La France a tourné le dos à la présidence de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, une ex-colonie où vivent quelque 15.000 Français, abandonnant une approche jusque-là très prudente pour réclamer publiquement au chef de l?Etat sortant de quitter le pouvoir au profit d’Alassane Ouattara.
Cette demande tardive est survenue alors que le pays connaît une crise violente à l’issue de l’élection présidentielle, M. Gbagbo ayant été investi samedi
président alors que son adversaire est considéré comme le « président élu » par l’ONU, l’Union européenne et les Etats-Unis.
« Les résultats (de la présidentielle) marquent une nette et incontestable victoire pour Alassane Ouattara », a affirmé le président Nicolas Sarkozy samedi lors d?une visite en Inde. « Un président est élu en Côte d’Ivoire. L’ensemble de la communauté internationale et les Nations unies l’ont reconnu. Ce président est Monsieur Alassane Ouattara », a-t-il poursuivi.
Dès vendredi soir, quelques heures après que M. Gbagbo eut été proclamé vainqueur de l?élection par le Conseil constitutionnel, un organisme qu?il contrôle qui avait invalidé la veille la victoire de M. Ouattara, M. Sarkozy avait demandé au président sortant de « respecter la volonté du peuple » et avait adressé « ses félicitations au président élu », selon un communiqué de l?Elysée.
Le ton employé tranche avec les communiqués et déclarations précédentes, empreints de prudence et qui ne citaient pas nommément M. Ouattara, se bornant à réclamer la publication des résultats et appelant les protagonistes au sens des responsabilités.
« On ne peut pas défendre la démocratie et ne pas parler de Alassane Ouattara, il y a un moment où ce n’est plus tenable alors qu’il y a un souci de cohérence », explique-t-on de source proche du dossier. « Il y a eu les résultats en faveur de Ouattara, on ne peut s’asseoir dessus et on soutient celui qui a gagné », renchérit une autre source.
Si la France avait pris position plus tôt, il y avait un risque que Laurent Gbagbo ne se retourne contre la communauté française, comme cela s’est déjà produit dans le passé, selon ces sources.
L’ancienne puissance coloniale « sait que Gbagbo peut à tout moment rejouer la carte nationaliste et lancer une flambée anti-française », confirme Antoine Glaser, spécialiste du continent africain.
Sous le régime de Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, le pays avait représenté pour la France une tête de pont économique et politique en Afrique. Avec l’arrivée au pouvoir en 2000 de Laurent Gbagbo, les relations se sont vite détériorées.
En 2002, une rébellion dans le nord du pays, qualifiée de « tentative de coup d’Etat » par le pouvoir, provoque une partition du pays avec un sud gouvernemental et un nord rebelle. A l’époque Laurent Gbagbo accuse la France d’avoir favorisé la rébellion, ce dont Paris se défend.
En novembre 2004, la relation se casse définitivement lorsqu’un bombardement de l’aviation ivoirienne cause la mort de 9 soldats français, tandis que plus de 50 manifestants ivoiriens tombent à Abidjan sous les balles françaises.
Aujourd’hui, la communauté française en Côte d’Ivoire s’est réduit à quelque 15.000 Français et leur sécurité conditionne la politique et la communication de la France qui craint une guerre civile et une partition définitive du pays.
La présence en Côte d’Ivoire d’une force de l’ONU appuyée par un petit millier de militaires français peut aider à contenir d’éventuels actes violents, mais pas stabiliser un pays où aucun désarmement n’a été entrepris depuis 2002.
Dans ses messages, Nicolas Sarkozy a notamment lancé « un appel au président Laurent Gbagbo et à tous les responsables civils et militaires ivoiriens pour qu’ils respectent la volonté du peuple, s’abstiennent de toute initiative de nature à provoquer la violence et coopèrent à l’établissement durable de la réconciliation, de la paix et de la stabilité en Côte d’Ivoire ».
Par Philippe RATER
lesechos.fr
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