « d’Ivoire ». Tout était dit.
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